| Manuel Grandjean
 Il y a à peu près neuf chances sur
              dix pour que le lecteur de ces lignes ne se sente pas concerné par
            la cause des gays et des lesbiennes.  Erreur, pourtant, que ce désintérêt:
              c'est la marge qui donne la lisibilité. D'un texte comme
              d'une société humaine. À la protection offerte aux
              minorités,
                on peut mesurer la réalité de la démocratie.             Parmi les groupes discriminés, les homosexuel-le-s ont
                souvent été et
                sont encore ceux qui suscitent le rejet le plus fort. Ceci pour
                plusieurs raisons. • 
              La différence d'orientation sexuelle
                touche –évidemment– l'intimité de l'être
                et mobilise chez chacun une réaction plus instinctive
                que raisonnée.
 • 
              Ensuite, l'identité de genre joue
                un rôle
                constitutif de notre organisation sociale. Même si ce n'est
                pas exact, la reconnaissance de droits égaux pour les
                homosexuel-le-s apparaît comme une remise en cause de la
                famille hétérosexuelle
                et donc, pour certains, de la société elle-même.
 • 
              Enfin, la différence sexuelle charrie des millénaires
                d'interdits et de persécutions religieuses, basés
            sur un ordre naturel ou divin fantasmé.
 Le bilan, donc,
                n'est pas... rose Dans de très nombreux
                endroits de la planète, l'homosexualité est encore
                considérée purement et simplement comme un délit.
                Au mieux, comme dans certains Etats des USA, les lois réglementent
                la vie intime (alors que d'autres Etats sont très libéraux).
                Au pire, les gays et les lesbiennes sont torturés pour
                arracher la confession de leur «déviance»,
                violés à titre «thérapeutique» ou
                liquidés par des escadrons de la mort qui les considèrent
                comme des «déchets». En 2003, la condamnation
                en Egypte de vingt et un homosexuels à trois ans de prison
                a encore donné un triste exemple de persécution.             Malgré ces faits, la communauté internationale
                n'est manifestement pas prête à offrir une protection
                spécifique
                aux minorités sexuelles. En avril de l'an dernier, à la
                Commission des droits de l'homme, une résolution dénonçant
            les violations commises en raison de l'inclinaison sexuelle a été bloquée            par les pays catholiques et musulmans.  La situation est certes
                meilleure dans les sociétés
                occidentales. Là, les droits des gays et des lesbiennes
                ont sensiblement progressé depuis la révolte de
                Stonewall à New
                York, le 28 juin 1969 –un événement clé de
                la naissance du mouvement de revendication homo célébré à travers
                le monde par la Gay Pride. Mais les acquis restent lents, incertains
                et incomplets. Les discriminations demeurent nombreuses et peu
            documentées.  En 2001, l'association vaudoise de personnes
                concernées par l'homosexualité Vogay a publié l'une
                des rares études sur le sujet. Celle-ci fait ressortir
                que, en terre vaudoise, les trois quarts des gays et des lesbiennes
                ont le sentiment d'être discriminés, victimes de
                comportements agressifs verbaux ou physiques, rejetés
            par leur famille ou sur leur lieu de travail.  Un combat qui nous concernent tous Alors que la stabilité affective
                et relationnelle des couples homos arrive peu à peu à être
                reconnue par la mise en place de «pacs», le débat
                sur l'homoparentalité balbutie,
                dernier refuge des homophobes et des moralistes de tout poil.
                Là,
                on met en avant la nécessité d'un père et
                d'une mère, alors que personne n'oserait invoquer cet
                argument aux milliers de mères et de pères célibataires
                qui élèvent seuls un enfant. On demande aux homos
                d'assumer l'infécondité de leur union, alors que
                tous les efforts sont faits pour aider les couples hétéros
                stériles. Sur ce terrain, on fait assaut de mauvaise foi
                pour ne pas concéder l'égalité. Tactique éprouvée
                par le passé: que n'a-t-on pas dit des femmes pour leur
            refuser des droits civiques et politiques...  Comme le combat
                féministe, la lutte des gays et des lesbiennes
                n'a pas pour but le gain de privilèges, mais la reconnaissance
                de leur... banalité: quelle que soit leur orientation
                sexuelle, et pour autant que celle-ci s'exprime entre adultes
                consentants,
                les homos sont des personnes comme les autres, au bénéfice
                des mêmes droits, notamment le droit à la famille
                et à la parentalité. À ce titre, la cause des minorités
                sexuelles concerne tous ceux qui sont soucieux des progrès
            de la démocratie. Manuel Grandjean, Le
                  Courrier (CH) du
            3 juillet 2004  |