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 Éthique
Le voile et le string

Jean-Paul Sorg

Petite fantaisie sociologique

Qui sait ce qui se passe dans la tête de ces jeunes filles qui s'obstinent à porter le voile à l'école ? C'est toujours mystérieux, un engagement religieux, surtout à cet âge.

Dans la tradition chrétienne, « prendre » le voile signifie entrer au couvent ou dans une congrégation, devenir une sœur de charité pour se vouer soit à la contemplation recluse soit à une action dans le monde, enseignement ou soins hospitaliers. Je me souviens de quelques religieuses qui suivaient des cours de philosophie à la Faculté des lettres de Strasbourg et dont les coiffes émergeaient du groupe des étudiants assis dans l'amphithéâtre. C'était les années soixante. Personne n'aurait songé à y redire, sous prétexte de laïcité, et ne voyait la République menacée. Début des années soixante-dix, mes enfants ont encore eu des sœurs en habit pour institutrices à l'école primaire publique. Anomalie alsacienne ? Exception culturelle alsacienne ! Une de ces sœurs a été élue plus tard membre du conseil municipal. Enfant, j'ai été sauvé de la diphtérie grâce aux piqûres que me faisait sœur Alice, dont l'inamovible coiffe blanche laissait tout juste apercevoir au dessus du front la racine des cheveux.

J'entends bien que ce qui indispose aujourd'hui, c'est le port du voile islamique, à l'école et sur les lieux de services public. Mais il n'était pas peut-être mauvais de rappeler, par ces quelques exemples autochtones, tirés d'un passé récent, que l'usage de voiles pour couvrir la tête et cacher la chevelure des femmes n'est pas une invention de la seule religion musulmane. Plus profondément, il s'agit d'une modalité particulière, sans doute excessive ( ainsi en juge notre modernité ), néanmoins respectable, de la pudeur féminine, phénomène culturel (anthropologique ) plus large, plus universel que les règles religieuses connues ( en Occident comme en Orient) qui ont pu se greffer dessus, lui donner le caractère d'un commandement social et aussi le détourner, en effet, à des fins de domination d'un clergé s'arrogeant le pouvoir de condamner tout acte de transgression ou toute attitude négligente, non conforme.

Quelles que soient ses origines et ses motivations, on estimera peut-être que ce phénomène socialement surdéterminé marque toujours une oppression, séculaire, millénaire, de la femme.

Théorie féministe radicale : tout ça, c'est la faute – et la faiblesse et la lâcheté – des hommes dominateurs. Redoutant le rayonnement sexuel des femmes, ils leur ont imposé cet artifice, le voile, foulard, fichu, tchador ou coiffe ( le chapeau aussi ? ), pour envelopper une des armes majeures de leur séduction, la chevelure, dans un morceau de tissu et la rendre ainsi inopérante.

Seconde théorie : les femmes elles-mêmes, mais aliénées, auraient mis au point ces stratagèmes du voilement pour se protéger du regard concupiscent des hommes qui rôdent.

L'espèce humaine, en civilisation, a dû de toute manière apprendre à réguler sa sexualité, à ne pas laisser le désir dans un état de surexcitation continue ou arbitraire, à la merci de la moindre sollicitation. Il a donc toujours paru nécessaire de lier les pulsions à des moments et lieux déterminés ( la case, la maison, voire les maisons closes ! ) et de fixer leur satisfaction.

Les cheveux déployés sont l'étendard de la féminité. Les couvrir, les serrer ( technique du chignon ) ou, carrément, les dissimuler aux regards revient à suspendre sa féminité : non pas à la nier, comme on le ferait en rasant le crâne, acte violent, barbare ( dont on connaît de sinistres exemples dans l'histoire européenne ), mais à les mettre entre parenthèses, manière possible pour une femme de signifier qu'elle n'est pas seulement et tout le temps un objet de désir sexuel ni un sujet sexuel, une « machine désirante » sans interruption ; qu'elle est une personne humaine qui… pense, qui a une vie sociale, des intérêts divers, des responsabilités, et qui entend brider ( oui ), protéger et réserver sa sexualité.

J'imagine que la femme musulmane, tenue par une coutume qui ne manque pas de raffinement, réserve de découvrir sa chevelure à son mari ou, soyons coquins, à son amant. Moment de surprise, d'excitation, de joie, pour elle et pour lui. Au nom de quoi, de quel droit, décidons-nous de priver une jeune femme des fruits d'une telle coutume qui enrobe une morale érotique dans un réel art de vivre ? J'imagine, je fantasme ? Les collégiennes musulmanes ( de nos banlieues ) n'auraient pas l'intelligence de cela… Je lis partout qu'elles sont élevées dans la crainte de l'homme, conditionnées par les imams et soumises à un système de commandements obscurs imposés par les familles; Est-ce vraiment aussi simple  et général ?

Pénible scène vue à la télévision.

Une intellectuelle française à l'abondante chevelure grise, auteur de nombreux livres, militante critique du féminisme, apostrophe une jeune musulmane voilée, étudiante en troisième année de droit : « Mais dites-le donc pourquoi vous tenez tant à ce voile ? Est-ce par provocation ou par soumission à vos règles communautaires ? Ou vous êtes de mauvaise foi ou vous avez la foi obtuse. Moi, je pense que vous êtes aliénée par votre religion. L'école républicaine vous donne la chance de vous libérer. » L'étudiante gardait son sourire et expliquait calmement que ses parents ne l'avait pas forcée, au contraire, et que porter le voile était son libre choix, depuis quatre ans, depuis qu'elle avait commencé à réfléchir sérieusement, en classe de philosophie d'ailleurs, sur les problèmes d'identité et de culture.

Le développement de cette argumentation énervait de plus en plus l'intellectuelle républicaine, convaincue a priori que se couvrir la tête d'un voile était incompatible avec la liberté de la femme, donc son égalité vis-à-vis des hommes. Contre toutes les apparences, elle persistait à voir dans la jeune étudiante une personne immature, manipulée ou conditionnée par son milieu familial et religieux. Elle criait au danger de communautarisme.

Mais comment peut-on juger aussi vite de l'authenticité ou non d'un comportement ? La lycéenne qui exhibe son string rouge, quelques millimètres au dessus du jean, et son nombril percé d'un anneau, est-elle libre, elle ? Femme libérée, parce que intégrée dans la modernité du jour ? N'est-elle pas à sa façon conditionnée, et gravement, par la publicité et tout le halo pornographique qui borde les appels à consommer ? De la jeune femme voilée et de l'ado adepte du string, la plus esclave dans sa tête n'est peut-être pas la première. Déjà les sociologues se contorsionnent pour justifier la mode du string : une étape de plus dans la libération, un moyen nouveau pour les ados d'annoncer qu'elles ne laisseront personne contrôler leur féminité ! On aimerait que d'autres sociologues montrent la même générosité intellectuelle pour expliquer le phénomène du voile et légitimer la décence.

Le voile et le string fonctionnent symboliquement comme des antithèses, des tendances contraires, dont l'une par réaction pourrait renforcer l'autre. Poussé à l'excès et devenant ostentatoire, le libertinage provoque des regains de puritanisme. L'esprit de Savonarole revient. Au secours ! Non, bien fait ! Ainsi tourne, tourbillone notre société. Les hommes deviendront-ils raisonnables ?

Jean-Paul Sorg, Bhul, 5 janvier 2004  



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