Hélène Küng Le mot éveille de tristes échos. Si
impossible n'est pas français, on voudrait qu'exclu ne soit
pas chrétien. Eh bien, c'est raté.
L'exclusion surgit à chaque page ou presque
de la Bible. Faut-il montrer du doigt la tradition judéo-chrétienne,
grande exclueuse devant l'Éternel? fit sera exclu de l'assemblée...
Je le retrancherai du sein de son peuple... Ils seront voués
à l'interdit... Elles seront chassées de la surface
de la terre... On dirait que l'exclusion se conjugue à tous
les modes et à toutes les personnes -mais avec un sujet :
Dieu. Il exclut, rejette et exige de ses fidèles qu'ils fassent
de même. Il arrive qu'ils le lui rendent bien : «Vous
avez rejeté le Seigneur votre Dieu…»
Première surprise : l'exclusion
ainsi évoquée ne se confine pas aux antiques pages
de l'Ancien Testament! Elle fleurit jusque dans les Évangiles.
Beaucoup d'appelés mais peu d'élus, séparation
des brebis et des chèvres, rejet des iniques... Les jeunes
filles imprévoyantes, l'invité sans habit de noce,
l'intendant timoré sont chassés à grands coups
de paraboles de la présence du... sauveur !
Deuxième surprise : ces récits
d'anathème, d'exclusion si peu évangéliques,
qui donc les a mis en pratique? Non, pas d'abord le judaïsme,
mais les chrétiens! Croisés et conquistadores en tête
suivis de la foule. L'exclusion, bien enracinée dans notre
histoire à nous. Et jusque dans de malheureuses traductions
de Psaumes: «le maître de nos champs vous exclut de
la gerbe…» Le nos et le vous sont révélateurs:
à génération faite, le croyant tend à
se situer du bon côté de l'exclusion. Or, c'est là
que la tradition biblique, prophètes en tête, l'attend
au contour. L'exclusion déborde de toutes les sécurités,
y compris celle de la foi. «Je vous ai choisis, dit Dieu;
c'est donc à vous que je demanderai compte de toutes vos
injustices» (Amos 3,2).
Troisième surprise : ce Dieu
qui pourchasse la méchanceté jusque chez les siens
(Esaïe 58), ouvre ses bras et sa promesse toute grande à
qui veut bien marcher sur sa route: tous et toutes, étrangers
y compris (Esaïe 56). A cette affirmation de l'Ancien Testament,
Jésus fera écho en disant: «Je ne rejetterai
personne qui vient à moi».
Allons-nous donc contrebalancer les récits
d'exclusion avec les textes accueillants, en espérant dévotement
que ceux-ci soient en surnombre? Non. Pas d'acrobatie statistico-biblique.
Il nous reste... à continuer à être dérangés,
secoués. Par les textes d'exclusion comme par les textes
d'accueil. Seul le Dieu qui dérange est le Dieu qui sauve,
clament les prophètes. Ou on se laisse déranger en
réfléchissant, ou on se perd.
Hélène Küng
|