L'AMI :
Le fer se couvre
de rouille, et les meubles de poussière. Quiconque a un
outil, un instrument de précision,
un objet d'art à garder, doit craindre cette lente invasion
des oxydes et des poussières. L'esprit a les siennes, comme
le corps. Tout homme est guetté par la rouille. Les membres ont l'ankylose; l'intelligence,
la routine; la volonté, l'imperceptible amollissement. Personne
n'est à l'abri, s'il ne veille. Sans cesse il faut s'exercer,
astiquer, se dégourdir. Jamais on ne peut se flatter d'être
brossé pour plus d'un jour. Le lendemain, c'est à recommencer.
Tant pis, si le laisser-aller
a pour toi du charme ! Il est le prodrome de toutes les décadences. Je serais
ton ennemi, si je ne sonnais le clairon d'alarme à travers
ton esprit assoupi. Regarde les hommes qui se négligent,
les peuples qui dorment sur leurs lauriers, les églises qui
dorment sur leurs doctrines. Leur sentence de mort est écrite,
par le doigt du destin, sur la poussière dont se couvre leur
tête.
L'avenir est aux vaillants qui
ne souffrent point de nuage au métal de leurs armes. Debout, mon fils, ne te
relâche point. Toute main qui nous secoue est une main amie.
Guerre à l'indolence! guerre à la rouille!
Charles Wagner, L'Ami,
Dialogues intérieurs, Fischbacher, Paris, 1902
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