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 Éthique
J'ai eu besoin de vous...
mais vous n'étiez pas là !

Iza

Plus d'un couple sur trois divorce. Ce chiffre pour le peu inquiétant s'étale aussi bien dans les études scientifiques que dans les journaux de vulgarisation. Ça circule de bouche à oreille. Phénomène de société ou peut-être erreur de société, un couple sur trois échoue dans sa promesse de s'aimer pour le meilleur et pour le pire.

Les raisons ?! Les démographes invoqueront l'augmentation de l'espérance de vie, ce qui permet aux hommes et aux femmes de "refaire leur vie" chacun de leur côté; les sociologues parleront des impacts de la lutte féministe, de l'émancipation des femmes; les économistes quant à eux prôneront plutôt leur indépendance économique; les psychologues eux aussi ont leur théorie là-dessus... Mais au fond qu'importent les causes! Les faits sont là, et bien souvent les enfants en sont les spectateurs privilégiés. Ils sont nés de la preuve d'amour de leurs parents et n'en sont plus soudain que la trace. Alors il ne reste plus qu'à "se partager les enfants".

Mes parents se sont séparés quand j'avais quatre ou cinq ans. Je n'ai gardé de mes parents ensemble que quelques souvenirs flous. Leur séparation s'est apparemment bien passée et j'ai vécu ça comme quelque chose de normal. Ma mère m'a toujours tout expliqué. Pour moi, c'était très clair que papa et maman ne s'aimaient plus, que ce n'était pas du tout de ma faute. Au début, c'était génial, j'avais un père de vacances, "un papa de week-end". Et la vie continue… Matériellement, c'est le pied ! On a tout en double, on a deux chez soi : un pour la semaine et le travail et un pour le week-end, le repos. Chaque parent refait sa vie de son côté et nous… ben, on suit, on s'adapte. On a une nouvelle maison : "génial ! "; un beau-père… “bon! on fait avec !” ; deux nouveaux frères... "bah! pourquoi pas ?! Après tout, plus on est de fous, plus on rit !”

Mon vrai frère, je le connais bien, j'ai grandi avec lui, j'ai un passé et des souvenirs communs. Mais quand - parce que maman est tombée amoureuse de leur père - on se retrouve avec deux garçons dont on va devoir partager le quotidien, c'est pas facile ! On n'a pas vraiment de temps d'adaptation ! Et puis surtout on n'a pas le choix… C'est comme ça !

Du côté de mon père, tout s'est très bien passé. On s'est vite entendu avec ma belle-mère, bien qu'il ait fallu quelques années avant qu'on ne reconnaisse vraiment son autorité : “ranger ma chambre !? oui, oui… mais ça peut attendre”. Ses enfants avaient le même âge que nous, alors on a formé la bande des zigotos. Trois garçons et deux filles, c'était parfait ! On se réunissait tous les week-ends et la moitié des vacances. J'ai avec eux des souvenirs formidables !

Du côté de ma mère, j'ai fait connaissance avec mon beau-père plus tard. Ayant déjà eu une expérience favorable de ce type de relation, mon frère et moi avons essayé directement de créer un lien d'entente. Mais apparemment nos "nouveaux frères" n'ont pas vécu le divorce de leur père aussi bien, et ils n'étaient pas prêts à nous faire une place dans leur vie. On s'est heurté a des murs opaques ! Alors là, le quotidien devient insupportable, on croise tous les jours dans les couloirs de la maison des inconnus avec qui on doit pourtant vivre. Et pas question d'entraîner le moindre conflit car ça déboucherait sur une dispute de couple où chacun protège sa couvée. Alors on accepte tout, même des comportements qu'on n'aurait pas permis a notre meilleur copain !

De Bruxelles à Liège, de la ville à la campagne, j'ai fait la navette pendant des années. Peu à peu les liens se solidifient avec les beaux-parents respectifs. On reconnaît leur autorité et on les apprécie puisqu'ils rendent papa et maman heureux. Oui, mais c'est bien là la limite ! S’ils font du mal à nos parents, on n'accepte plus ! Vis-à-vis de nos parents, il y a une contrainte morale qui nous interdit de les juger. Pour nos beaux-parents, cette barrière n'existe pas. S'ils blessent nos parents, on ne pardonne pas !

A l'adolescence, vers quinze ou seize ans sont apparus les désavantages du divorce. Par hasard, je me suis retrouvée la semaine chez mon père. Je me suis aperçue qu'un papa de week-end, ce n'était pas si génial que ça ! J'ai réalisé que je ne savais même pas comment il s'habillait pour aller travailler, ce qu'il mangeait le matin, quels étaient ses collègues, ses amis, …sa vie, quoi! A travers cet homme que j'avais toujours connu en jeans en train de bêcher son jardin, apparaissait une partie de mon père que je n'ai jamais connue… et ça, ça me manque…

De plus, pour moi, la famille est un concept flou. Du côté de ma mère, je n'ai pas de famille et je n'ai pratiquement aucun contact avec la famille de mon père. En première candidature, j'ai étudié les tribus africaines dans le cadre de mon cours d'anthropologie. On nous parlait de ces groupes familiaux d'une centaine de personnes où chaque enfant était pris en charge par l’entièreté de la famille. Il circulait chez ses tantes, ses cousins, ses oncles, grands-parents,… tout cet univers me fascinait. J'ai souvent entendu mes copains se plaindre de devoir “encore aller voir leurs grands-parents”, ou de ces “interminables réunions de famille”.

Ils ne connaissent pas la chance qu'ils ont ! Moi, j'ai toujours voulu avoir une famille. Une famille avec qui on partage la dinde à Noël, des cousins avec qui on sort en boîte, et puis surtout des grands-parents. Mon seul grand-père était un vieillard qui ne me reconnaissait jamais. Je l'ai vu quatre ou cinq fois et il est mort il y a quelques années. A son enterrement, je me suis retrouvée entourée de personnes dont je me souvenais vaguement et qui surgissaient après parfois dix ans d'absence en me demandant: “Alors, qu'est-ce que tu deviens ?” et sans attendre la réponse ajoutaient: “Oh! mon dieu que tu as grandi !” Je ne ressentais rien pour ces gens qui défilaient avec un air faussement triste devant la tombe du vieillard. J'éprouvais même de la colère: “J'ai eu besoin de vous... mais vous n'étiez pas là !”

Alors, ma famille, je me la suis créée moi-même. A douze ans, j'ai découvert une arrière petite-cousine du côté de ma mère. C'est une femme formidable et une grand-mère idéale. Elle me parle d'une époque qui était pour moi tout à fait inconnue, elle me parle de ma mère quand elle était petite. Si mes parents étaient restés ensemble, ça ne m'aurait pas donné de grands-parents, mais ça m'aurait peut-être permis de garder des contacts avec la famille de mon père ... peut-être.

Aujourd'hui, j'ai vingt ans; pour mon annif, mes quatre meilleures amies sont restées dormir chez moi. On a papoté entre filles une bonne partie de la nuit. Deux de mes copines avaient leurs parents ensemble et nous trois, on avait des parents séparés. On a commencé à parler de “l'homme de notre vie”. Mes deux copines rêvaient d'un homme qui existe quelque part, leur seconde moitié. Et un jour, c'est sûr, elles allaient croiser son chemin. Nous, on souriait, parce que le prince charmant, on n'y croit plus…

Iza,
étudiante en sociologie et athée. 



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