Le texte ci-dessous est du jeune Luther, ennemi de la persécution des hérétiques. Il est dans
la droite ligne du Traité de l'autorité séculière
(1523). On sait que le vieux Luther n'aura malheureusement plus
les mêmes vues. « On peut voir ici à quel point nous
avons mal agi, nous qui avons voulu conduire les Turcs à
la foi par la guerre, les hérétiques par le feu, les
Juifs en les menaçant de mort, ou par d'autres injustices.
Nous qui avons voulu arracher l'ivraie par nos propres forces, comme
si nous avions le pouvoir d'agir sur les cœurs et les esprits,
comme si nous avions en main la puissance de conduire tous les hommes
à la justice et à la piété. Ce que le
Dieu unique ne fait pas, cela n'est pas à faire.
Mais nous autres nous arrachons les hommes à
la parole, et nous les mettons à mort, leur interdisant de
jamais changer. Et nous nous rendons coupables d'un double crime
(autant que nous sommes responsables de notre action) : contre le
corps, que nous détruisons par la mort temporelle; contre
les âmes, que nous précipitons dans la géhenne,
en leur infligeant une mort éternelle. Ensuite nous prétendons
que nous avons obéi à Dieu, et nous nous en promettons
une récompense particulière au Ciel. C'est donc à
bon droit que ce passage de l'Evangile devrait effrayer les inquisiteurs
des hérétiques, et ces meurtriers qui, pour la moindre
erreur, exécutent des hommes! Quel front d'airain ne faut-il
pas avoir pour s'y résoudre si aisément, et cela quand
bien même on aurait entre les mains des hérétiques
avérés! Voilà que maintenant ces gens brûlent
de véritables saints, et deviennent eux-mêmes hérétiques.
Car qu'est-ce d'autre qu'arracher le blé, en
prétendant qu'on arrache l'ivraie ? Il faut vraiment avoir
perdu la raison pour agir ainsi, et rien d'autre.»
Martin Luther,
Kinohen
Postüle "sur l'Evangile de la zizanie (ivraie)",
2. édition d'Erlangen, vol. XI.
|