Isabelle
Hummel
En 1516 paraît un ouvrage
de Thomas More. Son titre “Utopia” intrigue. Il signifie
le “Non lieu, ce qui ne peut avoir lieu”. Il rapporte
le récit des mœurs exemplaires d’une population
basée sur une île nommée Utopia. La vision idéale
décrite par le philosophe marque à tel point l’histoire
que le mot “utopie” fait désormais partie du
vocabulaire de tout un chacun.
L’utopie désigne le rêve d’un
monde meilleur non advenu. Elle parle d’une société
où justice et égalité sont réalité,
d’une république où le bien commun prime sur
l’intérêt particulier. Est-elle
l’apanage des naïfs ou accompagne-t-elle nécessairement
l’évolution des idées et leur mise en pratique
à travers le temps ?
L’utopie remplit une triple fonction : elle
alimente l’espoir d’une transformation volontaire du
monde réel, elle favorise l’esprit critique et elle
refuse la résignation. L’utopie est signe d’humanité.
L’homme seul est en effet capable de rêver à
un monde différent.
L’utopie, c’est là où démarre
notre effort de pensée et d’action, au service de quelque
chose qui dépasse la réalité, qui dépasse
les limites connues jusqu’ici. On a rêvé de nouveaux
continents ; on a pris la mer. On a rêvé de la lune
; on y a posé une fusée.
Ce qui soutient l’humanité dans son histoire,
c’est ce que le philosophe Ernst Bloch appelle “le principe
espérance”. Marcher vers l’avant. À l’instar
de Prométhée, braver les contours de l’étroitesse
pour élargir nos possibilités.
Si l’on ne balaie pas du revers de la main ce
que nos rêves charrient de semences, on peut voir en eux ce
qui féconde les lendemains du monde.
À chaque nouveau gouvernement, à chaque
élection, on se prend à imaginer autre chose ; quelque
chose de mieux et si, de ces mille pensées, l’une ou
l’autre vient à s’appliquer au terrain, nous
aurons progressé. Les époques se sont succédées,
les utopies ont engrossé le monde, accouché des plus
beaux comme des plus terribles enfants. Nul ne préjuge de
leurs fruits.
Ce n’est pourtant pas difficile à croire,
c’est toujours ce qui nous dépasse qui nous met en
route. Qu’on appelle cela un défi ou la foi, souvenons-nous
que le moteur de notre changement est en dehors de nous. L’utopie,
c’est une altérité pensée. L’utopie
; ce “non-lieu”, je vous l’annonce, a bien eu
lieu. Il a eu lieu et corps en la personne du Christ.
C’est penser l’autre
qui fait de nous des créateurs.
Isabelle Hummel
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