retour petite gazette
 Éthique
La réconciliation

E. H. Cossee

Point de vue libéral sur la réconciliation-rédemption dans le passé et de nos jours.

  1 - Quelques concepts bibliques
     a -
Le type mythique
     b -
Le type juridique
     c -
Le type éthique
     d -
Comparaison des trois types
  2 - Faustus Socinius (1539-1604)
  3 - Joseh Priestley
  4 - William Ellery Channing (1780-1842)
  5 - Petrus Hofstede de Groot (1802-1886)
  6 - Le débat actuel sur la réconciliation aux Pays-Bas
  7 - Remarques conclusives

Dans l’Europe d’aujourd’hui, la réconciliation entre Dieu et l’homme est un sujet important et nous, libéraux, ne pouvons ignorer ce sujet. Le dogme de la réconciliation (souvent appelée Rédemption ou Expiation par le sang. NDLR) a plus divisé qu’il n’a unifié les chrétiens ; il est devenu l’un des dogmes importants séparant libéraux et orthodoxes et son interprétation a conduit les deux mouvements à suivre leur propre chemin.

Nous nous intéresserons à l’interprétation libérale de la notion de réconciliation dans le passé et de nos jours. 

1 - Quelques concepts bibliques

Parler de réconciliation, c’est admettre une faille dans une certaine relation, faille qui doit être réparée. Ce peut être le cas dans les relations interpersonnelles. D’après la Bible, c’est aussi le cas dans les relations des hommes avec Dieu : c’est le cas d’Israël dans le cadre de son alliance avec Dieu. Cet écart du droit chemin, cette désobéissance s’appelle péché dans la Bible.

La Bible précise que c’est ce péché des hommes qui provoque la colère de Dieu. Après tout, il est parfaitement juste et ne peut laisser le mal impuni ; mais en même temps, il est miséricordieux et ne veut pas rompre l’alliance. Ainsi il se présente sous deux faces, colère vis-à-vis de l’infidélité de l’homme et amour qui pardonne : dans sa foi, l’homme espère et est certain que l’amour de Dieu l’emporte sur sa colère.

Le Nouveau Testament personnifie en Jésus Christ le concept de réconciliation qui atteste de l’amour de Dieu pour tout homme ; beaucoup de personnes ont vu en Jésus le Messie de la promesse venu pour accomplir la réconciliation entre Dieu et son peuple ; image de l’amour de Dieu, il l’ont appelé Fils de Dieu et pourtant son itinéraire s’acheva sur la croix.

Nulle part la méchanceté de l’homme n’est aussi manifeste que dans la crucifixion de Jésus mais on peut aussi voir dans sa mort l’expression de son amour infini, lui qui donna sa vie pour ses amis. L’homme fut ainsi conduit à concevoir la résurrection de Jésus comme confirmation de l’amour total de Jésus pour l’humanité : la mort de Jésus devint le symbole de la victoire sur le péché. La résurrection a prouvé que l’amour de Dieu est plus fort que la mort; la mort de Jésus- à cause de la résurrection- s’est avérée comme symbole de la réconciliation. La mort de Jésus a annulé la force du péché.

Pour préciser la notion de réconciliation, on peut distinguer trois types de concepts : mythique, juridique et éthique. Cette typologie est artificielle et sommaire mais elle nous aidera à pointer la spécificité du libéralisme.

a - Le type mythique

Le type mythique conçoit la mort et la résurrection de Jésus comme une victoire sur les forces démoniaques contrôlant l’univers. On rencontre cette conception principalement dans l’orthodoxie orientale.

Ici Dieu est considéré comme le pouvoir suprême opposé aux contre-pouvoirs démoniaques qui, depuis Adam, ont barre sur l’humanité. Dans le même temps, Dieu utilise ces mêmes contre-pouvoirs -la mort en particulier- pour punir les hommes de leur désobéissance.

Dans ce contexte, l’humanité se trouve plongée dans un processus infernal : elle est dominée par les forces démoniaques, elle est coupable de ce fait devant Dieu et elle est punie par Dieu qui utilise ces mêmes forces.

Seul Dieu peut rompre ce cycle. Mais comme ce combat concerne le salut des hommes, Dieu et les forces démoniaques ne peuvent être les seuls intervenants: l’homme doit entrer dans l’arène pour ses semblables; pas un être ordinaire, car il n’en serait pas capable, mais un être humain de nature divine. C’est la figure du Christ - déjà appelé Dieu et homme par Irénée au deuxième siècle- qui seul peut assurer ce salut. C'est le thème de nombreuses images mythiques: Christ repousse le diable, libérant l’humanité des griffes de la fatalité. 

b - Le type juridique

Le type juridique apparaît au Moyen Age, principalement en Europe de l’Ouest. Ici la mort de Jésus est interprétée comme un événement de réconciliation en termes d’expiation, assujettissant ainsi l’homme à la justice expiatoire de Dieu. Ce deuxième type suppose un ordre légal établi par Dieu; la désobéissance de l’homme signifie une transgression de cet ordre. Seul un sacrifice peut compenser cette insulte à Dieu.

Le nom d’Anselme de Canterbury (1033-1109) est associé au type juridique. Selon lui, seul Dieu est assez grand pour réaliser un tel sacrifice. Mais l’homme reste coupable et doit donc faire pénitence. Ainsi, selon Anselme, seul Dieu a la possibilité de ce sacrifice et l’homme a seulement à l’accomplir; donc ce sacrifice doit être fait par quelqu’un qui est Dieu et homme: c’est pourquoi Dieu s’est fait homme en Christ.

Ce type éthique a eu une grande influence en particulier sur les credos de la Réforme. Il diffère du type mythique car il insiste sur la faute et la repentance et inscrit la réconciliation dans une procédure légaliste. Mais la question de la responsabilité même de l’homme demeure. 

c - Le type éthique

Le type éthique suppose la participation de l’homme et sa responsabilité dans le processus de réconciliation. La réconciliation est associée à toute la vie de Jésus et pas d’abord à sa mort conçue comme un sacrifice car il reste fidèle à sa mission jusqu’à la fin. L’exemple de réconciliation que propose Jésus incite vivement à une remise en cause dans la vie du fidèle.

Pierre Abélard (1079-1142) est souvent associé à ce type éthique: pour lui, Jésus a prouvé qu’il est possible de se vouer à l’amour pour Dieu et pour autrui; la croix est conséquence de cet amour infini. La réconciliation n’a pas été réalisée une fois pour toutes, elle doit être sans cesse accomplie par les hommes. 

d - Comparaison des trois types de réconciliation

La libération des forces du péché et de la mort,
Le règlement de la dette envers Dieu,
La vie de Jésus prise comme exemple.

On peut concevoir les trois types de réconciliation soit comme complémentaires soit comme des alternatives.

La dimension cosmique du premier type peut être perçue comme corrigeant le concept d’une réconciliation pas trop individuelle. Cependant, dans le deuxième type, la contribution de l’homme a complètement disparu, ce qui exclut tout effort humain. Si ce type est le plus critiqué par les libéraux, par contre le type éthique les séduit, ils ont en effet toujours eu une vue optimiste de l’humanité ; ils ont toujours souhaité réduire la distance entre Dieu et les hommes en partant du fait que la possibilité est offerte aux hommes d’accomplir la volonté de Dieu avec Son aide. 

2 - Faustus Socinius (1539-1604)

Premier systématicien du libéralisme, Socinius condamna énergiquement la doctrine de réconciliation d’Anselme. C’est dans le Catéchisme de Racovie que l’Unitarisme a été présenté pour la première fois à l’Europe avec cohérence et avec une focalisation sur l’antitrinitarisme : les Ecritures et la raison même conduisent à rejeter la notion de la nature divine du Christ. Et comme Jésus n’est pas Dieu, il ne peut pas prendre sur Lui la faute de l’homme qui est tombé dans le péché, ceci pour satisfaire la justice expiatoire de Dieu.

Le but du Catéchisme de Racovie est de nous faire connaître la volonté de Dieu et de nous faire réaliser la nécessité de l’accomplir. L’objet suprême de notre vie sur terre est la vie éternelle et pour cela l’homme doit obéir aux commandements de Dieu.

La question demeure: Que doit faire l’homme pour être sauvé ? Quel rôle a Jésus pour permettre à l’homme d’accomplir la volonté de Dieu ?

Compte tenu de ses qualités présumées, le Catéchisme présente Jésus comme un être humain, quoiqu’il soit à maints égards plus qu’un être humain ordinaire. Et le Catéchisme considère comme la pire absurdité que Dieu puisse avoir à se réconcilier à travers Jésus. Si le rôle salvateur de Jésus est indispensable pour nous conduire vers la vie éternelle, Jésus ne change rien en Dieu et dans Sa disposition à notre égard.

L’homme doit compter sur ses propres ressources pour accomplir son salut. Le Catéchisme insiste sur le fait que ceci entre dans les capacités de l’homme. Il rejette les dogmes qui, comme la doctrine de la prédestination et du péché originel, réduisent ou suppriment le libre-arbitre de l’homme. La volonté d’obéir aux commandements de Dieu est une spécificité de l’humanité.

Il n’est pas difficile de percevoir dans ce Catéchisme le caractère éthique du concept de réconciliation : tout l’accent est mis sur l’homme accomplissant la volonté de Dieu, mais avec l’aide de l’Esprit Saint. L’optimisme de Socinius sur les chances pour l’humanité d’atteindre une perfection morale résonne dans tout le texte. 

3 - Joseph Priestley

Ce leader unitarien anglais radicalise la pensée de Socinius. En 1782, il publie “Une histoire des corruptions du christianisme” parmi lesquelles on trouve en particulier la réconciliation sous sa forme juridique. Il désigne comme corruptions les dogmes qui ne sont pas conformes à la raison ou qui ne sont pas déduits directement des Ecritures -en particulier la Trinité. Il ne donne le label d’Unitarien qu’à ce qu’il considère comme original.

Sa pensée combine l’influence de l’Unitarisme de Socinius, du rationalisme de Locke et du matérialisme de Hartley, d’où une forme de christianisme éclairé qui laisse peu de place à la révélation et absolument aucune place à l’autorité confessionnelle de l’église. Priestley est convaincu que l’homme dispose de la capacité naturelle de suivre l’exemple éthique de Jésus, ce qui explique que son interprétation de la réconciliation soit de type éthique. 

4 - William Ellery Channing (1780-1842)

Il y a eu, dans les milieux unitariens, une réaction au rationalisme de Priestley. Le leader unitarien américain Channing s’efforça de sortir la pensée unitarienne de sa pétrification rationaliste et y introduisit un facteur émotionnel et éducatif.

L’amour paternel universel de Dieu sous-tend toute sa pensée. Selon lui, Jésus fut envoyé par le Père pour accomplir un salut moral ou spirituel de l’humanité: Christ n’est pas mort par la volonté de Dieu. Ce n’est pas Christ, en sacrifiant sa vie, qui fut à l’origine de la grâce de Dieu pour l’humanité, non. C’est dans sa grâce que Dieu envoya Christ pour être notre Sauveur.

De ce fait, Channing rejette le dogme de la justice expiatoire de Dieu. Christ est la lumière, le guérisseur et le guide de l’âme sombre, malade et errante de l’homme. 

5 - Petrus Hofstede de Groot (1802-1886)

La pensée de Groot délivre le libéralisme de son côté froid et rationaliste. De ce fait, sa théologie eut une large audience en Europe, ce qui est caractéristique de la phase romantique de l’humanisme chrétien ; aux Pays-Bas, ce courant de pensée est représenté par les “théologiens de Groningue”, ceci depuis 1830.

De Groot résume le propos de ce mouvement dont il est le leader en écrivant que “le plus important dans le christianisme est la révélation et l’éducation comme étant données par Dieu en Jésus-Christ, de manière à nous rendre de plus en plus semblables à Dieu”.

Les “Groningers” rejettent le dogme de la  trinité, de la prédestination et de la justice expiatoire de Dieu. Ils reconnaissent la double nature divine et humaine et la capacité de l’homme à accomplir la volonté de Dieu avec Son aide. Pour eux, la crucifixion de Jésus fut une révélation de l’amour de Dieu, de la perfection de Jésus et de la culpabilité des hommes, afin de les amener à être admiratifs devant Jésus.

Contrairement à la position d’Anselme sur la réconciliation, les “Groningers” pensent que Dieu n’a pas envoyé son fils dans le monde pour qu’il meure afin d’expier le péché des hommes mais pour qu’il les fasse naître à Dieu. C’est la méchanceté des hommes qui a entraîné la crucifixion de Jésus ; les hommes ont besoin du pouvoir moral, refondateur de la croix pour être conduits à Dieu. 

6 - Le débat actuel sur la réconciliation aux Pays-Bas

Le théologien réformé Herman Wiersinga reprend à nouveau la discussion en faveur du concept éthique de la réconciliation  : il s’oppose à l’idée que la réconciliation ait eu lieu une fois pour toutes sur la croix de Golgotha : la focalisation de la réconciliation sur un moment précis fait passer l’histoire humaine au second plan et fait perdre leur importance à tous les événements antérieurs et postérieurs. “Jésus a donné sa vie pour son message- ce qui signifie également- pour tout homme qui a vu, entendu et fait sien ce message.

Actuellement la réconciliation n’est pas achevée ; elle nécessite deux parties: Christ offre la réconciliation mais encore faut-il l’accepter et se transformer pour accomplir la réconciliation entre Dieu et les hommes”. C’est une réconciliation à travers Christ, qui ne se situe pas avant la naissance de l’homme ou à son insu mais avec son consentement, sa repentance et sa conversion. Se réconcilier signifie reprendre une relation, ce qui implique deux parties.

Wiersinga fut le premier dans le milieu orthodoxe des Eglises Réformées des Pays-Bas a adopter un point de vue libéral sur la réconciliation, ce qui entraîna des résistances, une menace de schisme même, et depuis lors, il existe une aile libérale dans les généralement très orthodoxes Eglises Réformées des Pays-Bas. 

7 - Remarques conclusives

Comme dans le passé, les libéraux accordent un rôle à l’homme dans la réalisation du salut. Si Dieu dans sa miséricorde nous offre le salut, ce n’est pas un événement accompli une fois pour toutes et sans notre implication. C’est une histoire qui continue, visant à inspirer et motiver les hommes pour provoquer sans cesse une réconciliation effective.

Cette forme de réconciliation ressort du type éthique auquel les libéraux ont toujours été attachés; de nos jours cette interprétation gagne progressivement du terrain dans les milieux orthodoxes.

Il échoit aux confessions libérales européennes la tâche de donner un statut solide à cette idée de réconciliation effective qui correspond à une interprétation d’actualité du concept biblique. Ainsi les libéraux ne seront pas seulement fidèles à leurs ancêtres spirituels mais en plus ils apporteront leur contribution essentielle à l’humanisation de l’Europe qui est à bien des égards encore très divisée.

E.H. Cossee, Professeur à l’Université de Leyde
Conférence faite à la réunion du Réseau Européen des Protestants Libéraux (Bad Boll Allemagne le 3/7/98, traduit et adapté par Robert Serre, Montpellier)



 Éthique
 injustice
 bio et thanato-éthique
 censeurs mal inspirés
 mourir humainement
 le mal et le bouddhisme
 la marche du sel
 un stade critique ?
 aperçu sur la mort
 Gadlu, Padnu, Padsu
 contre la mondialisation
 le Vatican et l'Europe
 les visages de la violence
 les temps présents
 le voile et le droit belge
 le voile et le string
 libéralisme en religion
 la violence
 la mémoire de l'âne
 d'un ostracisme à l'autre
 j'ai perdu mon amour
 l'éthique, c'est quoi ?
 responsable et solidaire
 l'humanité est une
 j'ai eu besoin de vous...
 l'internet et l'amour
 la règle d'or
 les religions, meurtrières?
 morale évangélique
 un sens à la vie
 le respect et l'écoute
 la réconciliation
 les droits de l'homme
 la fidélité en amour
 la fidélité aux convictions
 dans un confessionnal
 femme, famille, religion
 violence et espérance
 la haine et le terrorrisme
 quand on désespère
 l'éthique mystique
 protester ou se taire
 le respect de la vie


Profils de libertés

Nous apportons notre appui à toutes démarches visant à lutter contre
le totalitarisme,
le sectarisme,
la xénophobie,
le fondamentalisme et l'intégrisme
de toute obédience.

Un site engagé

De bric et de broc

« Résister, c'est rêver qu'un autre monde est possible. Et contribuer à le bâtir. »

           Ignacio Ramonet