Pierre A. Bailleux J’en suis arrivé à penser que
le véritable esprit de la Réforme règne seulement
là où la confrontation des idées, dans le respect
de chacun, se passe librement au sein d’une assemblée
protestante. Au sein d’une assemblée qui lutte elle-même
pour sa propre réalité et authenticité.
Je pense en effet que c’est là que se
situe la motivation profonde qui devrait unir les protestants entre
eux. Ils prennent le risque de l’utopie en ce sens qu’ils
prétendent avoir trouvé ici et maintenant le lieu
de réconciliation de l’humain et du social, le lieu
de rencontre de l’être en tant que tel et de l’Histoire
ou encore du non-sensible et du sensible.
La communauté se révèlerait être,
sous cet éclairage, le lieu privilégié des
différentes utopies de chacun. Le sens de la communauté
m’est apparu comme le non-lieu symbolique de la société
établie. C’est-à-dire le lieu de salut de ceux
qui refusent de vivre dans une société aliénante.
Ainsi c’est dans la mesure où une communauté
se reconnaît comme un non-lieu, assume sa vocation utopique,
qu’elle devient le lieu où l’homme peut se réaliser
ou, pour le dire de manière théologique, se sauver.
Sauvé ? De quoi ? Par qui ?
Je m’explique : L’homme a tendance à chercher
le lieu où s’apaisera tout son être, précisément
dans un non-lieu où, par définition, jamais cet idéal
ne sera réalisé. Mais c’est justement cette
impossibilité présupposée, qui fait de l’utopie,
le lieu où peut tenter d’être, ce qui ne sera
jamais.
Le lieu où l’homme trouve ce qui peut
sauver sans jamais pour autant garantir le salut. Un lieu privilégié
donc puisque l’utopie est en dernière instance, l’unique
refuge de l’homme pour échapper à un lieu qu’il
refuse de tout son être, lui préférant encore
le non-lieu indicible de l’espérance.
Donc, … je reprends :
Sauvé ? : oui, en se réalisant
soi-même.
De quoi ? : de l’absurdie (qui confond
être et exister) et surtout de la culpabilité morbide
imposée par les fonctionnaires de Dieu à la foule
grégaire !
Par qui ? :
par lui-même et grâce à ses frères !
Cependant, il reste un problème important:
les églises demeurent des institutions. Problème ?
Oui car je reste persuadé que le propre de tout système,
de toute institution, de toute église est
: (Lire : Alain Accardo, «La
liberté de faire comme on doit»)
- De coopter des esprits bien conditionnés
et incorporés à “l’esprit du temps”,
des gens intelligents, habiles et sincères;
- De les former de telle façon qu’ils
maîtrisent les technologies du faire voir, du faire savoir;
- D’écarter, en douceur mais de manière
implacable, celles et ceux qui “disfonctionnent”: on
fait alors état (en petit comité/commission) de “dérives”,
de “bavures”;
- Et d’injecter, de manière homéopathique,
des doses d’humanité, de tolérance, de philanthropie,
mais qui ne compromettent pas le principe même du système,
à savoir la sclérose et l’inertie.
Je reste aussi persuadé que les responsables
du système adhèrent, de toute bonne foi, à
la logique du système: ils ont bien intériorisé
celui-ci, ils ont en eux -comme aurait dit Pascal- “une volonté
de croire plus forte que leurs raisons de douter”. Et la mauvaise
conscience est automatiquement autocensurée et/ou transformée.
Et pourtant, j’ai fait ce choix, celui de vivre
au sein d'une l'église protestante.
Pierre A. Bailleux
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