1) Songes et mensonges
Jacques Chopineau
- La
libre parole
- Les mots détournés
de leur sens
- El-qaida
n'existe pas
- Que
signifie
« tanZîm
el-qâ’ida
» ?
- Le
fondamentalisme…
- …et
le contexte historique
La libre parole
Démocratie suppose libre parole :
tous seront d’accord sur ce point. L’information
est un droit fondamental. Il faut, dès lors, que les mots
qui véhiculent cette parole, soient compréhensibles.
Grandes assurances, paroles vertueuses, promesses électorales
et autres déclarations des responsables (élus,
experts ou informateurs) doivent pouvoir être examinées
de façon critique. En tous temps, le premier pas de cette
démarche est l’examen du sens donné aux mots.
Tel est bien, en démocratie, le rôle
indispensable d’une presse d’opinion. C’est à elle
qu’il revient d’avertir les citoyens,
de dénoncer les abus ou les dérives de tel ou tel responsable
(élu ou non). Si une presse ne joue pas ce rôle, si la télévision
impose la vision du seul pouvoir (et consacre le plus clair de son effort aux
variétés et aux jeux), ou encore voue une admiration servile à une
information étrangère, alors les citoyens deviennent des consommateurs.
Dans ce cas, la démocratie risque de devenir une simple pétition
de principe, et, pour ainsi dire, un argument de vente.
Pire encore, les journalistes peuvent devenir
des amuseurs : des emballeurs (certes talentueux) d’une
pensée dominante. Des faire-valoir, non-critiques, d’un
pouvoir qui montre ou non son vrai visage. Certes, même
une information molle ne saurait accepter de censure brutale.
Le pouvoir est plus subtil que cela. Conformisme et suivisme
sont parfois les atouts d’une carrière réussie.
Ainsi, le discours informatif, souvent, va dans le sens de ce
qu’on attend de lui.
De là, ces émissions d’information
dans lesquelles, pour l’informateur (ou l’informatrice),
le protagoniste a raison s’il pense comme lui (ou comme
elle), mais suscite un sourire s’il pense autrement. Conformisme…
À l’inverse, montrer et dire
ne sont pas sans risque. Aucun pouvoir n’aime être
contredit. Cependant, dans tous les cas, une attitude critique
suppose la clarté du sens des mots. Pas de pensée
sans mots, ni sans accord sur le sens des mots. Beaucoup de mots
sont utilisés en des sens différents : l’information
n’est jamais innocente !
Dans tous les cas, lorsque les mots sont
maltraités : c’est pour le malheur du citoyen. Mais
apparemment, pour beaucoup de professionnels de la parole (écrite
ou dite), le sens courant des mots est celui qui est attendu
par le grand public. Et plus un mot est dit et redit, plus il
fait partie de la réalité ordinaire. Cela existe
: puisqu’on en parle ! « Ils » l’ont
dit, et répété, à la télévision.
Cette information (surtout télévisée)
est un rouleau compresseur –si toutefois elle va dans le
sens du vent. A contre-courant : elle n’intéresserait
qu’une minorité. Or la télévision
(comme aussi la grande presse) a besoin d’un large public.
Les nuances sont ici mises de côté. C’est
un souci de vendeur pour qui la qualité est mesurée
en termes de chiffre des ventes. Comment emballer ? ou comment
informer ? Comment vendre… pour se faire élire,
ou pour augmenter le chiffre d’affaire, ou pour plaire à un
large public : entre ces divers buts visés, l’intersection
est importante !
Les mots sont détournés
de leur sens
La sous-information courante repose sur un pilier
principal qui est l’ignorance. Il est d’autres appuis
annexes : l’oubli, l’inculture, le parti-pris, la mauvaise
foi, le désir de plaire, la crainte de déplaire…
Un exemple est, en nos contrées, l’ignorance de ce qu’est
l’Islam. Une ignorance qui est parfois abyssale et qui ouvre la porte à tous
les amalgames. Dans notre perception orientée, nous avons tendance à placer
sur un même axe : Islam-islamisme-conservatisme, voire terrorisme. Cela
est injuste et faux.
Circonstance atténuante à ce sujet
: le phénomène est nouveau. Nos parents ne connaissaient
pas cet Islam qui est devenu la deuxième religion de nos
pays. Notre histoire, par contre, est pleine de guerres menées
jadis contre les infidèles (croisades, occupations, dominations…).
Aujourd’hui, cependant, des millions d’européens
adhèrent à cette tradition religieuse, mais aux yeux
d’une majorité de nos concitoyens, l’Islam est
une inconnue, voire une inconnue dangereuse. Cette anomalie mettra
du temps à se dissiper. La vérité emprunte
parfois un chemin long. Mais pour l’heure, apparemment, une
information approximative est la seule qui puisse être immédiatement
digérée. C’est donc celle-là qui est
diffusée. Est entendu ce qui est attendu… et inversement.
Quelques attentats scandaleux et spectaculaires
semblent donner raison à ces amalgames. L’Islam pacifique
et juste est renvoyé dans les marges. Des dérives
absurdes du genre « choc des civilisations » trouvent
un écho dans certains médias et dans un certain discours
politique.
El-qaida n'existe pas
Prenons le cas d’une « information » courante
au sujet d’El-qaida. À entendre nos médias,
il existerait une organisation terroriste nommée
«
el-qaida », ennemie de la démocratie etc… Il
s’agirait d’une organisation structurée commandée
par un chef suprême (en l’occurrence Oussama ben
Lâden). Or, il n’existe rien de semblable. Une telle
organisation centralisée n’existe pas.
Le soi-disant « réseau » terroriste
est un mythe. Les attentats -bien réels- perpétrés
par un tel réseau responsable sont englobés dans
le même fantasme médiatique. La précaution
oratoire de ceux qui délivrent ces
«
informations » est : «appartenance présumée » ou « soupçonnée » (c'est-à-dire,
en fait, non prouvée). Mais cette précaution est
vite oubliée. Le « lien présumé » devient,
au fil des informations, un lien évident.
Nous avons ici un exemple de création de
l’information dont la source est politique, mais que le suivisme
des médias rend habituelle, évidente et -pour ainsi
dire- réelle. Les méfaits de ce mensonge ont trouvé leurs
lettres de noblesse, en quelque sorte, dans les mensonges victorieux
d’un président américain et ses suivants qui
a voulu faire croire au monde à des liens entre les attentats
du 11 septembre, l’Irak et el-qaida. Liens inventés
pour les besoins de la cause, mais abondamment répercutés,
ici et là, par une presse occidentale conformiste.
Disons clairement que le diable « el-qaida » n’existe
pas ! Ce qui ne veut pas dire que rien n’existe, évidemment
! Des groupes terroristes nombreux sont bien actifs, en effet,
ici et là. Et de tels groupes sont justement combattus.
Mais il ne s’agit pas d’une organisation unique, dirigée
par un seul homme. Comment en est-on arrivé à nous
faire croire qu’il existe un monstre appelé « el-qaida » ?
En fait, ce monstre est du genre « hydre » et
cette hydre a plusieurs têtes –lesquelles renaissent
après avoir été coupées. Et elles renaîtront
toujours, en divers lieux de la terre. Convergences de groupes
isolés et non organisation centralisée.
Que signifie « tanZîm
el-qâ’ida
» ? Certes, on peut traduire « tanZîm
el-qâ’ida » par « organisation du
fondement ». Mais de quel « fondement » s’agit-il
?
C’est un « fondement » auquel
des groupes divers se rattachent sans être liés entre
eux, sinon par une haine commune d’un grand Satan qui traîne
dans son sillage les nombreux peuples complices de ses forfaits.
Un lien de solidarité peut unir des groupes différents,
mais cela n’implique pas de liens formels entre l’un
et l’autre.
Pourtant, on ne manquera pas de se référer à une
telle organisation : elle existe, puisqu’on se réfère à elle
! La même logique prouverait aussi bien l’existence
du Diable –ce qu’on a fait pendant des siècles.
Cela fut même la source de la répression des sorcières…
De même, el-qaida existe… puisqu’on
en parle ! La place est grande ouverte aux mensonges des va-t-en-guerre,
même si les prétextes inventés ne trompent
que ceux qui les croient (les inventeurs, eux, ne sont pas naïfs).
Laissons les mensonges et revenons à l’information
ordinaire et à ce fantôme d’el-qaida. Pour dénoncer
cette approche, il importe d’en comprendre l’origine
-laquelle est, à l’origine, scripturaire. Une certaine
lecture du texte sacré est la source.
Le
fondamentalisme…
Il faut se souvenir que de tout texte, plusieurs
lectures sont possibles. En particulier, un texte qui a un statut
de texte sacré (Bible, Coran ou autre…) peut être
lu de manière étroite (contraignante, restrictive,
intolérante), ou large (ouverte, tolérante, mesurée,
historique…). C’est la lecture (et donc le lecteur)
qui fait le sens. On trouve parfois dans le texte ce qu’on
porte en soi. Dieu me dit ce que je pense qu’Il dit dans
Son Ecriture.
C’est ainsi que des lectures « fondamentalistes » de
la Bible sont pratiquées par ces fondamentalistes chrétiens
(dits « évangéliques ») qui justifient
l’écrasement actuel du peuple palestinien, au nom
d’une volonté de Dieu qui aurait donné cette
terre au seul peuple israélite. Ce serait la condition pour
que le Messie revienne et que la fin du monde puisse avoir lieu.
On peut être de bonne foi et soutenir sincèrement
des absurdités. ,Il paraît que des millions d’américains
pensent ainsi. Si c’est le cas, tout président de
ce pays doit en tenir compte.
Des groupes « fondamentalistes » chrétiens
existent, ici et là, et partagent la même vision simpliste
de la réalité. Mais ils ne sont pas nécessairement
liés entre, autrement que par l’adhésion aux
mêmes idées rigides qui les opposent aux tenants des églises
historiques plus modérées. Il n’y a pas -il
n’y aura jamais- de « pape » du fondamentalisme.
Une telle lecture « chrétienne » a
son équivalent en terre d’Islam. Lecture semblable,
mais opposée dans ses conclusions. La vérité des
uns n’est pas celle des autres. L’information choisit
son camp en fonction du public qu’elle vise.
Ce dont on ne parle pas, n’existe pas ; mais
ce dont on parle existe. La parole (ou l’image télévisuelle)
crée la chose. C’est là une forme nouvelle
d’hypostatisation. Les mots engendrent l’hypostase.
Le réel est ce qui est dit.
Cependant, rétablir le sens d’un mot
ne va pas sans explication (ce qu’une information rapide
n’aime pas, car cela prend du temps). Pourtant, tout arabisant
(et tout musulman) connaît la lettre de ce texte coranique
(sourate 9, verset 5) :
« … Tuez
les polythéistes partout où vous les trouverez
;
capturez-les, assiégez-les,
dressez-leur des embuscades »
Le verbe utilisé pour « dresser (des
embuscades) » est l’impératif de la racine « q’d » :
celle-là même qui a donné le mot « fondement » (qâ’ida).
Le verbe est très courant (« être assis, être
posé, être fondé…. »), mais ici
le contexte en donne le sens précis : ce qui doit être « fondé » sont
des lieux d’embuscade contre les infidèles.
Ce texte coranique est parfois mal interprété (lecture
fondamentaliste) et souvent cité de manière tronquée
-hors contexte et sans explication. Mais non toujours par simple
ignorance.
Ou bien cette ignorance va bien dans le sens de l’information
souhaitée.
Nos médias donnent de l’Islam une
image généralement négative. Une lecture irrationnelle
est donc cohérente avec nos informations et le « fondement » serait
de mettre en place des embuscades aux infidèles, partout
où cela est possible. Message aberrant, mais implicite « Voyez
comme les musulmans sont violents ! ».
…et le contexte historique
Cependant, deux mots d’explication (et une
citation complète) pourraient conduire à des conclusions
très différentes. Il s’agit du respect de la
parole donnée aux adversaires avec lesquels a été convenue
une trêve des combats « La parole donnée » :
voilà bien une chose inconnue de notre monde marchand, mais
elle était alors essentielle. Cependant lorsque cette trêve
prendra fin, les infidèles devront être combattus énergiquement.
C’est dans ce contexte historique (celui
des premiers combats de l’Islam naissant) que le texte doit être
compris. Il ne s’agit donc pas de l’énoncé d’un
principe général selon lequel il faudrait tuer les
infidèles et leur tendre toutes les embuscades possibles.
Une telle généralisation est abusive. D’ailleurs,
le verset suivant (9,6) parle du devoir d’hospitalité vis-à-vis
de l’infidèle :
« Si
un polythéiste cherche asile auprès de toi,
Accueille-le
Pour lui permettre d’entendre la Parole de Dieu ;
Fais-le ensuite parvenir dans son lieu sûr,
Car ce sont des gens qui ne savent pas »
Une lecture simplement honnête doit tenir
compte du contexte. Mais ni les partisans intégristes, ni
leurs adversaires « chrétiens » ne se réfèrent à ce
contexte. Les uns et les autres se réfèrent à une
lettre tronquée.
Cette prétendue « organisation » est
un spectre analogue à l’ancien « péril
jaune » ou -plus proche de notre temps- à la « subversion
communiste » qui menaçait de détruire la civilisation
occidentale – celle de la liberté, comme on sait.
Mais l’empire du mal ayant disparu et l’axe
du mal étant peu crédible, le terrorisme vient à point.
Voilà l’adversaire que le grand empire doit combattre
en rassemblant derrière lui des peuples nombreux. Et cela
est le point de départ de guerres « justes »,
même s’il faut pour cela postuler des associations
inventées, comme un lien entre les événements
du 11 septembre et l’Irak lié à el-qaida. Cette
el-qaida dont le chef diabolique Oussama ben Lâden commande
les groupes terroristes (supposés ou présumés)…
Goebels avait raison sur un point : un mensonge
bien répété et bien diffusé finit toujours
par s’imposer.
Il existe, certes, des terroristes, mais ils ne
seront pas durablement combattus par des mensonges. Justice et
vérité sont des armes plus puissantes. À terme,
la force seule n’est pas la justice et la propagande n’est
pas la vérité.
Appuyer une politique impériale qui va dans
le sens d’une domination sous couvert de lutte contre le
terrorisme est -de la part des européens- un dangereux
suivisme. Amitié ne devrait pas signifier complicité.
C’est pourtant cela que l’histoire retiendra : le suivisme
des médias occidentaux.
Jacques Chopineau, Genappe le 23 juin 2004
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