Jean-Paul
Sauzède
« Pourquoi m’appelles-tu bon ? » dit Jésus
au jeune homme riche. « Dieu seul est bon. D’ailleurs,
tu ne peux te prévaloir de ta bonté et de ta capacité
à être bon. C’est de l’orgueil. Va et
vends tous tes biens ! »
« Ah, tu vois, tu voudrais être parfait, mais
tu ne peux pas l’être. Tu ne peux renoncer à
tous tes biens. Tu voudrais acheter ton salut et ta perfection comme
on gagne un salaire alors que c’est un don offert et il ne
dépend pas que de toi. Tu ne peux te sauver toi-même,
ni être bon et parfait. Tu es appelé à l’être.
Dieu seul est bon et parfait. Dieu seul est fidèle. D’ailleurs
pourquoi te vanter de ta fidélité ? Que le premier
qui n’a pas été infidèle jette ici la
première pierre. Et, je te le dis, si ton regard a croisé
celui d’une femme avec convoitise tu n’es pas dans la
fidélité. Cesse ton orgueil à vouloir être
Dieu, tu es à son image, et c’est déjà beaucoup. »
Dialogue imaginaire bien sûr. C’est ma lecture du récit
de la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche et du
logion sur la convoitise.
La fidélité au sein d’un couple ne se réduit
pas à l’infidélité sexuelle, même
si c’est le lieu de l’intime, et là où elle
est subie le plus douloureusement.
La fidélité se vit aussi dans ma gestion du temps,
dans les loisirs partagés, dans la place que je donne à
mon travail ou à d’autres relations amicales et professionnelles.
Certains vont vivre leur relation de couple dans une exclusivité
intransigeante, d’autres dans une relation
faisant place à des activités ou des relations
non-partagées à deux. La relation d’amour est
tissée de confiance, de compromis mutuels, de dialogue et
d’échanges qui permettent à chacun des partenaires
de trouver sa place, de se sentir reconnu, respecté.
L’infidélité, sexuelle, ou dans ma gestion
du temps (parce que je rentre tard le soir du travail, ou que, dès
que je passe un temps de loisir, c’est à l’extérieur
de mon domicile, ou simplement parce que je fais l’absent
de mon domicile) ne sont que des signes et le symptôme de
mon ennui ou de ma fuite devant l’autre.
Trop souvent les couples considèrent la fidélité
comme une preuve d’amour. Elle peut l’être. Mais
ce peut être aussi un signe de désintérêt
et d’ennui pour soi ou pour l’autre. L’important
ce n’est pas ce que nous sommes, mais comment nous sommes.
André Comte-Sponville écrit
que “l’amour
infidèle n’est pas l’amour libre, c’est
l’amour oublieux”. Oublieux de son désir,
de l’attention à l’autre, du choix que je peux
faire de l’autre. Le couple ne doit pas se tromper d’objectif.
C’est d’abord d’aimer, pas d’être
fidèle. C’est l’amour qui est premier, avec ses
élans, ses désirs, ses failles, avec la fidélité
à l’autre et à soi-même. C’est l’amour
qui est premier dans cette rencontre patiente, avec ses hauts et
ses bas, pour renouveler le désir, maintenir le lien et la
rencontre sincère de l’un et de l’autre. C’est
l’amour qui est premier, pas la fidélité. Car
je peux être fidèle en menant une vie parallèle
au sein de mon couple dans un ennui sordide ou une distance confortable,
oublieux de l’autre.
Nous mettons le résultat à la place de l’objectif.
La fidélité n’est pas la condition de l’amour,
elle en est la conséquence. La fidélité n’est
pas une croix de guerre, que l’on recevrait pour tenue correcte
au long de sa vie de couple. Et qui la recevrait ?
La vie éternelle n’est pas une récompense ultime
que le jeune homme riche recevrait pour observation fidèle
de la loi. Et d’ailleurs, il ne le peut pas et devient triste
devant son incapacité à vendre et donner tous ses
biens.
Dans la foi comme dans l’amour, et ce n’est ni une
excuse ni une facilité, il y a un chemin de courage et d’humilité
qui est de reconnaître et d’accepter la tension entre
son horizon et ses limites.
Jean-Paul Sauzède, pasteur,
Eglise Réformée de France
|