Jean Kamp
Plutôt que de vous livrer ici un compte-rendu de cet ouvrage,
nous vous offrons, avec la permission de l'auteur, une partie de
l'interview réalisée par José Reding, théologien,
lors de la présentation du livre à la librairie Agora à Namur
le 04.11.00.
- José Reding :
Pourriez-vous nous dire tout d'abord de quoi est née
cette œuvre, qu'est-ce qui a fait sa germination ? Il y a
dans ce livre le contenu, qui est important, mais aussi le ton
qui est celui de la réflexion-témoignage ou du témoignage
réfléchi, porté par la vie et la pulsation
de cette vie.
- Jean Kamp : Un mot de présentation.
Je suis prêtre
diocésain
depuis 52 ans, pratiquement j'ai passé ma vie, à 100
%, dans l'enseignement secondaire et aussi supérieur non-universitaire.
A l'époque, on enseignait non seulement la religion mais
aussi le latin, le grec, le français...
J'ai été jadis,
au séminaire, un séminariste
- bien que je le dise moi-même - sérieux, appliqué,
fervent, hyper convaincu jusqu'à peu près la fin.
Un de mes professeurs, devenu plus tard monseigneur, m'a cependant
dit un jour : "Je pense que vous êtes de la graine d'hérétique"...
Gentiment ! Ensuite, j'ai été envoyé à l'Université de
Louvain pour une candidature ; (… ). Là, j'ai triché honteusement,
j'ai roulé l'autorité et j'ai fait une licence en
philosophie à la fureur des autorités qui m'ont dit
que "tous les prêtres qui font de la philosophie, tôt
ou tard, nous avons des ennuis avec eux ! "
Trente ans après,
en effet, les ennuis ont éclaté,
pour moi, assez terribles, pour l'évêché, minimes.
J'ai été démis de mes fonctions pour avoir écrit
un livre "Credo sans foi - foi sans credo". Ça
a été assez lu et c'est ça que l'autorité,
c'est à dire le Cardinal Suenens, n'a pas accepté.
Un peu après, m'étant quelque peu remis sur mes pattes,
si j'ose dire, j'ai voulu écrire un livre "Mort d'un
prêtre". Alors les éditions du Centurion ont
failli m'éditer mais de sombres machinations ont fait que
ce ne l'a pas été. Et au fond, ça m'arrangeait
parce que, si on l'éditait, je retrouvais des problèmes.
Pendant des années, avoir un problème, ça
va, mais plusieurs, cela devient compliqué. Je n'ai donc
pas cherché à l'éditer jusqu'au jour où...
Cela faisait trente ans déjà et je l'ai donc réécrit,
le fond restant le même bien sûr.
Finalement, j'ai été très
heureux de le faire. Voilà pour le contexte.
Je vous trace maintenant les axes fondamentaux auxquels je suis
arrivé. Je suis sorti du séminaire avec une espèce
de foi, comme on dit, de néophyte et très désireux
de la diriger - ce que j'ai essayé de faire d'ailleurs -
. Il faut dire aussi que les premiers cours que j'ai reçus
au séminaire (et j'y ai été heureux), que
l'enseignement, (je l'ai pressenti déjà alors mais
surtout compris plus tard) étaient, j'hésite entre
les vocables, lamentables ou scandaleux, pire que cela : peut-être
les deux ; maintenant je le sais, c'était les deux !
Un enseignement
gentil, des professeurs gentils,... incompétents, ça
je ne sais pas, mais en tout cas eux-mêmes téléguidés.
Ils avaient le droit et le devoir de nous enseigner cela et surtout
pas autre chose.
Dès le début, j'avais été frappé que
l'on nous enseignât alors d'office la philosophie du XIIIème
siècle, avec Saint Thomas d'Aquin comme pivot de la lumière
de l'univers. A l'époque, j'avais un peu rouspété ;
j'étais allé trouver le professeur : "On ne
parle jamais de gens comme Kant ! ". Il faut savoir que j'avais à ce
moment 17 ans, l'âge de mon entrée au séminaire
! "Oui, me dit-il, mais des gens pareils, c'est intéressant
mais ce n'est pas fondamental ! " Tous ces gens n'ont pas
vu clair... Et lentement j'ai commencé à comprendre
que l'enseignement reçu était monolithique, sans
objection... Alors des fissures ont lentement fait jour. J'étais
un étudiant studieux, maniaque ; je préparais mes
cours avec une espèce d'ardeur, ridicule je crois, mais
cela m'a fait fort réfléchir.
C'est en réfléchissant,
mais surtout en étant
en contact avec des élèves, que j'ai compris que ça
ne passerait plus tellement longtemps.
L'enseignement catholique de l'époque était merveilleux
mais extrêmement religieux : le mois de mai, la Vierge Marie,
le Sacré-Coeur, le 1er vendredi du mois avec messe, avec
le salut, le carême, l'Avent, etc.
Pour le mois de Marie,
je m'étais dit : "le mois va
se terminer et je n'ai pas encore parlé de la Vierge Marie.
Je vais le faire quand même !" Entre nous, je commençais à ne
plus croire en la "Vierge" Marie, mais cela, je ne disais à personne.
C'était donc un cours, mais cela n'allait pas ! Le cours
fini, un élève discret vient à mon bureau
et me dit : "Monsieur, vous n'allez pas me dire que vous croyez
vraiment ce que vous avez dit." Cette fois-ci, ce qui m'a
atterré, c'est qu'il m'ait dit : "Vous ne croyez pas
ce que vous avez dit." J'ai souri, je crois, et je lui ai
dit, tout bas : "C'est vrai"… et donc j'ai compris
tout d'un coup combien en effet mon statut de prêtre et d'enseignant
me forçait à dire avec conviction des choses dont
je n'étais plus convaincu ! Ça a été le
début.
Par après, je suis allé à Kinshasa
pendant trois ans pour y fonder le Grand Séminaire. Là, évidemment,
j'ai été acculé à donner un cours de
philosophie. Alors je m'y suis replongé et j'ai compris
que la vérité n'était certainement pas, uniquement,
dans l'Église catholique, que tous les grands penseurs avaient
une vérité à dire… Je suis rentré alors,
après trois ans, et j'ai été versé dans
l'enseignement qu'on appelle supérieur avec des cours extraordinaires
aux facultés St Louis, en sciences religieuses, et je pouvais "tripoter" mes
cours comme je le voulais. J'ai bien compris alors, qu'avec des
jeunes gens et jeunes filles de 20 ans et plus, ce message traditionnel
de l'Église, ça ne passait plus !
Je me rappelle
qu'un jour, tous les professeurs de religion et de philosophie étaient
convoqués par l'évêché pour se pencher
sur ce problème : "il y avait quelques difficultés
dans les cours de religion" et chaque professeur avait quatre
minutes pour dire où était le problème ! On
faisait le tour et j'étais quelque peu atterré d'entendre
dire "C'est une question de locaux : des bancs, des tables
ce n'est pas un milieu." Ou bien "Il manque un encadrement." Ou
encore : "C'est une question d'horaires ou bien trop tôt
ou bien trop tard." Quand ce fut mon tour, comme j'avais trois
minutes, j'ai tiré mon ticket et mon courage de ma poche
et j'ai dit : "Toutes les raisons qu'on a données ici
sont peut-être vraies mais cependant elles ne sont rien,
je crois, par rapport à ce motif, le vrai : c'est le contenu
de ce que nous enseignons ! "
Un grand silence, puis j'ai dit
: "Ce que nous enseignons, ça
ne passe plus chez ces jeunes de 20 et plus, et donc il serait
urgent de revoir ce contenu."
Après quoi, on a dit : "Au
suivant" ! Le Cardinal
est resté de glace. Quand ce fut fini, le recteur de l'ICHEC
vint me dire : "Monsieur l'abbé, vous avez lancé un
formidable pavé dans la mare, mais croyez-moi, personne
n'ira le ramasser ! " Personne ne le ramassa. Dès lors,
je devins un peu suspect ; c'est alors que j'ai écrit "Un
credo sans foi - foi sans credo".
En voici le thème
: le credo, c'est le contenu dogmatique du message de l'Église
; or beaucoup de gens professent le credo mais n'ont pas la foi.
La foi, beaucoup de gens l'ont
mais le credo ils ne le connaissent même pas.
Il y a des gens infiniment évangéliques mais qui
ne sont pas catholiques du tout, qui ne sont pas baptisés
mais bien plus évangéliques que des millions de catholiques
baptisés, nourris par l'Eucharistie.
Ça a duré quinze jours puis le livre a été épuisé...
et moi aussi.
Je n'ai pas fait assez la distinction entre la religion et la foi
; ce qui est fondamental dans une vie, c'est la foi. La religion
est toujours unie à un système. Les fois meurent
dans les religions : ce ne sont pas des systèmes entièrement
mauvais mais, dans une grande mesure, elles servent à maintenir
les autorités en place. C'est une sacralisation du pouvoir
terriblement faussée.
- J. R. :
Je reviens sur le fil conducteur du contenu : Si je comprends
bien, il y a une certaine perception
que le système de la
religion catholique, à un moment donné, a des fissures
et qu'on ne les prend pas au sérieux. C'est peut-être
ce qui éclaire le titre : "Ce grand silence des prêtres" C'est
que les prêtres ne veulent pas reconnaître cela.
- J. K. : Beaucoup le savent mais
ne veulent pas le dire. Récemment
encore, je prêchais tous les dimanches et, en prêchant,
je ne veux pas dire que je mentais carrément, mais je devais
faire un tour de force pour concilier à la fois "ne
pas déconner" comme on dit, ne pas dire trop de bêtises
et "ne pas choquer le public" non plus mais cependant
essayer d'être vrai avec soi-même. C'est très
difficile !
- J. R. :
Il y a, dans le ton que tu as maintenant, Jean, quelque chose
qui est un peu comme de la lassitude. Moi,
je ne
l'ai pas
ressenti dans l'écriture, cette tonalité-là.
Il y a comme un humour, une distance, une espèce de clarté qui éclaire
une histoire. Je sens quelqu'un qui est convaincu, un constat porté avec
courage.
- J. K. : Je ne regrette rien du parcours que
j'ai fait. Je m'y suis bien trouvé malgré les moments
difficiles mais j'ai été heureux
de pouvoir faire ce cheminement et de pouvoir prendre un certain
recul par rapport à des vérités séculaires
- ce qui n'est pas toujours facile...
- J. R. :
Un exemple...
- J. K. : Pas facile, parce que, hélas,
ce sont les vérités
présentées comme essentielles : la personne du Christ
et surtout sa résurrection.
Je me rappelle, après
le Concile, qu'on m'a dit que le Cardinal Suenens avait nommé un
chanoine hyper-éminent, maître
en théologie, comme "recycleur" du clergé.
Je suis allé le trouver et lui dire : "Je ne comprends
pas très bien : si le Christ est ressuscité..." Il
n'en est pas question", m'a-t-il répondu. "Le
corps du Christ a pourri dans le tombeau comme tous les corps." "Mais
si le Christ est Dieu... !" Il a pris son Évangile,
me l'a mis entre les mains en me disant : "Trouvez-moi un
seul passage où, dans l'Évangile, le Christ a dit
qu'il était Dieu ! … La Vierge Marie... ! Pas plus
vierge que votre mère à vous." Un "recycleur
du clergé" qui vous dit cela presque brutalement, cela
me sort… recyclé…, ébranlé, et
un peu délivré ! Si bien que la foi était
libre... et c'est libérateur.
Bien souvent la doctrine tient
les gens prisonniers. Le silence des prêtres, je le dis tout
bas, c'est le silence des grands-prêtres,
des évêques, des responsables qui connaissent ce problème,
ne peuvent l'ignorer, mais ils n'en disent mot. Je suis allé,
il y a peu, à une journée de la catéchèse
dans le diocèse pour voir ce qui se disait aujourd'hui.
Je m'attendais au pire ; j'ai eu le pire ! On a parlé de
nouveaux jeux-video sur la Bible, des maquettes "à peu
près le banc de menuisier de Jésus-Christ"...
! "Quel rapport avec la foi", lui ai-je dit ; elle a été choquée
! Mais on n'a pas abordé le contenu de la catéchèse.
Comment
enseigner des heures et des heures… Quoi enseigner
? Pas un mot. J'ai envoyé mon livre à mon évêque,
le cardinal Danneels. Il m'a reçu durant une heure gentiment,
de façon embarrassée. Il a reconnu que mon livre
posait de vraies questions, que, dans cette mesure, c'était
un livre intelligent, mais, des vraies questions que j'y ai posées,
il n'en a abordé aucune !
Aujourd'hui, je ne suis pas condamné...
; je suis pensionné...
, je n'ai plus de responsabilités réelles.
N.B. L'entretien
s'est poursuivi durant une bonne demi-heure encore avec des
questions posées ce jour-là par les auditeurs de Jean Kamp. Il
n'est pas possible de tout reproduire ici faute de place. Suite donc éventuellement
lors d'une prochaine livraison.
Propos recueillis par René Dardenne pour HLM N°82
décembre
2000 |