Anne Sandoz Dutoit
Morsure
profonde
Mort sûre du monde
Mort lente pénétrante
qui nous jette à genoux sans remous lorsque survient la
fin Il y a la mort douce dans laquelle glisse une nuit
le vieillard fatigué après tant d'années de
solitude.
Il y a la mort-délivrance du cancéreux
hagard aux yeux immenses dans un visage rongé par la maladie.
Il y a la mort héroïque dont les journaux
se font l'écho, celle du délégué de
la Croix-Rouge sur les champs de bataille du monde ou du navigateur
intrépide en pleine course.
Et puis il y a la mort violente,
révoltante
- de l'enfant fauché par un automobiliste trop pressé;
- des adultes trop souvent avides de pouvoir;
- de ces adolescents armés jusqu'aux dents ;
- du jeune père qui laisse une épouse effondrée
et des enfants déboussolés;
- de la femme enceinte éventrée à coups de
bottes au nom de je ne sais quel nationalisme exacerbé.
Toutes ces mains qui se tendent,
ces voix implorantes : " Encore une heure, encore un jour, encore un an ".
Il y a la peur de provoquer la mort pour un instant
d'inattention au volant ;
il y a la peur de voir mourir ceux que j'aime ;
la peur de mourir, ou plutôt, de souffrir avant de mourir
;
la peur de faire pleurer ceux qui me survivront.
Et pourtant, la Bible nous dit
que Dieu est présent
dans tous ces moments-là, que Sa face luit pour les affligés.
Elle nous parle de l'espoir de la résurrection grâce
au Christ qui a vaincu la mort et fait pénétrer l'amour
au cœur même de la plus horrible des morts, la mort violente
sciemment infligée par l'Homme à l'un de ses semblables.
Mais comment formuler cela lorsqu'il
faudrait consoler ceux qui pleurent un être cher ?
Et d'ailleurs, est-ce que j'y crois vraiment ?
Comment ne pas être impressionnée par
le grand mystère de la mort ? … cette mort que chacun
porte en soi dès sa naissance comme le fruit son noyau, ainsi
que le décrit si bien l'écrivain allemand Rainer
Maria Rilke.
Oui, j'ai peur. Oui, je suis
révoltée par certaines morts. Oui, je doute. Il ne
me reste alors plus qu'à crier ma peur, ma révolte
et mon doute dans ma prière. Je crois que même ainsi
la foi s'exprime, dans le doute formulé par le chrétien
en prière.
Anne Sandoz Dutoit, Cèdres
Formation
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