Pierre A. Bailleux
Jean-Marie de Bourqueney est un homme heureux.
Pasteur à Marseille (Église Réformée
de France), pasteur libéral et heureux de l’être.
Il répond à un article paru dans Réforme (n°1740)
sous la plume de Suzanne Wehberg-Bonhomme qui écrivait, en
parlant de «l’état minoritaire des libéraux»
au sein du protestantisme, “Avons-nous à cultiver cet
état tous ensemble, pasteurs-théologiens en tête,
voire nous réjouir et nous dissoudre, par exemple, dans la
mouvance du protestantisme libéral voué à la
disparition…”.
Voici la réponse de ce confrère.
“…Ces propos traduisent une ignorance profonde de ce
qu’est le protestantisme libéral. Celui-ci ne prétend
pas être un mouvement daté dans l’histoire, mais
une attitude théologique qui consiste à prendre au
sérieux la culture de son temps. Autrement dit, le protestantisme
libéral évolue avec la société. S’il
meurt un peu à chaque instant, c’est pour renaître
avec l’évolution de la pensée. D’ailleurs,
je tiens à signaler à ma collègue que le protestantisme
libéral se porte très bien…
Le protestantisme français ne souffre pas de sa diversité,
mais bien de l’ignorance des uns vis-à-vis des autres.
Alors cessons de nous réfugier dans les lieux communs et
les prophéties à deux sous. Les protestants, et donc
les “pasteurs-théologiens” devraient exercer
leur esprit critique à mieux se connaître entre eux,
sans prétendre à une théologie fusionnelle,
forcément réductrice.” [Évangile
& Liberté, n° 107]
Ceci me fait souvenir d’une conversation
que j’avais eue il y a quelques années avec un pasteur
de Bruxelles. J’avais tenté d’amorcer un dialogue
avec lui et quel n’a pas été mon étonnement
de l’entendre me dire qu’il refusait de dialoguer avec
un pasteur libéral et, ajoutait-il, “je ne connais
d’ailleurs pas les positions libérales et je ne tiens
pas à les connaître”. Anecdote: ce théologien
fut nommé, quelque temps après, professeur à
la Faculté de théologie protestante…!
Il est évident que le protestantisme libéral
en Belgique, particulièrement depuis une vingtaine d’années,
souffre de l’ignorance hautaine des autres tendances théologiques.
Il est frappant de constater que l’Église protestante
unie de Belgique [EPUB] a préféré dialoguer
avec les fondamentalistes (“Darbistes”, “Évangéliques”,
“Pentecôtistes”, “Charismatiques”,
etc.) qu’avec les quelques libéraux membres de notre
église depuis sa fondation, il y a un siècle et demi.
Au cours de ces deux dernière décennies,
de nombreuses familles libérales ont quitté les églises
locales et se sont, non pas dissoutes dans la société
civile, mais abstenues de participer à la vie des églises
par souci d’authenticité, parce qu’elles ne trouvaient
pas de lieu qui rencontre leur sensibilité. Il est vrai que
d’autres libéraux sont toujours dans les églises
mais taisent trop souvent leur position par inquiétude conformiste.
Nous vivons un individualisme négatif, c’est-à-dire
déçu et subi. On se protège du public en se
réfugiant dans le privé. On en rajoute, inversement,
dans le conformisme, de peur d’être rejeté. On
se cantonne dans le refus de choisir et la crainte d’agir,
de peur de recevoir des coups. Je peux le comprendre, mais je continue
d’affirmer que ce n’est pas la bonne solution que de
vivre à l’écart. Je vous invite à surmonter vos désillusions
et à accepter de vivre dans l’écart.
Il ne s’agit pas d’une tare: la Réforme a supporté
l’affirmation de vivre dans
l’écart.
La Contre-Réforme, par ses persécutions,
a placé les protestants à l’écart
de la société alors qu’ils n’aspiraient
qu’à vivre dans
l’écart au sein même de la société.
Et vous le savez comme moi, c’est le protestantisme qui a
eu raison malgré toutes les persécutions, la Révocation
de l’Édit de Nantes en France, la mise au ban des “Gueux”
par Marguerite de Parme dans nos régions. Les pays protestants
ont néanmoins connu la prospérité, ce sont
eux qui furent à l’origine de la modernité,
c’est grâce à eux que la science a pu faire des
bonds en avant. C’est grâce au protestantisme que nous
avons le droit aujourd’hui d’assumer notre liberté
de conscience ou, si vous le préférez, de ne plus
être obligés de taire notre conscience en faisant partie
d’une église dite catholique ou universelle. Ce n’est
vraiment pas négligeable, vous en conviendrez.
Est-ce trop de faire nôtre le projet qui
consiste à cultiver la différence, à respecter
l’altérité ? Est-il trop tard de lutter contre
les prétentions actuelles qui aspirent à tout régenter,
à tout niveler, à tout unifier et uniformiser.
Nous sommes minoritaires… assumons-le
Pierre A. Bailleux
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