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 Éthique
D'un ostracisme à l'autre


Pierre Le Fort

L'antisémitisme

Un dimanche peu avant la guerre, suite probablement à la «Nuit de Cristal», les autorités de l'Église de Genève avaient recommandé que dans tous les lieux de culte on intercède pour les juifs persécutés. Le soir de ce dimanche-là, j'ai entendu un des pasteurs de ma paroisse avouer à un ami: "Cela, je n'ai pas pu le faire; c'était trop me demander".

Manifestation extrême d'un antisémitisme ordinaire. Car il est vrai que dans mon milieu protestant, à cette époque, nous étions tous plus ou moins imprégnés de cette animosité. A la maison, un jour que nous parlions d'une famille juive qui fêtait Noël, nous nous sommes indignés contre elle, "puisqu'ils n'y croyaient pas".

Cet état d’esprit, nous ne songions pas à le corriger par le commandement de l'amour du prochain. Les assassins du Christ ne méritaient aucune indulgence. Il est d'ailleurs écrit que son sang retomberait sur leurs enfants. La Bible nous justifiait, nous avions la conscience tranquille.

L'Occident a vécu ainsi pendant des siècles, où les chrétiens n'allaient surtout pas rencontrer ces gens pour voir s'ils ressemblaient à l'image qu'ils s'en faisaient.

Heureusement, un souffle de repentance a commencé à convertir nos mentalités. Cela ne réparera pas les blessures souvent mortelles infligées aux familles juives, et cela n'empêche pas le racisme d'aujourd'hui de reproduire nos errements anciens. Mais au moins nous ne commettons plus directement ces assassinats moraux.

L'homosexualité

Et les homosexuels ? Ce sont des personnes que leur nature particulière contraint à déployer leur sexualité dans une direction autre que celle de l'instinct habituel. Il y a parmi eux proportionnellement autant d'individus honorables que chez les hétéros.

Pourtant ils sont l'objet d'un ostracisme tout pareil à celui qui frappait les juifs jusqu'il y a peu. Qui oserait, dans nos Églises, contrarier l'opinion unanime -disons plutôt: officielle- qui les condamne au nom de la morale chrétienne ?

En fait, ce qui est ici en présence, c'est la peur primitive qui saisit l’imaginaire des humains devant une réalité différente, insolite, étrangère, et qu'on croit menaçante. Ce fut parfois les roux, plus généralement les sourds-muets, les gauchers qu'on obligeait à violenter leur nature pour se plier à la "norme", et alors les homosexuels, avec ce coefficient supplémentaire de crainte qui s'attache à la sexualité, toujours un peu troublante.

L'enseignement diffusé au catéchisme et du haut de la chaire reste entièrement marqué par la méfiance et les mises en garde. La fable selon laquelle homosexualité rime avec immoralité continue à être propagée. Je n'ai jamais entendu un encouragement à rencontrer et à fréquenter ces marginaux pour aller se rendre compte si vraiment ce sont des vicieux comme on le prétend. Mais quand, au contraire, nous brisons la glace de la méfiance nous trouvons souvent des personnalités de grande valeur et profondément morales.

Bien sûr, comme dans le cas des juifs, il y a des passages bibliques qui semblent donner raison aux militants anti-homos. Mais comme dans le cas des juifs il est nécessaire de réfléchir au contexte dans lequel on applique ces enseignements. Car il est quand même difficile de se sentir justifié par la Bible quand on détruit des vies...

"Ça", c'est trop vous demander ?

Mesurons-nous les dégâts causés par nos idées traditionnelles touchant l'homosexualité? Nous avons condamné des frères et des soeurs à rester des clandestins toute leur vie au sein de leur propre famille. Des dépressions et des suicides se sont produits, qui s'expliquent parfois par la situation intenable d'être enfermés dans le secret d'une homosexualité inavouable.

J'appelle donc de mes vœux un grand souffle de vérité et de repentance sur nos Églises. L'opinion publique, dans nos pays laïques, a commencé à se dégager des préjugés séculaires. Mais les milieux religieux, en Islam comme dans le Judaïsme et le Christianisme, de même que chez les gens d'extrême-droite, restent les plus intraitables.

Vienne le jour où les gays et les lesbiennes, au même titre que les rouquins, les gauchers, les daltoniens, les chauves et les obèses, seront accueillis ouvertement et à part entière dans nos communautés chrétiennes.

Ou bien direz-vous, comme mon pasteur de la Nuit de Cristal, que "ça", c'est trop vous demander ?

Pierre Le Fort, professeur honoraire à la Faculté universitaire de théologie protestante, VIVRE 99/1   



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