Bernard Reymond
Certains tiennent ses écrits pour si normatifs
qu'ils se réfèrent à eux et les citent en leur
conférant une autorité toute semblable à celle
que les catholiques obéissants (tous ne le sont pas) reconnaissent
en principe aux déclarations des papes et des conciles.
Comme d'autres, Calvin est resté un homme du
16e siècle, profondément marqué par les us
et coutumes de son temps. C'est d' ailleurs ce qui a fait sa force
et rend son apport à bien des égards irremplaçable.
Mais c'est aussi la raison pour laquelle, à certains moments,
il n'a pas été en mesure de comprendre certaines conséquences
inévitables et nécessaires de la Réforme dont
il était pourtant l'un des principaux agents.
Ce fut évident lors de l'affaire Servet. Même
remarque à propos de la hargne avec laquelle il n'a cessé
de poursuivre le doux et lucide Sébastien Castellion, apôtre
d'une liberté de conscience et de croyance qui, à
sa manière, anticipait sur ce que le protestantisme allait
devenir dans les siècles suivants.
Calvin ne pouvait pas être déjà
protestant, parce que le protestantisme, du moins tel que nous le
comprenons, est le résultat de toute une évolution,
de toute une expérience spirituelle, de toute une maturation
qui ont duré plusieurs siècles et qui, fort heureusement,
ne sont pas encore achevées. Elles sont sa raison d'être.
Qu'elles s'exténuent, et il disparaîtra avec elles,
même si les Eglises dites "protestantes" continuaient
d'exister, mais comme des coquillages sans habitants.
Le protestantisme, c'est la Réforme, mais ce
sont aussi
- les assouplissements du piétisme, la volonté du
Siècle des Lumières de ne pas laisser l'intelligence
au repos quand des révisions doctrinales s'imposent;
- le souci d'assurer à la foi, mais aussi à l' incrédulité,
les espaces de liberté civile et personnelle dont elles ont
besoin pour être;
- la volonté d'appliquer les règles du libre examen
à tous les aspects de la vie spirituelle, documents de la
révélation compris;
- la mise en question sans cesse reprise des formes de christianisme
qui, par immobilisme ou conformisme social, trahissent les exigences
évangéliques;
- un refus constant de ne confondre jamais la cause d'une Eglise
donnée avec la volonté même de Dieu;
- une protestation toujours renouvelée contre toute divinisation
ou absolutisation de ce qui est humain, fini, transitoire, pour
ne laisser de gloire qu'à Dieu seul.
De retour parmi nous, Calvin serait certainement surpris
des formes que le christianisme a prises dans les Eglises qui se
réclament de son héritage.
Bernard Reymond, Evangile et Liberté - n°137
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