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 Éthique

Une morale évangélique :
entre jugement et miséricorde


Philippe Aubert

  1 - Réguler les débordement d'une société
  2 - Une morale protestante spécifique
  3 - Les trois modes de pratique de la morale

Il suffit de lire la Bible pour constater immédiatement qu'elle est aux antipodes d'un traité de morale, ce qui ne veut pas dire que la dimension morale en soit totalement absente, bien au contraire. Là ou d'aucuns aimeraient figer l'existence humaine dans des règles immuables ou révisables selon les situations et les intérêts, la tradition biblique aborde la question morale sous l'angle du jugement et de la miséricorde.

Jugement et miséricorde de Dieu tout d'abord avec comme ultime point d'orgue le mystère de l'acte divin. Ce mystère qui devrait nous ramener plus souvent à l"humilité, et que Calvin a voulu préserver par sa doctrine de la prédestination. À l'intérieur de cette architecture théologique, nous trouvons un nombre impressionnant de textes où il est question du jugement que nous ne manquons pas d'exercer les uns sur les autres, et donc des condamnations que nous prononçons, ou de la miséricorde dont nous faisons preuve.

1 - Réguler les débordement d'une société

Le personnage biblique qui a été le plus confronté à l'exercice de la morale est certainement l'apôtre Paul. Que ce soit dans ses deux lettres aux Corinthiens, ou dans l'Épître aux Romains, Paul est sans cesse obligé d'intervenir pour tempérer l'ardeur avec laquelle les uns et les autres se jugent et se condamnent. Il n'est pas simple de mesurer à sa juste valeur les difficultés rencontrées par les premières communautés chrétiennes, pour qui la foi en Jésus devenait la source d'une nouvelle morale, en même temps que le refus de toute autre morale.

Très rapidement, le christianisme naissant est entré en conflit avec la culture païenne. Sur ce point, il serait souhaitable de réviser nos jugements qui consistent à croire que le monde païen était le temple de l'immoralité, un monde sans foi ni loi, une culture qui n'aurait été que décadente, etc. L'idéal moral du monde antique n'a rien à envier aux exigences de l'Évangile, il est simplement de nature différente.

C'est ce conflit entre la nouvelle foi et le système de valeurs du monde païen que nous retrouvons dans les communautés fondées par Paul. Au nom de la liberté chrétienne, certains membres de la communauté s'abandonnent à des comportements immoraux, si bien qu'il devient difficile de réguler les débordements d'une telle société humaine.

2 - Une morale protestante spécifique

Ainsi commençait l'histoire des rapports tumultueux entre christianisme et morale. En effet, la morale a souvent été détournée de son but, pour servir des intérêts tout autres que moraux; l'Histoire de l'Église est édifiante sur ce point.

Détournée de son but, elle est aussi devenue une arme pour peser sur les consciences en transformant la responsabilité en culpabilité. Elle brise ainsi les individus en les marginalisant totalement des communautés, leur ôtant toute possibilité de faire table rase du passé et de devenir des êtres nouveaux. Voulant faire face à ces difficultés, la morale protestante, dont il ne faut pas nier la spécificité, a voulu mettre l'accent sur la grâce plus que sur le péché, même si parfois les apparences sont trompeuses.

En quoi la morale protestante est-elle spécifique? Premièrement, ce n'est pas une morale d'autorité qui imposerait certaines formes d'ascèse, ou certaines pratiques. S'appuyant sur la reconnaissance que l'homme doit avoir devant la grâce et sur le principe de responsabilité individuelle qui en découle, la morale protestante se définit comme une frugalité raisonnée. Rompant avec la distinction entre le monde profane et le monde religieux, les réformateurs, et plus particulièrement Calvin, induisent un nouveau rapport aux richesses, à la politique, à la sexualité, etc.

Toutes ces réalités sont à accueillir avec reconnaissance, mais il ne faut pas pour autant en minimiser la capacité de nuisance. La question consiste donc à vivre une certaine morale, sans que celle-ci nous transforme en hypocrites, en juges les uns des autres.

3 - Les trois modes de pratique de la morale

Dans son petit ouvrage consacré à ce problème, Tout est donné, tout est à faire, Éric Fuchs trace pour nos Églises trois manières d'intervenir dans le débat moral.

La première est assez classique: c'est l'action prophétique qui consiste à prendre position sur des sujets de société, soit en condamnant, ou en rappelant les principes auxquels nous sommes attachés. Cette méthode est parfois nécessaire, mais elle risque aussi de plonger les Églises dans un isolement qui les coupe du véritable débat dont a besoin la société. Il ne faut pas se cacher que cela peut être aussi une façon facile de se donner bonne conscience.

La deuxième proposition de Fuchs est certainement la plus passionnante à vivre pour une communauté: elle consiste à vivre la morale en fonction de la valeur que nous reconnaissons à notre engagement communautaire. Ici la perspective est inversée, la morale n'est pas une école de perfectionnement nécessaire à notre nature marquée par le péché, elle est l'expression de notre foi et s'incarne dans l'amour que nous avons les uns pour les autres, au point que rien de ce qui concerne l'autre ne m'est indifférent.

C'est alors que la morale n'est plus pour nous un discernement entre le bien et le mal, c'est un art de vivre qui nous renforce dans nos liens.

La troisième manière correspond bien à l'esprit du temps, c'est ce qui lui donne toute sa pertinence. C'est la méthode sapientiale, la sagesse si l'on préfère. Les auteurs bibliques connaissent bien cette attitude qui consiste à accompagner nos prochains sans déclarer des vérités toutes faites. Attitude où on ne juge de rien, où on ne dénonce rien, on prend en compte la réalité telle que les hommes et les femmes la vivent. C'est ensemble qu'on cherche à discerner le bien du mal.

Ces trois modes de pratique de la morale, on peut les résumer en une formule. Ils nous rappellent que la morale évangélique passe toujours par le refus de la loi des nantis, la célébration communautaire de l'amour de Dieu, et l'amour de nos prochains.

Philippe Aubert  



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