Pierre A. Bailleux
J’ai rencontré, il y a peu de temps,
un commerçant brainois qui se figurait que Jésus était
catholique romain et qu’il avait institué la messe
en latin. Nous tomberions dans une erreur aussi puérile en
donnant à l’ascension un sens historique que nous empruntons
aux catéchismes de la chrétienté traditionnelle,
au théologiens du Moyen-Age ou aux doctrines conciliaires
inspirées par la logique cartésienne de l’antiquité grecque.
Le dictionnaire biblique de
Westphal (édité
en 1956) ne peut être soupçonné de libéralisme.
Et pourtant on y lit ceci: “reconnaissons que l’historicité
de l’Ascension n’est pas du tout attestée; Les
textes se rattachant à un seul auteur sont les plus sujet
à caution du Nouveau Testament.”
Pour ne prendre que la tradition
biblique, nous découvrons
de nombreuses ascensions. Je n’en citerai que quelques unes:
celle d’Elie (2e livre des Rois, chapitre 2) pour ce qui est
de l’Ancien Testament, mais il y aussi l’ascension d’Esaïe,
l’ascension de Baruch, l’ascension d’Esdras, l’ascension
de Moïse, l’ascension de Levi - pour les texte inter-testamentaires.
Et si nous faisons de l’histoire des religions
pour mieux comprendre des symboles tel que celui la nuée
(toujours présente dans les textes d’une ascension),
nous découvrons par exemple qu’en Irlande elle représente
la période transitoire entre deux états.
Dans la chine ancienne la nuée est le symbole de la métamorphose
vue, non pas dans son terme, mais dans son devenir.
Le texte d’Exode 19 est aussi explicite: “Je viendrai
à toi dans l’épaisseur de la nue afin que…
le peuple mette sa foi en toi à jamais.”
Les théologiens ont souvent détourné
le sens de l’Ascension au service de doctrines trinitaires
ou polémiques : Calvin et Zwingli ont utilisé le thème
de l’Ascension pour refuser une conception magique de l’eucharistie
(la présence réelle du Christ dans l’hostie).
Des théologiens, entraînés par
l’élan de la logique abstraite, en arrivèrent
au quatrième siècle à déifier Jésus,
à utiliser l’Ascension pour décréter
que Jésus était l’égal de Dieu et co-éternel
à lui.
Formule contradictoire, comme le souligne Wilfred Monod, puisqu’un
Père, par sa nature même, préexiste a son fils.
Ainsi l’église, dans l’élan de son enthousiasme,
de son attachement et de son amour pour Jésus, finit par
l’exalter au point d’imposer le dogme de la Trinité,
dans un premier temps, et d’oublier Dieu dans un second temps,
pour le remplacer par Marie et les Saints.
En affirmant: Jésus est Dieu, ils on pensé expliquer la personnalité
de Jésus. Or le mystère de la personne est insondable.
Pouvez expliquer celle de votre mère, de votre ami intime,
du professeur qui vous inspire?
Quand on aura dit: Jésus est Dieu, que saura-t-on, en réalité sur Jésus?
Au cours d’une promenade, je demande le nom d’une fleur
violette. On me répond: les botanistes l’appellent
“scabieuse”. Que sais-je de plus sur la fleur elle-même?
Rien. J’ai appris comment les savant la désignent,
voilà tout. De même les théologiens catholiques
et les évangéliques déclarent Jésus
est Dieu. Soit, si c'est un acte de foi personnel. Mais qu’on
ne prétende pas que la nature même de Jésus
a été dévoilée par le dogme de la Trinité.
Et surtout pas que la doctrine trinitaire se trouve dans la Bible.
C’est pourquoi, si vous
me demandez Qui est
Jésus? je répondrai: je l’ignore et je m’incline
devant le mystère de sa personne. Si vous me demandez Qui
est Jésus POUR VOUS? je répondrai: Ah je commence à
le savoir. Pour moi, il est mon Maître !
Le caractère très fragile, voire partiellement
infidèle de ces interprétations trinitaires de l’Ascension
n’est pas convainquant du point de vue de Biblique. Mais qu’importe
toutes ces discussions sur la Trinité car il est possible
de trouver à l’Ascension un sens qui s’inscrit
dans ce que nous appelons l’Histoire du Salut que
le calendrier liturgique reflète bien.
Nous avons l’habitude de comprendre les principales
fête chrétiennes à l’intérieur
d’une symétrie contestable: Noël - Pâques.
Or, Pâques n’est pas l’apothéose de l’Évangile.
La Croix et Pâques se trouvent au centre, par rapport à
Noël.
Le véritable parallélisme n’est
pas Noël-Pâques mais bien Noël-Ascension. Noël
nous dit qu’en Jésus, Dieu descend vers l’homme.
L’Ascension nous dit qu’en Jésus, l’homme
est élevé vers Dieu.
Noël proclame: Dieu connaît l’homme.
L’ascension proclame: l’homme naît en Dieu. Sous-estimer l’Ascension, l’oublier
ou, au contraire, le dénaturer (un collègue m’avouait
ne plus en vouloir de prêcher “Jésus en montgolfière”)
c’est tomber dans le piège d’une Incarnation
ou Dieu descend vers l’homme, certes, mais en l’abaissant,
voire en l’écrasant. Comme si Dieu avait besoin de
notre abaissement pour être grand, pour être Dieu!
Les catholiques et les évangéliques
affirment que Dieu est tout et que l’homme n’est rien.
Que la terre et l’homme sont sacrifiés au Ciel et à
Dieu. La prédication du “Jésus en Montgolfière”,
ou la prédication qui ignore l’Ascension, c’est-à-dire
qui s’arrête à Pâques (pire: à la
Croix) aura pour conséquence notamment de prêcher l’homme
orphelin, l’homme impuissant qui ne peut, évidemment,
qu’attendre le “retour” du Christ;
ce sera la prédication de l’attente de la fin
du monde.
Au contraire, c’est parce que Jésus s’en
est allé vers le Père que Dieu est présent
parmi nous. Et la prédication sera celle du message de Jésus.
Quand Jésus prêche Jonas, quand Jésus prêche
Amos, quand Jésus prêche les dix commandements, Jésus
prend position, sa prédication est acte “politique”
dans le sens noble du terme. Vous aurez remarqué que dans
la plupart des églises chrétiennes lors du rappel
de la Loi, le liturge ou le prêtre font essentiellement référence
aux dix commandements. OR Jésus a été plus
loin que le décalogue. C’est une des raisons pour laquelle
il a été haït par les prêtres et les scribes
de son époque.
Exemples:
Tu ne tueras point (mais moi je vous dis que si on te frappe sur
la joue, tu présentera ton autre joue).
Tu ne commettras pas l’adultère (mais mois je vous
dis que celui qui pense à une autre femme, il commet l’adultère).
etc.
Dès lors, à cause de la théologie
de l’Ascension, nous pouvons affirmer que Jésus nous
invite, nous ordonne, de faire en sorte, qu’à notre
tour, nous travaillons au Royaume de Dieu. La prière du “Notre
Père” prend alors tout son sens!
L’Ascension c’est la source de l’humanisme
chrétien, c’est-à-dire cette histoire du salut
où Dieu n’est jamais sans l’homme et où
l’homme n’est jamais sans Dieu. Les Pères grecs,
souligne le théologien orthodoxe Olivier Clément,
ont donné les lettres de créance à cet humanisme
en affirmant: “Dieu est devenu homme pour que l’homme
puisse devenir Dieu”. Telle est l’essence du christianisme.
La fête de l’Ascension a une importance
considérable. En retrouver le sens profond et la vérité
est sera un moyen de lutter contre une "Jésuslâtrie"
où Dieu n’est plus qu’une figurine en massepain.
Une christologie qui se situe entre Noël et l’Ascension
peut seule promouvoir une éthique dynamique et créatrice
comme l’affirme l’évangile de Jean au chapitre
14, le verset 12: “En vérité, en vérité,
je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres
que moi je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m’en
vais vers le Père”.
Pierre A. Bailleux
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