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 Éthique
Le libéralisme en religion et en politique

Henri Persoz

- Le libéralisme en politique
- Le libéralisme en religion
- Le libéralisme en religion conduit-il au libéralisme en politique ?
- Non, pour deux raisons

La question à laquelle j’aimerais répondre est celle-ci :

Existe-t-il une logique commune au libéralisme politique et au libéralisme théologique ? Ce qui impliquerait donc qu’un bon “protestant libéral” devrait être aussi un défenseur du libéralisme en politique.

Ces deux libéralismes nous libèrent-ils d’une même autorité pesante et sclérosante qui se nomme l’Etat ou l’Eglise pour la même raison que le centralisme tue les idées nouvelles et les entreprises nouvelles et donc aussi les progrès de la société et de la pensée.

Je ne voudrais pas juger le libéralisme en tant que tel, mais par rapport au christianisme libéral. Avant de proposer ma réponse, il me semble utile de revenir sur quelques définitions.

Le libéralisme en politique

J’emploierai ce mot pour signifier la doctrine politique qui prône le libéralisme économique.

Il est fondé sur la liberté individuelle, la liberté d’entreprendre, pourvu que l’ordre public ne soit pas menacé. Dans l’espace politico-économique libéral, chaque individu utilise cette liberté pour s’assurer le maximum de gains pour le minimum de peine.

L’axiome du libéralisme consiste à dire qu’en raison d’un certain ordre de la nature, ces recherches individuelles du maximum de bénéfices conduisent à l’intérêt général. C’est la fameuse main invisible d’Adam Smith. Cet axiome a été contesté,  notamment par Keyne entre les deux guerres. Keyne a montré la nécessité de l’intervention de l’Etat pour que les actions individuelles conduisent à l’intérêt général.

Aujourd'hui, l’axiome a repris de la vigueur et prend la forme suivante avec les ultra-libéraux : vous avez le droit de faire ce que vous voulez avec l’argent que vous avez gagné. Au-delà de la politique il s’agit d’une nouvelle théorie de la justice.

Quoi qu’il en soit, la société libérale se développe dans un espace social faiblement organisé, avec une intervention de l’Etat la plus faible possible. Le pouvoir est dévié vers les entreprises et surtout vers le marché. Et l’on voit bien aujourd’hui que ce sont les grandes entreprises qui dirigent le monde.

Le libéralisme en religion

Ce n’est pas devant l’auditoire de Sète que je me risquerai à le définir ! Disons seulement qu’il repose aussi, et encore plus que le protestantisme ordinaire, sur la liberté individuelle, mais surtout la liberté de penser. Il insiste sur la réflexion personnelle, sur le fait que chacun doit se forger ses propres convictions, sa propre théologie, sans s’obliger à croire ce que les Eglises veulent faire croire.

Mais une autre caractéristique du libéralisme protestant est de privilégier l’amour du prochain par rapport à toute construction dogmatique.

Le libéralisme en religion conduit-il au libéralisme en politique ?

A la différence d’une certaine pensée luthérienne que l’on a appelée la doctrine des deux règnes, la tradition calviniste affirme volontiers que le domaine spirituel et le domaine temporel ne peuvent pas être dissociés car on ne peut servir Dieu sans rechercher l’utilité sociale pour ses semblables. Et je cite Calvin lui-même : “jamais un métier ne sera approuvé de Dieu s’il ne revient au profit de tous” (Sermon 31 sur les Ephésiens).

C’est ainsi qu’après Max Weber on a souvent souligné la relation entre le protestantisme et la dynamique économique des pays. Et l’on a soupçonné le protestantisme d'être à l’origine de l’utilitarisme qui peut se définir ainsi: l’action la meilleure est celle qui procure le plus grand bien pour le plus grand nombre. Nous sommes bien loin des thèses libérales !

Quoi qu’il en soit, si l’on admet la thèse suivant laquelle le protestantisme a favorisé le développement du capitalisme, doit-on aussi admettre la thèse suivant laquelle l’ultra-protestantisme c’est-à-dire le libéralisme en religion, doit favoriser l’ultra-capitalisme, c’est-à-dire le libéralisme politico-économique ?

Je répondrais volontiers que NON et ceci pour deux raisons principales

1 - Dans l’organisation de la cité, la liberté d’entreprendre de l’un doit s’arrêter là où celle de l’autre est entravée, surtout s’il y a injustice. Laisser l’initiative au marché et à la recherche des plus grands bénéfices induit un type de société dans laquelle seuls les riches ou les détenteurs de capitaux peuvent user de cette liberté. Les autres subissent la liberté de cette minorité que l’Etat théoriquement ne veut pas contrôler.

Et je rappelle une citation du manifeste pour un libéralisme théologique renouvelé, citation de Lamennais : “Quand il s’agit des humbles, c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime”.

Alors que la liberté de penser ne gène ni n’opprime personne. Si je ne veux pas croire à la Trinité, cela n’empêche nullement ceux qui le veulent d’y croire.

Donc la liberté en politique opprime, elle doit être contrôlée par l’Etat. la liberté en religion n’opprime pas, elle ne doit pas être contrôlée par les églises. Je parle évidemment du domaine de la pensée.

2 - Quand la recherche des plus grands gains envahit tout l’espace de la société, y compris l’espace social ; quand le pauvre, le faible, le défavorisé ne sont plus dans les préoccupations de l’organisation de la société, le pouvoir politique ne joue plus son rôle et le christianisme (même-pas libéral) n’a plus qu’à tirer la sonnette d’alarme.

Nous voyons tous les jours les dangers et les méfaits d’une société de plus en plus structurée autour de la recherche des plus grands bénéfices. Dans le domaine social, écologique, alimentaire, international. Les écarts entre riches et pauvres augmentent. La violence s’introduit partout. La fracture sociale ne vient pas que de la pauvreté. Elle vient aussi et surtout de l’écart qui se creuse entre riches et pauvres.

Mais, de plus, nous ne devons pas oublier que le protestantisme libéral a favorisé le développement du christianisme social, celui qui milite pour que l'organisation de la société protège le plus défavorisé.

En conclusion, je ne vois pas comment le christianisme libéral pourrait, en raison de la liberté de penser qu'il défend, soutenir une liberté d’entreprendre qui va jusqu'à la suppression progressive des protections sociales et qui n’a plus le souci de défendre la cause des plus déshérités de ce monde.

Henri Persoz, Journées Evangile et Liberté Sète 16-17 octobre 99, Evangile et Liberté, janvier 2000   



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