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 Éthique
Respect et écoute

André Gounelle

  1 - Des hommages irrespectueux
  2 - Les exemples d’une telle attitude ne manquent pas
  3 - Le respect critique
  4 - Une écoute authentique

Il y a de nombreuses années, j’ai assisté à une leçon de savoir-vivre militaire donnée à de jeunes élèves officiers. On leur apprenait que quand ils rencontraient, par exemple en ville ou dans une réception, un supérieur, ils devaient le saluer par la formule «Mes respects», tandis que lorsqu’ils s’adressaient à une dame, ils devaient dire «Mes hommages». Mais l’instructeur expliquait que dans certaines circonstances «rendre hommage» à une femme pouvait conduire à ne pas «la respecter», et que de l’assurer de son «respect» signifiait qu’on entendait bien ne pas lui “rendre hommage” jusqu’au bout.

En laissant de côté les sous-entendus, bien masculins, de tels propos, quand j’entends accuser les libéraux de ne pas avoir assez de considération pour la Bible, j’ai envie de reprendre cette distinction entre «rendre hommage» et «respecter». Il y a des hommages qui conduisent à malmener les textes. Par contre, le respect des textes interdit certains hommages. 

1 - Des hommages irrespectueux

Dans certains courants “évangéliques”, on affiche une très grande déférence envers les Ecritures de l’Ancien et du Nouveau Testament. On proclame leur divinité; on affirme leur inspiration littérale; on les déclare exemptes de toute erreur. Bref, on leur rend un hommage sans réserves ni nuances.

On constate que dans bien des cas, cette vénération de la Bible a des effets pervers; elle suscite ou favorise une tendance à en tordre le sens.

En effet, on ne peut pas admettre qu’elle contienne la moindre inexactitude; il faut donc arriver à expliquer ses récits de manière à ce qu’ils correspondent en tout point avec les faits. On refuse de considérer qu’entre les divers écrits qui la composent il puisse exister des divergences; on s’efforce de les harmoniser, ce qui oblige parfois à en fausser le message ou l’argumentation. On lui demande de répondre à des question qu’elle ne pose pas (comme celle de l’attitude à adopter devant la contraception ou l’euthanasie). On veut qu’elle confirme entièrement la bonne doctrine, celle que l’on juge orthodoxe; pour cela, on invente des interprétations fort ingénieuses, mais qui prennent de singulières libertés avec les textes. Bref, on ne se préoccupe pas de ce que disent les écrits bibliques, on s’efforce de leur faire dire ce qu’on estime qu’ils doivent dire. 

2 - Les exemples d’une telle attitude ne manquent pas

Ainsi des commentateurs fondamentalistes constatent que les récits de la Création ne coïncident pas avec ce que nous savons de l’origine de l’univers. Il leur faut trouver une explication qui «sauve» les six jours du premier chapitre de la Genèse. Ils diront, par exemple, que chaque jour Dieu a révélé à Moïse (à qui ils attribuent la rédaction de la Genèse), par un songe ou par une vision, un nouvel aspect de son activité créatrice: le premier jour il lui a fait savoir qu’il avait créé la lumière; le second qu’il avait créé le ciel; le troisième qu’il avait créé la mer et les continents, etc. Ainsi les six jours se rapporteraient non pas à la durée de la Création, mais au temps qu’a pris Dieu pour la révéler à Moïse. Cette interprétation n’a pas l’ombre d’une justification dans ce chapitre ou ailleurs.

De même, constatant des différences dans la manière dont l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres racontent l’ascension de Jésus, un auteur américain très bibliciste a supposé, pour tout arrangé, que Jésus serait monté deux fois au Ciel, ce que, bien évidemment, rien ne laisse supposer dans les textes.

On ne respecte pas les textes en brodant ainsi autour d’eux, ou en les manipulant pour les rendre conformes à l’idée que l’on en a. Certes, ceux qui ont recours à de tels procédés ont de bonnes intentions et, le plus souvent, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font. Il n’en demeure pas moins que leurs théories sur la valeur de la Bible faussent la lecture qu’ils en font. L’hommage aboutit alors à quelque chose que l’on pourrait comparer à un viol. 

3 - Le respect critique

Que veut dire alors «respecter» la Bible ?
A mon sens, ce respect comporte deux éléments.

- A. D’abord, il consiste à étudier les Ecritures avec soin, en leur appliquant les méthodes d’analyse dont on se sert pour étudier et apprécier n’importe quel document historique ou littéraire.

Ces méthodes s’intéressent au contexte: ainsi le récit de la Création s’explique et s’éclaire si on le compare aux récits analogues que l’on trouve dans la littérature ancienne du proche-Orient. D’autre part, ces méthodes portent une très grande attention au détail de la rédaction; elles y voient des indices qui ont une signification.

Si le livre de la Genèse désigne Dieu par plusieurs noms différents, cette diversité n’indique-t-elle pas que ce livre réunit et amalgame plusieurs documents antérieurs que l’on peut répérer par la manière dont Dieu s’y trouve nommé? S’il existe des variantes dans les récits que donnent deux évangiles du même événement, ne faut-il pas se demander si elles ne renvoient pas à deux manières de le comprendre ?

Ainsi au lieu de gommer les détails et les différences, on en tient le plus grand compte. Loin de manipuler le texte, on le prend au sérieux dans sa littéralité.

- B. Ensuite, le respect envers les Ecritures nous demande d’admettre nos désaccords et nos distances avec le texte biblique.

Il y a des affirmations de l’Ancien et du Nouveau Testament que je ne reprends pas à mon compte, parce que je les crois datées par exemple, ou qu’elles me paraissent contredites par d’autres. Il me paraît plus honnête et respectueux de le dire plutôt que de me livrer à des acrobaties intellectuelles pour les faires cadrer avec ce que je crois ou ce que je pense. Il ne s’agit pas de les éliminer, mais de reconnaître qu’elles posent un problème qui doit susciter une interrogation et une recherche.

De même, dans le monde moderne nous nous heurtons sans cesse à des questions, souvent difficile, que la Bible ignore. N’essayons pas de lui arracher des réponses qui ne s’y trouvent pas, et ne présentons pas comme un enseignement biblique, ou comme sa conséquence, notre propre pensée. 

4 - Une écoute authentique

On a souvent accusé les théologiens libéraux d’outrager la Bible (en mettant en cause l’historicité de tel de ses récits par exemple, ou en distinguant plusieurs couches de rédaction, ou en expliquant un texte d’après le contexte historique et culturel).

Je crois, qu’au contraire, rendre un hommage excessif à la Bible en la considérant comme dictée ou écrite directement par Dieu, conduit (certes involontairement et inconsciemment) à lui faire offense.

A l’inverse, quand on voit en elle un écrit humain, qui témoigne certes de Dieu et qui porte un message venant de lui, mais dans des formulations qui reflètent la culture, les connaissances, les conceptions d’une époque, il me semble que l’on favorise un véritable respect de son texte et une authentique écoute de son message.

André Gounelle  



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