Luc Nefontaine
Transcription d'une interview de Luc Nefontaine,
docteur en philosophie et lettres qui enseigne à l’Université
Libre de Bruxelles dans le cadre de l'Institut d’Étude
des Religions et de la Laïcité par Robert Hostetter,
responsable des émissions protestante à la RTBF (1).
- Robert Hostetter : Le titre
de votre ouvrage « Le Protestantisme et la Franc-maçonnerie
» (2), est-ce que ce n’est
pas un titre un peu réducteur quand on connaît à
la fois le protestantisme et la franc-maçonnerie ?
- Luc Nefontaine : Je ne suis pas sûr que
d’emblée le lecteur s’y serait retrouvé
si on avait intitulé l’ouvrage « Les Protestantismes
et les Franc-maçonneries ». Alors par souci de clarté,
effectivement on a mis les deux mots au singulier mais c’est
vrai qu’il existe quantité de Franc-maçonneries,
différents types de franc-maçonnerie comme il existe,
c’est bien connu, différents types de protestantisme.
Donc, et cela je m’en explique dès mon introduction,
en effet le pluriel s’impose.
- R.H. : Oui, vous dites aussi des chemins qui
se rencontrent et en disant cela vous sou-entendez en quelque sorte
qu’il y a quand même entre ces deux familles des connivences,
je dirais ?
- L.N. : Bien sûr il y a des rapprochements, il y a des chemins
qui fatalement se rencontrent mais pas pour tout le monde. Cela
veut dire et nous aurons sans doute l’occasion d’en
parler que, du côté protestant, comme du reste du côté
maçonnique, certaines préventions ont été
formulées et sont toujours actuelles, à savoir il
serait impossible d’être à la fois protestant
et franc-maçon.
- R.H. : Vous faites naître la maçonnerie
en Angleterre ou en Écosse, disons dans les pays anglo-saxons
en gros, au dix-huitième siècle il y a quand même
là aussi un passage, je dirais peut-être pas obligé,
mais en tout cas un passage entre le monde protestant de l’époque
et la franc-maçonnerie ?
- L.N. : Tout à fait, donc il faut rappeler que les fondateurs
de cette maçonnerie, société de pensée,
société spéculative, sont James Anderson, Jean-Théophile
Desaguliers, etc. et que ce sont, James Anderson par exemple était
un pasteur de l’Église presbytérienne écossaise,
Desaguliers est le fils d’un pasteur huguenot, il est natif
de La Rochelle, donc on se trouve en plein milieu protestant. La
franc-maçonnerie pourrait-on dire est quelque part la fille
naturelle du protestantisme. Le problème c’est que
les Églises luthériennes, calvinistes n’ont
jamais reconnu cet enfant. Et donc il est difficile, (c’est
pour cela que l’on emploie le terme fille naturelle) il est
difficile de faire de la maçonnerie une institution protestante.
On pourrait dire que franc-maçonnerie et protestantisme
sont au fond cousin cousine.
- R.H. : Finalement ces protestants des origines
de la franc-maçonnerie, est-ce que avec notre façon
à nous aujourd’hui d’analyser les choses, est-ce
qu’on ne dirait pas qu’ils sont plus universalistes
que réformés ?
- L.N. : Ils sont très universalistes, c’est vrai qu’au
fond dans la maçonnerie ils n’ont aucune intention,
aucune visée ecclésiastique ou théologique.
On ne crée pas la maçonnerie pour discuter de théologie,
on sort des guerres de religion, on en a assez des controverses
théologiques et on veut rassembler les gens autour d’un
idéal fédérateur, quelque chose que l’on
a appelé la religion naturelle et qui oscille entre ce déisme
moralisateur et cette prétention à l’universalité
qui connaît évidemment, depuis le début de la
maçonnerie, quelques limites. Il y a un cosmopolitisme qui
est affiché dès les constitutions d’Anderson
de 1723, mais on sait que n’entre pas qui veut et donc on
va avoir, à l’égard des juifs notamment, certaines
réserves sont émises et il n’y a pas du tout,
s’il y a un idéal œcuménique, certains
diront syncrétiste, c’est un mot que je n’aime
pas beaucoup parce qu’il est péjoratif, s’il
y a dès le départ un idéal fédérateur
et œcuménique, on voit bien que les mentalités
de l’époque souffrent certaines limites et qu’il
est difficile d’accepter des gens venus d’autres religions.
- R.H. : Est-ce qu’on pourrait dire que la
franc-maçonnerie c’est quand même d’abord
une naissance de la classe bourgeoise ?
- L.N. : C’est en tout cas une création des milieux
aisés et des notables de l’époque c’est
sûr. Ce n’est pas le petit artisan qui spontanément
en fait partie.
- R.H. : Oui, alors beaucoup d’intellectuels
protestants de l’époque conçoivent Dieu, je
dirais, finalement de façon assez proche de ce que dans la
franc-maçonnerie on appelle le grand architecte de l’univers.
C’est plus un Dieu ordonnateur qu’un Dieu créateur,
au sens premier du terme création ?
- L.N. : Tout à fait il faut relever ici d’abord que
dans la Bible, dans l’Ancien Testament il est question de
ce Dieu architecte, donc que ce n’est pas une création
ex nihilo. Et secondement que les premiers francs-maçons,
les fondateurs de la maçonnerie, étaient très
en rapport avec la Royal Society, c’est une société
qui rassemble à l’époque, fin dix-septième
début dix-huitième siècle, des scientifiques
de haut vol, très intéressés par l’expérimentation.
Et on peut citer à cet égard les liens entre Newton,
qui n’est pas franc-maçon mais qui est membre de la
Royal Society, Newton qui est bien sûr un scientifique connu
et qui est aussi un théologien et Desaguliers qui est donc
l’un des fondateurs de la maçonnerie. Il faut dire
qu’aux alentours de 1720 beaucoup de francs-maçons
étaient membres de cette Royal Society.
- R.H. : Oui, un autre point que je voudrais aborder
avec vous c’est, qu’au niveau historique, on se rend
compte que les protestants et les francs-maçons se retrouvent
ensemble notamment dans l’émergence de ce que l’on
appelle la modernité.
- L.N. : Tout à fait, je crois qu’il n’est pas
faux, qu’il n’est pas exagéré de dire
que, finalement, le protestantisme a concouru fortement à
la naissance de ce que l’on appelle le libre-examen, la liberté
de pensée. Et on voit, c’est une caractéristique
évidemment de la modernité, et peut-être aussi
cet accent mis sur l’individu, cette priorité donnée
à l’individu par rapport aux institutions, c’est
une caractéristique, me semble-t-il, qui est toujours actuelle
quand on parle du protestantisme et quand on parle de franc-maçonnerie.
- R.H. : Très rapidement on se rend compte
et c’est probablement dû aussi au milieu dans lequel
la franc-maçonnerie anglaise est née, on se rend compte
que l’un des points importants c’est la mise en place
d’une philanthropie. Philanthropie qui est donc tournée
vers l’extérieur, ce n’est pas simplement une
fraternité, parce que cela c’est intra-muros mais
il y a une action extra-muros aussi ?
- L.N. : Oui. Il y a une action philanthropique, caritative, vers
l’extérieur, c’est dire que la franc-maçonnerie
est aussi une société philanthropique et on ne s’aide
pas seulement entre soi. C’est très visible aujourd’hui
dans les pays anglo-saxons où la franc-maçonnerie
a pignon sur rue et où effectivement cette aide s’affiche
comme étant maçonnique. Vous avez des hôpitaux
maçonniques, des maisons de retraite, etc. ce qui n’est
pas du tout la caractéristique de nos pays et s’il
existe une action philanthropique elle est beaucoup plus cachée,
c’est dommage.
- R.H. : Cela c’est encore un des points
de comparaison avec le protestantisme qui a toujours été
très actif au niveau du social.
- L.N. : Tout à fait donc là il y a, je crois aussi,
une convergence dans la pratique.
- R.H. : On ne peut pas nier, je pense que quelle
que soit l’approche philosophique qu’on fait des rituels
maçonniques, on ne peut pas nier que pratiquement tous ces
rituels ont une base biblique ou, en tout cas, ont des points de
références bibliques. Alors comment conjuguer cela
avec d’autre part une pratique de foi dans une communauté protestante
par exemple ?
- L.N. : Je ne vois pas du tout où se trouve le problème,
je n’ignore pas qu’il y a un problème pour certains,
mais pour ma part je ne vois pas du tout où le problème
se situe. En fait vous parlez des rituels, des références
bibliques, il faut savoir que tout l’arsenal symbolique de
la maçonnerie tourne autour d’un grand mythe qui est
celui de la construction du temple de Salomon et puis aussi autour
de certains personnages bibliques, des références,
des hébraïsmes. Des références bibliques,
par exemple le mythe d’Hiram. Hiram est un personnage biblique
dont il est question dans les livres des Rois mais la franc-maçonnerie
va revisiter ce personnage et va lui donner une autre dimension,
qui est celle de l’architecte du temple de Salomon. Cela veut
dire que l’on va quelque part, pour certains, travestir les
récits bibliques, hein vous voyez le scandale ! Mais la franc-maçonnerie
lorsqu’elle utilise tout cet appareil, toutes ces références
bibliques ne prétend pas se substituer à une religion
et c’est de là que vient le malentendu profond. Donc
il n’y a aucun problème à ce que les maçons
utilisent la Bible dans les rituels, pourvu qu’on accepte
que lorsque la Bible se trouve en maçonnerie il s’agit
non d’un livre des références d’une église,
d’un livre dogmatique, c’est seulement une parole qui
peut être mise à côté d’autres
paroles.
- R.H. : Où se situe la limite entre ce
qu’on appelle dans les milieux croyants la foi et puis une
certaine pratique qui est quand même une pratique un peu
moralisatrice, je pense ?
- L.N. : Je crois que les deux s’accordent parfaitement, il
faut poser d’emblée, et c’est important me semble-t-il,
que la franc-maçonnerie n’est pas une religion. Lorsqu’on
a compris cela, on a aucun mal à dire que cette pratique
moralisatrice, le cas échéant, peut très bien
s’harmoniser, se concilier avec la pratique d’une religion,
puisque ce n’est pas une religion. Le malentendu une fois
encore vient de là. C’est que l’on a tendance
à concevoir la maçonnerie comme une religion de substitution
et donc fatalement ce problème de double appartenance devient
un réel problème parce qu’il est impossible
de pratiquer deux religions à la fois.
- R.H. : Oui et alors au siècle des lumières
on voit qu’il y a une union assez réelle entre protestants
et francs-maçons et que cette union se réalise notamment
sur la base de certains personnages un peu emblématiques
du siècle des lumières ?
- L.N. : Oui, si on parle du siècle des lumières,
effectivement on peut citer quelqu’un comme Lessing, qui est
à la fois protestant et franc-maçon. C’est un
esprit éclairé, là on est dans les lumières
allemandes, qu’on appelle l’Aufklärung, c’est
un esprit éclairé, c’est quelqu’un qui
va s’engager pour la défense du statut des juifs, pour
leur assimilation dans la société. C’est lui
qui va, par exemple, soutenir Mendelssohm. Mendelssohm qui est véritablement
l’un des pères des lumières juives.
- R.H. : Aujourd'hui, dans le protestantisme, on
a deux axes bien distincts, on a ce que j'appellerais les Églises
de la Réforme et en pointe de ces Églises-là
on a ce que l'on appelle le protestantisme libéral et puis
de l'autre côté on a les Églises issues du Réveil,
qu'on appelle Églises évangéliques ou Églises
libres. Il semblerait, en tout cas au niveau historique, que par
exemple au dix-neuvième siècle, la séparation
n'était pas aussi nette, si elle était nette au niveau
théologique en tout cas elle était moins nette au
niveau de l'approche de la maçonnerie ?
- L.N. : Tout à fait, on a d'ailleurs aussi là des
exemples de pasteurs dits évangéliques, issus du Réveil,
comme Malan ou Ami Bost, qui sont à la fois donc des pasteurs
très spiritualistes, très évangéliques
et qui sont aussi francs-maçons et qui peuvent sans problème
concilier apparemment cette double appartenance. Chose impensable
aujourd'hui ! Aujourd'hui, dans les milieux évangéliques,
dans ces Églises dites libres, il est très difficile
de concevoir que l'on puisse être à la fois protestant
et franc-maçon, encore moins pasteur évangélique
et franc-maçon. Cet éclatement du protestantisme qui
existe, bon c'est vrai, depuis les origines aujourd'hui se décline
dans ce clivage entre les Églises historiques issues de la
Réforme et ces Églises évangéliques
qui ont tout de même quelques tendances fondamentalistes et
qui, dans leur approche de la Bible, font du littéralisme,
rien de moins. Alors là c'est vrai que cela pose problème,
il y a un livre, j'en parle dans mon bouquin, il y a un livre de
Paul Ranc, qui a été publié sur la question
de la compatibilité entre protestantisme et maçonnerie.
Les conclusions sont extrêmement négatives, la franc-maçonnerie
est présentée à peu de choses près comme
une société satanique, il est impossible d'être
protestant et franc-maçon sans renier sa foi. Et on constate
qu'il y a là une convergence de l'argumentation entre ce
protestantisme évangélique et l'Église catholique
la plus conservatrice. C'est un peu les mêmes arguments qui
reviennent à la surface, la question du secret, la question
du serment, la question du rituel, parce que enfin si on parle de
la Bible dans le rituel maçonnique c'est donc que l'on veut
quelque part manipuler le message biblique et quelque part pratiquer
la subversion.
- R.H. : Il y a quand même un point sur lequel
peut-être la critique de ces milieux évangéliques
n'est pas tout à fait à rejetée, c'est la critique
de la façon dont on situe le Grand Architecte de l'Univers
dans la maçonnerie et par rapport à la façon
ou à la place que l'on donne à Dieu dans la foi des
chrétiens. Parce que, quand même, le Dieu chrétien
disons il est d'abord vu comme quelqu'un de tout puissant, comme
quelqu'un de créateur, comme quelqu'un, dans l'Ancien Testament,
même de jaloux, cela correspond mal avec la pensée
universaliste que l'on met derrière le Grand Architecte
de l'Univers ?
- L.N. : Je crois que l'argument est à rejeter totalement,
donc je ne crois pas que l'on puisse justifier, encore une fois
ce Grand Architecte de l'Univers présent en maçonnerie,
qui nous vient notamment de Newton, qui lui aussi a conçu
Dieu comme un Grand Architecte. Ce symbole du Grand Architecte n'implique
aucunement une croyance en un Dieu révélé et
c'est un symbole qui, comme tous les symboles, peut être librement
interprété. C'est au point qu'aujourd'hui, dans certains
ateliers, on ne va plus parler du Grand Architecte on va plutôt
parler de la Grande Architecture ou du Grand Imaginaire mais, comme
tous les symboles maçonniques, l'interprétation est
libre et il n'y a pas lieu d'en faire une interprétation
strictement théiste.
- R.H. : Mais enfin, par exemple il y a une figure
emblématique, c'est le fameux pasteur Desmons, qui ne s'écrit
pas de la façon dont peut-être certains le pensent,
mais cette figure est emblématique à plus d'un égard
parce que lui il réussit à conjuguer, de façon
très très intéressante me semble-t-il, à
la fois son libéralisme protestant et à la fois son
adhésion à une franc-maçonnerie non dogmatique
?
- L.N. : Tout à fait, je crois qu'il faut quand même
rappeler pour l'auditeur que le pasteur Desmons au dix-neuvième
siècle, c'est lui qui fut à l'origine, au Grand Orient
de France, de la suppression de l'obligation de la référence
au Grand Architecte de l'Univers dans les rituels. Suppression de
l'obligation seulement et non pas, comme on l'a écrit parfois,
suppression de ce Grand Architecte, ce qui faisait du pasteur Desmons
un théicide, ce n'est pas le cas. Donc il a seulement dit
: « Attention, moi en tant que croyant libéral j'estime
qu'il n'est pas normal que l'on impose cette figure du Grand Architecte
! » Et donc vous avez aujourd'hui encore, au sein du Grand
Orient de France ou du Grand Orient de Belgique, des ateliers qui
travaillent à la gloire du Grand Architecte de l'Univers.
Il n'y a pas eu suppression obligatoire, il n'y a eu que suppression
de l'obligation de référence, il est toujours permis
de se référer et de travailler à la gloire
du Grand Architecte de l'Univers.
- R.H. : Est-ce qu'on ne peut pas dire aussi, de
temps en temps, que la collaboration féconde entre le protestantisme
et la maçonnerie s'explique par, disons, l'anti-catholicisme
de l'époque ?
- L.N. : Tout à fait, c'était patent sous la IIIe
République, c'est véritablement l'anticléricalisme
et l'anticatholicisme qui ont soudé ces deux courants de
pensée, protestantisme et franc-maçonnerie. Ils avaient
là un ennemi commun et quelque part c'est peut-être
ce qui manque aujourd hui. Je veux dire ceci, cet ennemi commun
pouvait rassembler protestants et francs-maçons dans un même
combat, cet ennemi commun aujourd'hui a tendance à s'étioler
quelque peu, il se fait moins virulent, l'Église est moins
présente, encore que l'église catholique soit trop
présente au sein de l'état, en Belgique on n'a pas
encore réussi cette séparation totale de l'Église
et de l'État, mais enfin on est sur le bon chemin et donc
cela demande évidemment, cette évolution, une redéfinition
du combat de la laïcité et de cette franc-maçonnerie
adogmatique, volontiers laïque, volontiers laïcarde même,
donc là il va falloir juger de l'évolution. Et c'est
vrai que l'église catholique aujourd'hui et le cléricalisme
en particulier ne constituent plus le combat du siècle comme
ce fut le cas au dix-neuvième.
- R.H. : Oui, mais est-ce que c est dû au
fait que l Église catholique a changé son discours
ou est-ce que c'est tout simplement dû au fait qu'aujourd'hui
elle est moins un point de référence, dès lors
c'est peut-être moins important de la combattre ?
- L.N. : Mais bien sûr tout cela est à resituer dans
le cadre de l'évolution des pratiques et des croyances religieuses
dans ce que l'on a appelé la post-modernité, donc
il y a effectivement un délitement des valeurs de références
à la religion en général et au catholicisme
en particulier. L'influence institutionnelle du catholicisme dans
nos pays diminue sensiblement et donc c'est une évolution
positive en effet.
- R.H. : Mais pour un protestant, je veux dire
un protestant moyen, est-ce qu'il n'y a quand même pas un
problème entre, enfin une inadéquation je dirais,
entre le culte réformé très dépouillé
et on pourrait presque parler d'une certaine nudité, d'une
certaine crudité même du culte protestant type et ensuite
le côté quand même un petit peu mégalomaniaque
de certains rituels maçonniques ?
- L.N. : Mais c'est sûr qu'il y a une inadéquation
mais pourquoi voudriez-vous qu'il y ait une adéquation ?
Pourquoi voudriez-vous que la maçonnerie soit comme le protestantisme,
que la liturgie maçonnique soit comparable au culte protestant
? Il n'y a aucune raison, ce qui signifie que le protestant qui
est franc-maçon, qui fréquente le culte protestant
et qui vit là un culte très dépouillé,
va au contraire trouver dans un atelier maçonnique une luxuriance
de symboles et de pratiques rituelles, donc plutôt que inadéquation
je parlerais de complémentarité entre les deux pratiques.
- R.H. : On parle souvent d'une certaine forme
de spiritualité maçonnique et vous savez que dans
les milieux protestants on parle facilement d'une spiritualité
protestante, encore qu'il n est pas facile de définir de
façon précise ce qu'on entend quand on parle de spiritualité
protestante, mais, est-ce que vous avez l'impression que cette complémentarité
elle peut se jouer à ce niveau-là ?
- L.N. : Oui, je pense en effet que la spiritualité est quelque
chose comme la religiosité, d'abord c'est un terme à
la mode et ce n'est pas pour rien que ce terme est à la mode,
c'est parce que, on parle même aujourd'hui de spiritualité
laïque, c'est parce qu'il y a ce besoin chez l'homme de transcendance
qui ne passe pas, qui ne passe plus par la transcendance religieuse,
et encore moins par la transcendance dictée par les églises.
Le bouddhisme connaît un succès retentissant dans nos
pays, certains francs-maçons font du bouddhisme la religion
du vingt et unième siècle. Je crois que la spiritualité
présente cet avantage de transcender tous les clivages, donc
c'est une ouverture vers quelque chose qui dépasserait la
matérialité et qu'on ne définit pas nécessairement
par rapport à une religion ou une divinité.
- R.H. : Tout en ne voulant pas conclure l'entretien
je voudrais quand même vous poser une dernière question.
Est-ce que vous avez l'impression que conjuguer les deux, protestantisme
et maçonnerie, c'est un plus ou bien on peut parler d'une
trahison, que ce soit d'un côté ou de l'autre ?
- L.N. : Alors, je ne vois pas bien où se trouverait la trahison.
Dire que c'est un plus eh bien oui c'est un plus pour certains,
oui. Alors il ne faut pas non plus hypertrophier la place de la
franc-maçonnerie, surdéterminer sa signification,
la franc-maçonnerie est ce qu'elle est, c'est une société
d'hommes, de femmes, avec tous ses travers. Je pense que le chemin
maçonnique, qui est un chemin de travail sur soi-même,
de connaissance de soi, de progrès personnels, peut apporter
des, un supplément d'âme à certains. Ce n'est
pas un passage obligé pour être plus homme, ce n'est
pas quelque chose d'imposé. C'est véritablement, peut-être,
une vocation ou un appel qui font que l'on se retrouve dans la pratique
de cette symbolique héritée des constructeurs de l'époque
médiévale, c'est tout de même quelque chose
d'assez particulier. Donc tout le monde n'est pas appelé
à devenir franc-maçon, voilà ce que je dirais.
(1) Télévision
belge, émission « La Voix Protestante » du 5
février 2001
(2) Le Protestantisme et la Franc-maçonnerie, des chemins
qui se rencontrent, éditions Labor et Fides, Bruxelles,
2001
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