Béatrice Spranghers
Saint-Michel terrasse inlassablement le Dragon
Il faut être très courageux - ou très
naïf ? - pour persister dans une perspective humaniste. Cela
vaut pour tous les temps, pas seulement pour le nôtre.
Il faut sans doute être ce courageux ou ce naïf
pour croire en un progrès de l'humanité, en une ascension
vers plus de justice et d'équité…
L'histoire hoquette et l'humain
amnésique répète
sans cesse les mêmes erreurs, comme quelqu'un qui se brûlerait,
toujours, oubliant les signaux que son corps lui envoie pour se
prémunir du malheur.
A la Grand'Place de Bruxelles,
dont la beauté
ne lasse pas, Saint-Michel terrasse inlassablement le Dragon au
sommet de l'Hôtel de Ville. Sa lance effleure le monstre mais
ne le transperce pas. A quoi bon le transpercer ? Il renaît
aussitôt que l'on croit l'avoir vaincu.
Ainsi la peste brune,
tapie là où on s'y
attendrait le moins
Eradiquée ? Non. Parfois couvant comme braise
sous cendre, prête à embraser le monde. Parce que l'humain
est faible, vulnérable, influençable et qu'un souffle
maudit suffit à l'incliner vers la monstruosité.
Le Livre des Juges (9;8-15)
propose une parabole amère
mais tellement lucide. Les arbres requièrent un roi "sécurisant".
Soit, le peuple se cherche un dirigeant qui le dispense de penser,
de chercher où sont ses responsabilités. Evident.
Plus on est faible et sous-informé, plus on a besoin d'impératifs,
d'ordre et de structures strictes. Ça rassure.
Pour choisir leur roi, les arbres
ont bien consulté
leurs congénères éclairés: l'olivier,
le figuier, la vigne. Mais ces trois-là ont plus précieux
à faire que de planer sur autrui, que de profiter du pouvoir.
Après ce triple refus, les arbres sollicitent
donc le plus médiocre d'entre eux: le buisson d'épines,
arrogant et stupide. Enfin ! Voilà un élu réceptif
aux requêtes des électeurs. Il les invite à
se réfugier sous son ombre !
Pour trouver de l'ombre sous
un buisson d'épines,
il faut ramper, s'érafler, sans pour autant y trouver satisfaction.
Là, l'ombre apaisante, la douceur de vivre est un leurre.
Le slogan est mensonger, l'esbroufe totale, l'arnaque irrémédiable.
Qui plus est, puisque le ridicule ne tue pas, le buisson menace
d'embraser les majestueux cèdres du Liban. La bêtise
veut toiser la splendeur.
Il était un sot qui, en 1988, proclamait :
si vous me donnez le pouvoir, je nettoierai la France de ces quatre
fléaux : les juifs, les communistes, les protestants et les
franc-maçons. Là on pensait : si seulement le ridicule
pouvait tuer… mais peu importe puisqu'il n'est pas d'avenir
envisageable pour un discours aussi réducteur et grossier.
… le temps a passé. L'ivraie a envahi
le champ. On ne peut l'arracher, pas plus que Saint-Michel n'occira
le Dragon. Mais il possible de limiter l'extension de l'ivraie,
de circonscrire les dégâts du Dragon. Ou alors, il
faut renoncer à l'humanisme, désespérer de
l'humanité.
Charles Wagner disait : « L'homme est une espérance
de Dieu ». Dieu est un humaniste ?! Si lui ne désespère
pas de l'émergence de l'Humain (et tant de textes bibliques
l'attestent), ce serait un peu mesquin de notre part de rester
en
rade.
Béatrice Spranghers
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