Jean-Paul Sorg
Qu'est-ce l'éthique mystique chez Albert
Schweitzer ou sa mystique éthique ? Ne vous effrayez pas.
Il y a rien là d'extatique ni même d'extraordinaire.
Il s'agit simplement de la conscience
que nous prenons du mystère de la vie en nous et autour
de nous; de la conscience que nous sommes vie - qui veut vivre... « En
conséquence »,
il nous revient de respecter cette vie (en nous et tout autour
de
nous), dont nous ne sommes pas la cause et dont nous ne connaissons
pas les fins.
Ce qui nous «revient» ainsi est notre
responsabilité. Le monde, avec toute la vie (les vies) qu'il
contient, ne nous appartient pas, à nous, le humains; mais
à l'évidence nous lui appartenons, nous en faisons
partie. Comme «partie» et participant, nous avons donc
à respecter -à ménager, à ne pas dégrader,
à laisser au moins en l'état où nous l'avons
trouvé - ce monde, cette création dont l'existence
transcende infiniment la nôtre, la «nôtre»
en tant qu'individu éphémère et la nôtre
aussi en tant qu'espèce également éphémère
dans une évolution mystérieuse dont nous n'entrevoyons
qu'une séquence.
De la mystique ainsi comprise à une vie active,
il n'y a pas de contradiction. Maître Eckhardt, le père
de la mystique allemande - et européenne - était un
pédagogue ouvert et avait assumé des responsabilités
politiques importantes.
L'Alsacien Oberlin, homme d'action,
esprit pratique, au plus près des besoins de la vie quotidienne des gens du
Ban-de-la-Roche, était dans ses conceptions et spéculations
un grand mystique.
Contrairement à ce qu'on croit d'ordinaire, les exemples abondent, qui
montrent que les mystiques n'envisagent pas de fuir le monde, mais
nous commandent plutôt de participer à «sa»
vie et de faire en sorte que tous les êtres aient la chance
d'y participer de la façon la plus heureuse possible. Participer
et partager : voilà les deux commandements de la mystique
et, simultanément de l'éthique, de la mystique éthique…
Jean-Paul
Sorg, Cahiers
Albert Schweitzer n° 99, p11
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