3) Ce que parler veut
dire
Jacques Chopineau
En guise de conclusion
à la série "Des mots et des hommes"
Bien d’autres
termes sont utilisés couramment de façon erronée
ou tendancieuse. Les exemples qui précèdent ne touchent
qu’une petite partie du phénomène informationnel
et , finalement, politique.
Il arrive qu’un même mot ait un sens
différent des deux côtés d’une même
frontière. Au moment de l’accident terrible de Tchernobyl,
n’a-t-on pas vu que la pollution interdisait la consommation
de certains produits d’un côté du Rhin, mais
non de l’autre. Apparemment, pour l’administration
française, la pollution s’arrêtait aux frontières
administratives. Les commentaires de la télévision
allemande étaient parfois ironiques.
Nombreuses sont les approximations véhiculées
par l’information. Mais en même temps, les mensonges
sont une partie de notre histoire. Car le mensonge -cette
vérité en creux- dévoile la figure de celui
qui écoute et qui croit ce qui est dit. Nous avons l’information
que nous méritons et c’est celle que nous attendons.
La deuxième guerre mondiale fut –de
ce point de vue- un festival. L’imprenable ligne Maginot,
malgré les affirmations solennelles, n’était
pas incontournable. Les honteux accords de Munich ne préservaient
pas la paix. La mobilisation signifiait bien la guerre. « Nous
vaincrons parce que nous sommes les plus forts » assurait
la radio de l’époque. On connaît la suite…
Et plus tard -malgré les assurances
officielles- l’Algérie n’était pas
la France. Combien sont morts (parfois sous la torture) pour
que vivent les mensonges
!
Plus près de nous, la soi-disant
agression anti-américaine de la baie du Tonkin était un prétexte
fabriqué afin d’étendre la guerre. A la même époque,
le soutien aux dictatures était présenté comme
une défense du monde libre contre la subversion communiste.
Pinochet était un soutien dans cette lutte. Comme les dictateurs
Somoza au Nicaragua ou Trujillo en république dominicaine.
Les chemins de la démocratie sont parfois surprenants.
Sans doute a-t-on oublié tout cela.
En sorte que le mensonge sur les
« armes
de destruction massive » que
l’Irak aurait possédées (menaçant même
la vertueuse Amérique !) était dans l’ordre
des choses. Les européens étaient invités à y
croire et –en grande majorité- leurs informations
allaient dans ce sens.
Ce n’est pas le seul exemple du conformisme
de nos médias. Dans le cas de l’Irak, toute une population,
après avoir subi des années d’un embargo
scandaleux,
doit encore subir guerre, occupation, humiliations… Le grand
malheur de ce peuple ne portera pas le nom du dictateur Hussein,
mais celui du libéral Bush et de ses suivants !
L’information occidentale -souvent, fidèle écho
de la propagande américaine- est étonnante et désolante.
Certains parleront d’amitié (pour l’agresseur),
mais cette attitude peut aussi être perçue comme une
complicité ou –pour le moins- de non-assistance à peuple
en danger. Cela ne sera pas oublié.
Dans le droit fil des décisions du grand
empire, l’occupation israélienne en Palestine peut
prendre prétexte de la lutte contre le terrorisme… que
cependant, à sa manière, elle crée jour après
jour. De même que le comportement de la soi-disant « coalition » fournit,
en Irak, un vivier du
« terrorisme » à venir.
Dans cette mouvance, le président
Yasser Arafat est empêché de jouer son rôle de chef
d’état élu. Ce qui n’empêche pas
qu’on lui reproche (y compris dans nos médias) ses
silences et sa « marginalisation » -laquelle lui est
imposée.
Appeler les choses par leur nom ; préciser
le sens des mots ; refuser les amalgames ; corriger les approximations
; dire la vérité …. Evidences ou banalités
qui -dans ce monde de la surabondance de l’information-
relèvent du tour de force. Et c’est le tour de force
quotidien de l’information (écrite ou parlée).
Mais cette information peut véhiculer le meilleur, comme
le pire. Au citoyen d’être vigilant.
Mais le suivisme, les conformismes, les prudences
humaines, les calculs
« intelligents », bref, les manipulations
du sens des mots mettent en danger la démocratie. Si l’information
et -parfois- le discours politique adoptent le ton de la publicité :
l’acheteur (en l’occurrence, l’auditeur ou l’électeur)
risque d’être berné. La seule réponse
est l’attitude critique et, la recherche d’informations.
Ce dernier point relève parfois de la gageure, étant
donnée la masse des informations véhiculées
quotidiennement par les médias.
On peut encore critiquer les choix des événements
médiatisés. Certaines informations passent bien comme
tel mariage princier ou tel événement sportif. D’autres
sont tues et donc n’existent pas.
Comment s’y retrouver ? Sans doute, jadis,
il n’était pas plus facile d’être citoyen
! Ce n’est pas l’abondance actuelle d’informations
qui est un obstacle, mais c’est plutôt le sommeil du
citoyen devenu un consommateur non critique. C’est ainsi
que les moutons sont mangés.
Difficulté supplémentaire : la grande
diversité d’une masse d’informations incontrôlables.
Jadis, presse écrite et informations parlées et télévisées
constituaient le champ total -déjà fort vaste,
mais parfois contradictoire et, le plus souvent, contrôlable.
Ce n’est plus le cas depuis qu’internet a ouvert cette
gigantesque toile qui couvre le monde entier et qui peut véhiculer
le meilleur comme le pire.
Personne ne peut prétendre contrôler
cet ensemble, même si quelques uns tentent de le faire.
Déviations, interdits et brouillages n’ont
qu’une durée de vie limitée. Même les
virus ne sont pas immortels. A première vue, l’information
y gagne.
Mais il s’agit d’une guerre de mouvements
et aucune défense statique n’est invincible. C’est
donc la stratégie qui est maîtresse et c’est
le stratège qu’il faut connaître. Dans cette
situation, le journalisme à l’ancienne est mal armé.
Il joue parfois en défense, mais non en attaque. Il garde
la frontière, mais ignore les plans du stratège adverse.
Ici aussi, la ligne Maginot est peut-être imprenable, mais
non incontournable.
D’autre part, comme le rappelle le dicton
d’un sage : « si vous fermez toutes les portes à l’erreur
: la vérité restera dehors ». Toute approche
doit pouvoir s’exprimer. Aucune n’est la vérité totale.
Il faut donc, certes, refuser toutes les formes de censure et toutes
les orientations de l’opinion. Mais il faut aussi, inlassablement,
dénoncer tous les conformismes partisans. Vaste programme…
Le talent et l’intelligence des informateurs
ne sont, certes, pas en cause. En général. Il se
trouve qu’ils n’ont guère les moyens de cette
indépendance qu’ils s’attribuent volontiers.
En fait, malgré les affirmations parfois contraires, ils
n’ont de liberté que celle qui ne gêne pas trop
les pouvoirs en place. Mais cependant, s’ils s’accommodent
de ce carcan : ils s’en font objectivement les soutiens.
Il appartient au citoyen de s’interroger sur le sens des
mots qu’il entend.
Au jugement de l’histoire, aucun « je-ne-savais-pas » ne
sera tenu pour une excuse. Et aucune propagande ne sera tenue pour
vérité. Faudra-t-il attendre l’autopsie pour
les faits soient reconnus ?
Jacques Chopineau, Genappe le
23 juin 2004 |