Pierre Le Fort
Membres de l’Eglise protestante unie de Belgique,
chrétiens
attachés à la tradition protestante qui érige
la Bible en instance supérieure dans les domaines de la
foi et du comportement, nous désirons faire connaître
notre point de vue sur la réalité contemporaine de
l’homosexualité.
Cette réalité nous atteint
et nous touche par des hommes et des femmes que nous pouvons rencontrer
quotidiennement.
Nous les voyons vivre et voulons les considérer sans nous
laisser enfermer par les jugements traditionnels qui règnent à leur
endroit dans les milieux religieux.
En lisant les évangiles,
nous sommes d’abord frappés
par la priorité que Jésus accorde au salut et au
bien des personnes. Il ne s’est pas laissé arrêter
par les rumeurs de mauvaise réputation ni par les textes
de la Bible qu’on lui opposait.
En outre l’importance
donnée par le Nouveau Testament
au commandement d’amour nous fait considérer comme
un minimum les exigences morales dans notre société :
respect des affligés, justice, vérité. Ces
deux évidences créent une hiérarchie dans
le donné biblique, hiérarchie pouvant aller jusqu’à une
mise à l’écart de certains textes.
Par exemple
ceux de l’Ancien Testament et de l’apôtre
Paul touchant à l’homosexualité, nous les trouvons
impossibles à appliquer à la
lettre pour deux raisons.
D’abord, ils ont été écrits
dans des contextes et adaptés à des populations différentes
des nôtres. Cela exige pour notre activité pastorale
un indispensable herméneutique.
Ensuite et surtout quand
on les applique sans avoir pris des précautions,
on aboutit à des catastrophes humaines et théologiques.
Notre attention se porte sur ce deuxième aspect, que l’enseignement
orthodoxe sur l’homosexualité illustre de façon
tragique.
Grave lacune, il ignore la dimension d’amour,
et d’amour
fidèle, qui anime souvent les relations homosexuelles. Cette
littérature ne les considère généralement
que comme la satisfaction d’une besoin physique et les range
sous la rubrique du relâchement moral et de l’individualisme
qui caractérise notre époque. C’est une injustice
et un non-sens, comme aussi de comparer la pratique homosexuelle à l’usage
de l’alcool et des drogues.
Quand un jeune se découvre
habité par cette tendance,
c’est pour lui un malheur. Il devra lutter dur pour accepter
son handicap, surmonter la déception de ses parents et manœuvrer
dans une société hostile. Alors, arriver là-dessus
avec un discours culpabilisant est révoltant.
Doit-on promettre
une « guérison » ? Les
réussites sont rares, et beaucoup d’espoirs s’avèrent
fallacieux. La déception prend une dimension spirituelle
si on fait appel au pouvoir guérisseur de Dieu, et le désarroi
religieux devient dramatique quand on fait croire à l’intéressé que
son état encourrait la réprobation divine.
Pourtant
nous connaissons des homosexuels qui louent le Christ de les avoir
guéris, non de leur orientation profonde mais
de la peur et de la honte instillées chez eux par le discours
des bien-pensants.
Un dernier volet de ce discours qui nous indigne,
c’est l’interdiction
faite aux homosexuels non repentis ou non guéris (selon
les termes de ce discours) d’entretenir une relation comportant
une activité sexuelle. Si décidément les intéressés
ne peuvent aimer que des personnes du même sexe, ils n’ont
qu’à assumer leur solitude. Amours brisés,
vies amputées, telle est la loi d’airain imposée
paraît-il par l’ordre de la création.
La continence
est le statut imposé aux prêtres. Mais il s’agit
d’une discipline fixée par l’Eglise catholique,
contre laquelle on peut s’insurger sans mettre sa foi en
question. Ici l’interdiction d’accomplir son amour
est référée directement à Dieu. On
mesure le scandale que cela soulève, car l’image de
Dieu qui en résulte est celle d’un potentat injuste
et cruel.
Notre prise de position vise donc deux objectifs.
Nous dénonçons
un discours qui jette dans le désespoir des innocents, et
qui détruit la confiance mise par des croyants dans le Dieu
de Jésus-Christ.
Nous n’avons pas trouvé dans
les ouvrages protestants un point de vue aussi tranché que
celui que nous défendons
ici. Certes, le volume « Le protestantisme. Mémoire
et perspectives » édité par Michel
Dandoy (1) reproduit des avis bien contrastés. Seulement
même
ceux qui s’éloignent du discours traditionnel ne soulignent
pas les conséquences néfastes de son enseignement.
Nous ne sommes pas les porte-parole d’une institution, contraints
de ménager l’opinion d’une partie de ses membres,
mais des personnes sans autre allégeance que leur libre
conviction.
Ce document est rédigé au pluriel,
le « nous » englobant
les lecteurs qui y auront retrouvé leurs propres réactions.
Au départ il ne porte que la signature de son auteur. Il
n’est pas proposé à la rédaction d'un
journal ecclésiastique
officiel, mais les personnes qui le désireront sont invitées à le
diffuser largement auprès de leurs amis.
Fait à Genval
dans les derniers jours de 2006
Pierre Le Fort, pasteur,
professeur
honoraire de la Faculté universitaire
de théologie protestante de Bruxelles
(1) aux éditions Racine, Bruxelles, octobre 2005 |