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 Éthique
Les temps présents


Jacques Chopineau

L’homme sans passé n’a pas de futur

L’homme religieux (je ne veux pas dire « confessionnel », « dogmatique » etc…) se reconnaît un passé et un avenir. Non toujours un avenir personnel : il sait que -comme tous les humains- il mourra, mais il sait aussi que le monde ne s’arrêtera pas avec lui. De même, son monde a commencé bien avant lui. Son présent se situe entre un passé et un avenir. Il est lui-même à la charnière entre ces temps. L’un est ouvert ; l’autre est caché. Entre les deux, son présent se dilate.

Cette dimension du temps vécu est une caractéristique fondamentale de tout comportement de caractère « religieux ». Une autre caractéristique est rappelée dans un autre article (cf Un monde nouveau).

Pour reprendre une expression consacrée, c’est « sous le regard de Dieu » que son présent se fonde et se dilate : il n’est de présent qu’entre un passé et un avenir. C’est aussi le temps d’un travail. La fameuse et brève prière de Saint Augustin le rappelle :
« Deus semper idem noverim me noverim te. Oratum est » (1).

Cette prière pourrait résumer toute attitude religieuse et –justement comprise- pourrait être reconnue par ceux qui sont en chemin, quelle que soit la tradition à laquelle ils se réfèrent.

À l’inverse, certains font table rase du passé. Souvent, ce sont les mêmes qui considèrent qu’ils n’ont pas d’avenir. « Pas de futur », dit-on. De là, cette exaltation du présent. Jouissons aujourd’hui, car demain nous mourrons. Le présent est limité à ce que ma personne peut éprouver.

Parfois même, un âge suffit à définir un statut. Un « jeune » est différent d’un « vieux ». Certes, pour tous, l’avenir est la fin de la vie. Mais il faut jouir aujourd’hui et, pour cela, il vaut mieux être jeune ! C’est la qualité de la vie mesurée en termes d’intensité de la jouissance. C’est bien logique, mais fou !

Les patries et leurs guerres  

Curieusement, les anciennes patries jouaient le rôle « religieux » d’ancrer les patriotes dans un passé et de les tourner vers un avenir qui n’était pas borné à leur personne. C’est peut-être le seul point de comparaison, d’ailleurs, tant les patries sont la source de guerres (ces meurtres organisés à grande échelle) que notre Europe a bien connues.

Mais dans la perspective du règne du présent seul, la patrie ne joue pas de rôle. Plutôt le profit immédiat en ce qu’il peut seul donner de satisfaire nos besoins. Dis-moi quels sont tes moyens et je te dirai quel homme tu es. Une telle pensée n’a que faire d’une patrie… et pas davantage d’une religion !

Le seule « guerre » qui soit religieuse est la guerre contre soi-même. C’est le thème de la guerre sainte ou, en terre d’Islam, la guerre spirituelle (« el-djihâd en-nafsi »). Ces expressions sont souvent mal comprises et –par une approximation quasi journalistique- elles deviennent des motifs de croisades ou de violences. Il importe de dénoncer de tels abus de langage.

Cette « guerre sainte » est le seul travail proprement religieux d’ailleurs ; elle n’est pas toujours liée à une confession religieuse dogmatique : des agnostiques ou des athées peuvent être des adeptes d’un tel travail, tout en utilisant un vocabulaire différent.

Etre en chemin, suppose que des obstacles vont surgir. Et le champ de bataille est, dans tous les cas, le marcheur lui-même. Cette « guerre » est une guerre intérieure. Un monde qui ignorerait cela ne serait pas un monde humain.

Jacques Chopineau, Genappe, le 12 juillet 2004

(1) « Dieu, toujours semblable : Que je me connaisse ; que je te connaisse. Prière est faite » (Soliloquia II,I,1). 



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