Pierre A. Bailleux On
ne peut réduire
impunément le judaïsme ou le christianisme en formules
dogmatiques ou en hiérarchie administrative et bureaucratique
où les théologiens deviendraient des fonctionnaires
de Dieu et des porte-parole du pouvoir en place.
L’évolution -ou même la révolution
(cfr. l'exigence de la Réforme : “ecclesia reformata
quia semper reformanda”: une église réformée
parce que toujours en voie de réformation)- devrait être
une donnée permanente au sein des églises de la
Réforme
du fait que l’objectif spirituel que l'église
s’est
assigné n’est jamais atteint de manière suffisante.
Une église de la Réforme se présente
donc, ou devrait se présenter, non pas comme une institution
qui envisagerait la réalisation d’un but précis
dans un laps de temps déterminé, mais comme une institution
eschatologique où c’est la fin elle-même qui
remettrait continuellement en question les moyens choisis pour l’atteindre.
C’est la fin elle-même qui empêcherait
que la fin soit atteinte par le fait qu’elle obligerait chaque
individu, à chaque moment de son existence, à se poser
la question de cette fin. Bref la fin se présenterait à la
fois comme un but et un moyen.
Quant à l’utopie sociale, elle y serait
également assumée dans la mesure où ses membres
identifient la cité idéale à la Cité
de Dieu. Dès lors je préfère parler du non-lieu
du salut, celui-ci étant à priori posé comme
inaccessible pour l’homme, qu’il s’agisse d’une
eschatologie réalisée ou non. Dans les deux cas, elle
se présente comme un non-lieu qui manifeste l’absence
agissante de Dieu.
Rappelons quels sont trois grands
pôles de la
Bible :
- La justice (la tsedaka ou le rétablissement
perpétuel de la justice qui s’écroule tel le
rocher de Sisyphe),
- La libération (de l’aliénation
sociale, politique et spirituelle),
- La paix (le shalom ou l’harmonie
intérieure),
Ces trois axes de la Bible demeurent
le non-lieu de l’utopie biblique qui se réalise au travers d’un
non-lieu : l’agapè (la charité,
l’amour fraternel, la fraternité et la solidarité).
La paix est étroitement liée à l’harmonie individuelle; le combat pour la justice est lié à la liberté et à
l’égalité; enfin, la fraternité s’exprime
par la solidarité. Le tout à condition de se libérer de toute aliénation
et par respect de la vie, des humains, de la création
entière.
Ainsi, l’agnosticisme protestant, compris comme
la foi en l’absence de Dieu, n’est-il pas un signe que
l’utopie (protestante) a trouvé sa voie en dehors de
toute volonté de définir la foi et d’en décrire
l’objet ?
Pierre A. Bailleux
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