Jean-Paul Sorg
Qu'est-ce que je crois (exactement), quand, protestant,
je participe à la sainte cène ou, catholique, à l'eucharistie
et que j'entends ces paroles :
«
Ceci est mon corps qui est
donné pour vous » et « Ceci est mon sang, buvez-en
tous » ?
Qu'est-ce que j'ai dans l'esprit ? Est-il comblé par
ces mots et leur sens ? Ou est-il vide en cet instant, distrait,
comme court-circuité ?
Qu'est-ce que je comprends vraiment ?
Je regarde d'un œil les autres à mes côté, je regarde
le pasteur. Ils ont tous un air pénétré. Ils comprennent
quelque chose, ils croient, eux ? Ou font-ils semblant et sont-ils vide, comme
moi ?
Chacun, c'est la règle, fait comme s'il était
recueilli et convaincu. Personne ne posera de question, personne
ne brisera le silence des consciences. Chacun est censé croire
et donc, pratiquement, collectivement, il croit et est cru. Les
apparences sont ici essentielles. Le théâtre !
Les théologiens attitrés me déclarent
(ont dernièrement déclaré dans un communiqué de
presse) qu'entre catholiques et protestants d'obédiences
diverses, il y a maintenant un accord fondamental pour affirmer
la présence "véritable" du Christ dans
la cène (ou l'eucharistie). Le mode de présence (transsubstantiation
ou consubstantiation) ne serait désormais plus un sujet
de dispute et un possible motif de séparation.
Mais que soit affirmée une présence
réelle ou, plutôt, une présence toute spirituelle
(seulement ?) du Christ ressuscité au milieu des siens,
en cet instant - ou des fidèles consomment rituellement
du pain et du vin, signes de son corps et de son sang - qu'et-ce
que je puis en comprendre ?
La deuxième supposition (présence
spirituelle) serait-elle un peu plus intelligible, un peu plus
admissible pour la raison que la première (présence
réelle) ?
Mais que veut dire en l'occurrence "réelle" et
que veut dire "spirituelle" ? Invoquer une présence
spirituelle aurait l'avantage de l'imprécision, du vague,
et de laisser la porte ouverte à une interprétation
symbolique (?). Dire, ou accorder à celui qui insiste, que
tout cela peut être pris allégoriquement - au second
degré en quelque sorte, comme un mot d'esprit (!) - c'est
une échappée bien commode. Si on le pense (in petto),
qu'on l'affirme une bonne fois, bon Dieu, haut et fort, et qu'on
en tire les conséquences pratiques !
Nous continuerons à communier de temps à autre
et dans les grands moments liturgiques (à Pâques, à Noël…),
mais en y voyant un acte simple de mémoire (« Faites
ceci en mémoire de moi ») et pour les personnes présentes,
de fraternité vivante. Car de tout temps, universellement, les hommes ont mangé et bu ensemble
pour sceller leur unité dans la paix. Moment de "convivialité",
littéralement et sans plus ?
Le "festin", sobre (du pain et du vin)
ou munificent, est vécu comme fête, pratique festive
de l'unité toujours désirée et toujours à rappeler, à refaire.
Jean-Paul Sorg, Buhl, avril 2004 |