retour petite gazette
 Spiritualités
Foi ou croyance


André Gounelle

- 1. Foi ou croire
- 2. Que veut dire « croire » ?
- 3. Sérénité et tourments de la foi
- 4. Foi et pensée

1. Foi ou croire

Le théologien zurichois G. Ebeling aurait dit, un jour : « On ne devrait pas dire “j’ai la foi”, mais “je crois”. » Ne croyez pas qu’il s’agisse là d’arguties d’intellectuels et qu’utiliser un substantif ou un verbe revient au même.

Le nom convient mal parce qu’il favorise un malentendu. En principe, les substantifs désignent des objets. Or ce qu’on a l’habitude d’appeler « foi » n’est pas une chose qu’on détient, qu’on perd, qu’on retrouve, qu’on transmet, comme un trousseau de clefs ou un porte-monnaie.

La foi est une quête, une démarche, un mouvement, une relation vivante (avec ses hauts et ses bas). Elle se développe ou régresse, elle se modifie, elle évolue, elle passe par des périodes heureuses et des moments de crise. Elle nous travaille, nous change, comme l’amour ; mais justement on dit « j’aime » et non « j’ai l’amour ». Pour parler de ce qui est mouvement et activité, on emploie de préférence des verbes.

Malheureusement, croire n’est pas un très bon verbe. Il favorise également des méprises. Il évoque la croyance et la crédulité dont la foi se distingue fondamentalement. Néanmoins, souligner qu’avoir la foi signifie « je crois » présente deux avantages.

D’abord, on détourne ainsi de voir dans la foi un ensemble de doctrines à accepter. Je n’entends nullement éliminer les doctrines, elles sont tantôt utiles tantôt encombrantes. Quand elles sont bonnes, elles aident à penser la foi. Pourtant, la foi n’est pas faite de dogmes, de croyances ou d’opinions. Elle est mouvement et relation.

Ensuite, on souligne son caractère foncièrement personnel. Certes, elle n’isole pas ni ne sépare ; elle crée des communautés avec des liens forts et profonds (et aussi parfois étouffants). Mais ces liens découlent de ce que chacun de nous est, et vit. Le « je crois » ne répète pas un « nous croyons »; le « nous croyons » de la communauté se balbutie et s’esquisse à partir de plusieurs « je crois » individuels qui à un certain moment ont su converger.

2. Que veut dire « croire » ?  

Comme le note déjà en 1530 Melanchthon, l’ami de Luther, les chrétiens parlent beaucoup de foi, mais ne s’accordent guère sur le sens de ce mot.

Au Moyen Âge et à l’époque classique, beaucoup considèrent que croire veut dire accepter et faire siennes des croyances, dont on dresse la liste dans des textes appelés précisément « confessions de foi ». Ici, la foi consiste, avant tout, à adhérer à des doctrines et le bon croyant se caractérise par son « orthodoxie ».

D’autres privilégient l’affectivité ; ainsi, la période romantique cultive une piété émotive, qui va parfois jusqu’à une sensiblerie religieuse. La foi naît quand l’Évangile remue une âme, lorsque le Christ touche un cœur. Elle se manifeste par des larmes (de repentir ou de joie) qui témoignent de son authenticité. «J’ai pleuré, donc j’ai cru», écrit Chateaubriand.

Enfin, sous l’influence de l’existentialisme, on a présenté la foi comme une décision, un acte de la volonté qui s’engage pour le Christ. « Croire, ce n’est rien d’autre que vouloir croire », écrit le philosophe espagnol Miguel de Unamuno commentant le pari de Pascal. Le savoir ne peut pas déterminer la juste orientation à donner à sa vie ; il faut donc opter, prendre parti, avec le risque que cela comporte. La foi est ce choix pour Dieu.

Ces diverses conceptions ont toutes une part de vérité ; la foi implique bien des croyances, des sentiments et des décisions. Elles sont cependant insuffisantes et laissent de côté l’essentiel. Le Nouveau Testament appelle « foi » une relation vivante et personnelle avec le Christ ; elle est la présence agissante de Dieu dans l’existence du fidèle.

3. Sérénité et tourments de la foi  

À ceux qu’il rencontre, Jésus ne demande pas d’adhérer à des doctrines. Le Nouveau Testament parle peu de leurs émotions. Prennent-ils vraiment une décision ? « Je ne puis autrement », a dit un jour Luther, et souvent le croyant ne peut pas faire autrement que croire. Aussi, le mois dernier, ai-je écrit que si, bien sûr, la foi comporte des croyances, des sentiments et des engagements, elle est autre chose : une rencontre et une relation avec Dieu. Plus précisément, on peut parler de foi chrétienne quand la parole évangélique interpelle et réconforte quelqu’un, le secoue et l’apaise, le trouble et l’éclaire, l’inquiète et le rassure.

Toute relation connaît des moments d’acceptation, de confiance, d’assurance, et d’autres de négation, de rejet, de protestation. Les certitudes et convictions des croyants n’éliminent pas leurs questions et angoisses. La foi se débat avec Dieu et avec soi-même. Le père de l’enfant démoniaque le dit très bien : « Je crois, viens au secours de mon incrédulité. » Même Jésus sur la Croix s’est demandé si Dieu ne l’avait pas abandonné. Doute et contestation font partie de la foi. Elle ne les

supprime pas, elle les affronte et surmonte.
Une foi sans révolte, sans interrogations, sans perplexité est une foi morte ; Dieu ne l’inquiète plus ni ne l’anime. Une foi sans hésitation et sans questionnement sur elle-même relève du fanatisme ; elle s’imagine posséder Dieu. Mais une foi vivante reçoit la force de résister à ce qui constamment l’ébranle et l’agresse. Sa sérénité n’est pas absence de tourments, elle est ce courage qui fait face aux tourments de l’existence.

Croire veut dire être travaillé par Dieu, parfois heureusement, parfois durement, toujours positivement.

4. Foi et pensée  

Quand Jésus cite Deutéronome 6,4-5 : « Tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force », il ajoute « de toute ta pensée ». Il disqualifie ainsi explicitement une foi qui mépriserait ou négligerait la pensée.

Sont-elles compatibles ? La pensée, dit-on, veut comprendre, elle demande rigueur et clarté, elle met en doute, alors que la foi accepte l’incompréhensible, se réfère à des mystères obscurs et se soumet à une révélation qui la dépasse. Quand ils se disent « libres penseurs », les incroyants laissent entendre que les religieux ne pensent pas librement (ce qui, hélas, est parfois le cas). De leur côté, des croyants récusent la raison, la science, la sagesse, accusées de relever de l’orgueil humain (ce qui, hélas, n’est pas toujours faux). Pour les uns comme pour les autres, par nature, la pensée serait irréligieuse et la foi irrationnelle.

Il faut refuser catégoriquement cette opposition. Seule une foi intelligente et savante préserve d’une religion obscurantiste qui blasphème Dieu et déshonore l’homme. Même, et peut-être surtout, quand elle secoue, critique et conteste la foi, la pensée l’oblige à s’approfondir et l’empêche de tomber dans la superstition et le fanatisme. Foi et pensée, y compris quand elles sont en débat, loin de se nuire, se fécondent et se corrigent mutuellement.

Albert Schweitzer nous invite justement à les associer dans ce qu’on pourrait appeler, en reprenant une expression de Paul (Rm 12,1), un « culte raisonnable » (le mot employé en grec est « logique »). Ne crions pas à l’intellectualisme dès qu’on nous demande un effort de réflexion.

On n’aime vraiment Dieu, on ne reçoit fidèlement l’Évangile que si, avec toutes les exigences de la raison, on pense sa foi.

André Gounelle. Castelnau-le-Lez  

Série parue dans Evangile et Liberté de février à mai 2006



 Spiritualités
 Hannah Arendt (1)
 Hannah Arendt (2)
 ombre et lumière
 l'hérétique
 la porte et le seuil
 poésie sapientielle
 de Zoroastre à Jésus
 Tranfiguration
 familles spirituelles
 parce que je suis nu !
 une époque de ténèbres?
 l'étude du Talmud
 un esprit de douceur
 protestant et franc-maçon
 le sacré
 exorciser les païens ?
 réhabiliter les païens ?
 le chamane náhuat
 foi et croyance
 mort, peur, doute, foi
 la crainte de l'Éternel
 une sagesse ancienne
 de quel droit ?
 étonnantes béatitudes
 comment sont les gens ?
 la prière de l'artisan
 ode à la résurrection
 j'affirme avec audace
 la météo des cardinaux
 Jésus parmi les athées
 une pauvre milliardaire
 la jésuslâtrie
 tu a soif, réjouis-toi
 la rouille
 ni capter ni canaliser
 la cruauté de la vie
 St-Michel et le Dragon
 la foi et la raison


Profils de libertés

Nous apportons notre appui à toutes démarches visant à lutter contre
le totalitarisme,
le sectarisme,
la xénophobie,
le fondamentalisme et l'intégrisme
de toute obédience.

Un site engagé

De bric et de broc

« Résister, c'est rêver qu'un autre monde est possible. Et contribuer à le bâtir. »

           Ignacio Ramonet