- Si le scribe me demande : "de quel droit
fais-tu cela ?" Que lui répondrais-je ?
L'AMI : Ne t'inquiète pas du scribe. Peut-être
faut-il des scribes aussi. «Es muss auch solche Käuze
geben» (De ces particuliers-là,
il en faut aussi ) a dit Goethe, d'un autre et fort malicieux personnage.
Le scribe est gendarme de la pensée.
Peut-on se passer de gendarme ? Je t'accorde que sa poigne est
lourde, et
que la forme ordinaire de son action est la gaffe. Pour lui, tout
libre croyant est un vagabond : il mettrait la main au collet
de
l'Esprit s'il soufflait en dehors des consignes.
Mais ne t'inquiète pas du scribe et ne le redoute
pas ! Réponds-lui, si cela te convient, mais ne te figure
pas qu'il t'écoutera ! Réponds-lui : "De quel
droit je fais cela ? Du droit qu'a le brin d'herbe de devenir flambeau
sous le rayon du matin, du droit dont la source murmure, dont rugit
le chêne, dont choit le caillou, d'où s'élance
l'aile.
Si le scribe, après cela, n'est pas satisfait,
envoie-le demander ses papiers à la brise, et son passeport
à l'ouragan.
Charles Wagner, L'Ami, Dialogues
intérieurs,
Fischbacher, Paris, 1902
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