Marcel Bolle De Bal Conditionnés par un bombardement
médiatique incessant,
nous sommes tous – légitimement – bouleversés
par le sort tragique de ces milliers de victimes innocentes, américaines
pour la plupart, fauchées par les attentats terroristes
de New-York, Washington et Pittsburgh... comme nous le sommes – ou
devrions l’être – par ces milliers de victimes
palestiniennes en Palestine, ruandaises au Ruanda, soudanaises
au Soudan. Pour ces dernières, victimes en plus d’un
certain éloignement, l’écho médiatique
n’est pas , relativement, à la mesure de leurs souffrances
réelles.
Georges W . Bush, le mal élu en passe de
devenir le bien-aimé,
revêt ses habits de shériff texan et se proclame chef
de la guerre du « Bien contre le Mal ». Se rend-il
compte, lui le novice en politique internationale, que ses adversaires,
depuis longtemps, désignent les Etats-Unis en particulier,
l’Occident en général, comme le « Grand
Satan » ? En d’autres termes, que, pour eux, leur lutte,
similairement, est celle du "Bien contre le Mal" ?
Vérité ici, autre vérité là-bas.
Cette double simplification – nécessaire ? – des
enjeux virils m’inquiète. Elle nous ramène,
me semble-t-il, des années, des décennies, des siècles
en arrière. Et je ne parle même pas de cette autre
idée dangereuse , chère à ce président
que l’on dit l’homme-le-plus-puissant-du-monde, celle
d’une divine croisade contre les infidèles, contre
les apôtres du Mal, contre les hérétiques...
ce qui ne peut manquer de nous rappeler le Moyen-Age des expéditions
chrétiennes contre les Musulmans coupables d’occuper
les lieux saints.
Conflit de civilisations, choc de cultures,
guerre de religions ? Les images font peur.
L’escalade incontrôlée
se profile à l’horizon. Souvenirs et avenir nous angoissent.
Il n’y a pas si longtemps de cela, pour Mc Carthy – et
les Etats-Unis protestants à sa suite - le Bien c’était
la libre Amérique, le Mal le communisme... alors que
pour les Soviétiques le communisme était le Bien,
le capitalisme le Mal. La chute du Mur de Berlin nous a frustrés
d’un ennemi – le « malin » - commode, les
attentats récents en créent un nouveau pour de malheureux
Etatsuniens – comme tiennent à le préciser
nos amis québécois, qui se reconnaissent « américains »,
mais dans une autre logique - désemparés.
Nous, Européens,
avons eu la chance – la malchance
? – historique d’échapper à ces conditionnements
simplistes. Terre de conflits ancestraux, de guerres sanglantes,
de contradictions permanentes, l’Europe nous a enseigné la
dialectique philosophique et politique, théorique et pratique,
l’art de la négociation, du dialogue et du compromis.
Nous savons d’expérience vécue – nous
Belges en particulier – que le Bien n’a pas élu
domicile d’un seul côté. Pas plus que le Mal
d’ailleurs.
Nous, Francs-Maçons, avons médité et
méditons
sur le sens profond du Pavé Mosaïque : ne nous enseigne-t-il
pas que le Noir et le Blanc sont indissociables, contraires et
complémentaires, symboles des réalités humaines
duelles et dialogiques ( comme l’exprime avec force Edgar
Morin) ? Sachons dès lors reconnaître que l’Amérique
et les Américains ne sont ni tout le Bien, ni tout le Mal..
De même, pour nous, les islamistes ne peuvent pas être
que le Mal, le Coran n’impose nullement la violence ; d’ailleurs,
nous Occidentaux devons accepter que le spectacle insolent de nos
richesses puisse susciter des vocations de kamikazes chez ceux
qui, démunis de tout, privés de leurs terres et bombardés
par nos armes de mort ( américaines le plus souvent), n’ont
plus rien à perdre.
Par ailleurs, qui est-il donc ce Dieu
unique, source du Bien, que chrétiens, musulmans et juifs
appellent tous à l’aide,
par qui tous se disent élus, que tous invoquent pour mener
leurs luttes fratricides ? Est-il possible qu’il existe vraiment,
et si oui pourquoi laisse-t-il ses enfants s’entretuer en
son nom ?
En réalité, derrière ces atroces
guerres de religions, ce qui est en jeu, ce n’est pas tant
l’ancien
conflit de l’Occident contre l’Orient, ni celui du
Nord contre le Sud. Il y a certes un peu de cela, mais il s’agit
plutôt, comme l’a lucidement souligné Bernard
Kouchner, de la lutte – qui risque de devenir bien plus grave
si nous n’y prenons garde – des pauvres contre les
riches, des exclus du festin contre les élus du destin,
des sans espoir contre les tueurs d’espoir, des peuples d’en
bas contre les peuples d’en haut (pour reprendre en l’élargissant à la
planète une expression à la mode en France).
Le moment
est venu – il n’est pas trop tard mais il
est temps ! – pour nos responsables politiques, pour nous
citoyens, de mettre d’urgence en chantier un Plan Marshall
qui ne soit pas qu’américain, qui soit européen
et mondial pour éradiquer les causes des attentats terroristes,
pour réaliser une répartition plus équitable
des richesses mondiales. En d’autres termes, pour que l’inévitable
mondialisation ne soit pas celle du World Trade Center ( = du commerce),
ni celle de Wall Street ( = de la finance), ni celle du Pentagone
( = de la guerre), mais celle de la solidarité, du partage,
de la fraternité universelle.
Utopie ? Peut-être.
Mais n’est-ce pas d’une telle utopie dont nous avons
un vital besoin, n’est-ce pas à sa réalisation
que nous devons nous consacrer sans tarder et de toutes nos forces
? Le Progrès de l’Humanité est à ce
prix, et attend de nous que chacun y apporte sa pierre, fût-elle
encore mal taillée...
Marcel Bolle De Bal, Linkebeek
Membre de la loge
"Les Amis Philanthropes" à l’Orient
de Bruxelles |