Cavanna
1. Au commencement, Dieu créa le ciel et
la terre.
2. Non.
3. Ce n’est pas
comme ça.
4. Reprenons depuis le
début.
1. Au
commencement, il y avait Dieu.
2. Et rien d’autre.
3. Il ne pouvait y avoir
rien d’autre car, pour qu’il y eût quelque chose,
il eût fallu que Dieu l’eût
créé,
4. Or Dieu n’avait encore rien créé.
4 bis. Puisque c’était le commencement.
5. Pour créer,
il faut non seulement être Dieu,
6. Mais encore il faut
savoir qu’on est Dieu.
7. Or Dieu ne savait
pas qu’Il était Dieu.
8. Puisqu’Il était
tout seul.
9. Pour savoir qu’on
est Dieu, il faut être deux:
10. Un qui est Dieu, et l’autre qui Lui dit: « Mon Dieu
».
11. Car on ne peut pas être Dieu tout court. On ne peut être
que le Dieu de quelqu’un.
12. Or Dieu était tout seul.
13. Il n’était donc le Dieu de personne.
14. J’espère que vous avez tout compris.
15. Sinon, recommencez en lisant très lentement.
16. Cela aurait pu durer longtemps.
17. C’est bien ce qui arriva.
18. Cela dura très, très, très longtemps.
19. Tellement longtemps qu’il fallait être Dieu pour
supporter ça.
20. Aucune autre bête au monde n’aurait pu.
1. Au
commencement, il n’y avait donc pas le ciel, ni la terre.
2. Il n’y avait
même pas l’idée de ciel ni l’idée
de terre dans la tête de Dieu.
3. Il ne pouvait y avoir
que Dieu et ce que Dieu avait créé.
4. Or Dieu n’avait
pas encore créé l’idée de ciel ni l’idée
de terre.
5. Il n’avait même pas encore créé l’idée
d’idée.
6. Il n’avait même
pas encore créé l’idée de créer.
6 bis. Il faut bien qu’il y ait eu un moment comme ça.
6 ter. Non ?
7. Pourquoi Dieu aurait-Il
créé ? Il n’avait pas besoin de ça. Dieu
n’a aucun besoin.
8. Car Dieu est Dieu.
9. Et pour que Dieu éprouve
le besoin, il faut d’abord qu’Il crée le besoin.
10. Ce qu’Il peut très bien faire, naturellement.
11. Car Dieu est Dieu.
12. Mais si Dieu crée le besoin, Il cesse d’être
Dieu.
13. Car un Dieu qui a un besoin n’est pas Dieu.
14. Dieu savait tout cela, car Il est l’intelligence suprême.
15. Il savait tout cela, mais à quoi bon être Dieu
si on ne peut rien faire ?
16. Alors, il décida de prendre le risque.
17. Et Il fit bien.
18. Car rien de tout cela n’a jamais gêné personne.
19. Sauf les mécréants et les ricanants, mais ceux-là
comptent pour du beurre.
0. Alors, voilà:
1. Au commencement, Dieu
créa la Contradiction.
2. Ça, c’était
une bonne idée.
3. Maintenant, ça
peut partir.
4. C’est parti.
1. Au
commencement - enfin, presque - Dieu créa le ciel et la terre.
2. La terre était
informe et vide,
les ténèbres couvraient la
face de l’abîme et l’esprit de Dieu planait sur
les eaux.
3. Ce n’était
pas une réussite.
4. Dieu vit cela. Il
se dit en Son cœur: « Beuark ! »
5. Il aurait bien voulu
que cette saleté n’eût jamais existé.
6. Mais Cela, Il ne le
pouvait pas.
7. Maintenant que ça
avait existé une fois, Dieu pouvait, s’Il le voulait,
renvoyer tout ça au néant,
mais Il ne pouvait pas faire que ça n’eût jamais
existé.
8. Cela, même Dieu
ne le pouvait pas.
9. Car personne ne peut
supprimer le passé, pas même Dieu.
10. Dieu vit alors qu’Il n’était plus tellement
tout-puissant,
maintenant qu’il avait une fois créé.
11. Dieu comprit mais un peu tard que l’idée de création
est un piège à dieux.
12. S’il avait su, Il serait resté tranquille.
13. Et puis Il se dit que ce qui était fait était
fait, autant en prendre Son parti.
14. Lorsque le monde est créé, il faut le boire.
15. Bof.
16. Et Dieu décida qu’Il ferait semblant d’être
toujours aussi tout-puissant qu’avant,
et Il eut bien raison.
17. Car jamais personne ne s’est aperçu de rien.
18. Sauf les mécréants et les ricanants, mais ceux-là
comptent pour du beurre.
Cavanna,
Les Écritures.
|