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 L'enfer
Une salutaire déconstruction


Jean Bricmont

La version israélienne et américaine du conflit du Proche-Orient, qui irrigue largement nos médias, veut nous faire croire que sa source se situe dans une haine irrationnelle des musulmans contre les juifs ou contre l’Occident. Cette optique a successivement créé plusieurs mythes : la « terre sans peuple pour un peuple sans terre », qui a occulté le nettoyage ethnique de 1948 ; le danger mortel pour Israël que la guerre de 1967 (1) aurait évité préventivement ; la responsabilité exclusivement arabe de la guerre de 1973 ; le fait que les attaques israéliennes ne seraient jamais que des « ripostes » ; enfin, depuis Oslo, l’accent mis sur un « processus de paix » et sur les « offres généreuses » faites aux Palestiniens par l’Etat hébreu.

L’ouvrage de Norman Finkelstein, dont la première édition a paru en anglais en 1995, démonte un à un tous ces mythes (2). Il commence par ce qui fut l’objet de sa thèse de doctorat, la réfutation d’un ouvrage d’une certaine Joan Peters, qui faisait écho au mythe du « désert » dans lequel les premiers colons israéliens se seraient installés. Bien que personne n’ait pu sérieusement défendre le livre de Peters, il a été encensé par une bonne partie de l’intelligentsia américaine, ce qui a sans doute contribué à rendre la carrière de Finkelstein particulièrement difficile : à plus de 50 ans, il doit encore se contenter de contrats temporaires (3).

Finkelstein inscrit les thèses des partisans du sionisme dans le discours colonialiste. Ce rapprochement risque de choquer. Il n’en demeure pas moins que, de la conquête de l’Ouest américain à la colonisation de l’Algérie ou de la Palestine, le discours de justification des nouveaux venus a toujours été le même : le colon « met en valeur » une terre essentiellement vierge, peuplée de sauvages, contre lesquels il lui faut « se défendre », une fois qu’il les a envahis.

Pour ce qui est des guerres de 1967 et de 1973, Finkelstein montre, en s’appuyant entre autres sur les déclarations des dirigeants israéliens, qu’il ne s’agissait nullement, pour la première, d’une opération militaire d’autodéfense, et que la seconde a résulté du refus israélien des propositions égyptiennes de règlement pacifique du conflit, à l’époque même de Sadate.

Enfin, Finkelstein démontre que les accords d’Oslo, loin d’être un progrès pour la paix, comme l’a soutenu une bonne partie de l’opinion progressiste occidentale, constituaient en réalité, de la part d’Israël, une tentative de « bantoustanisation » des territoires occupés.

Le livre de Finkelstein permet d’avoir une vue objective des racines et de l’histoire du conflit israélo-palestinien, l’un des plus chargés symboliquement de notre temps, et qui demeure porteur de guerres sans fin.

Jean Bricmont. Le Monde Dimplomatique juillet 2007 — Page 26

1) Lire le dossier du Monde dossier « Juin 1967 - Aux origines des crises proche-orientales », Le Monde diplomatique, juin 2007.
(2) Norman Finkelstein, Mythes et réalités du conflit israélo-palestinien (avec une préface de Dominique Vidal), Aden, Bruxelles, 2007, 25 euros, 441 pages (traduit par Serge Deruette et Patrick Gillard).
(3) A la suite d’une campagne liée à ses opinions sur le Proche-Orient, Finkelstein s’est vu refuser sa titularisation début juin 2007.



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