CORRESPONDANCE UNITARIENNE    février 2006

Du grand écart en religion
entre culte et théologie

Actualités
unitariennes


n° 52

Dans le livre du prophète Michée,
alors que celui-ci demande à Dieu ce qu'il doit faire pour lui être agréable
et qu'il propose divers sacrifices ou holocaustes
- y compris celui de lui offrir son premier-né -
quelle n'est pas sa surprise de s'entendre répondre :
« On t'a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur exige de toi :
rien d'autre que de pratiquer la justice, aimer la bonté et marcher humblement avec ton Dieu.»

(Mi. 6,8).
Patrice Sauvage, Lutte contre l'exclusion – changer nos manières de vivre,
Foi et développement (revue du centre J. Lebret), n° 332 d'avril,
rapporté dans Quelques nouvelles, n° 183 de novembre 2005

Du grand écart en religion entre culte et théologie
par Michel Théron *

Belle soirée de réflexion, en formation biblique, avec des amis catholiques. Nous avons parlé du Credo, de ces “ paroles d’autrefois auxquelles il faut donner un sens d’aujourd’hui ”, selon ce qu’a dit le diacre. Et, ô miracle ! mon livre là-dessus (Les deux visages de Dieu, Une lecture agnostique du Credo, Albin Michel, 2001), n’a pas été éreinté. Le mot même d’“ agnostique ”, qui a fait fuir, m’a-t-on dit, tant de prêtres, n’a pas choqué. Certains donc ont été plus loin que l’intitulé de la couverture, et l’ont lu, parfois annoté. Je me prends même à rêver. Et si Dieu écrivait droit avec des lignes courbes ? – On se reverra, n’est-ce pas ? D’accord.

Voici qui est fait. Il s’agit cette fois d’une célébration. Je suis plein de mansuétude. Et si je pouvais retrouver, là enfin, quelque occasion de réconciliation ? – Catastrophe. “ Seigneur, prends pitié… ”
Kyrie eleison
… Kyrielle éternelle de plaintifs et d’apeurés. Cette vieille antienne, je la connais trop bien. À quoi bon s’ouvrir au dialogue, envisager ensemble que le “ péché ”, par exemple, ne peut être qu’une erreur de conduite, quelque chose comme une fausse manœuvre, si c’est pour asséner d’emblée une culpabilisation essentielle : l’affirmation dogmatique d’un être humain né pécheur, implorant la mansuétude d’un dieu dont il redoute la colère, même s’il en espère le pardon. Je regarde à mes côtés : ils sont pourtant bien là, les mêmes que j’ai côtoyés, et le diacre, et les amis divers, y compris ce voisin de quartier qui m’a invité, avec qui je me sentais en harmonie possible. Mais maintenant, à répéter machinalement des mantras à mon avis ineptes, ils s’éloignent de moi à une vitesse vertigineuse. Tant pis. Je les laisse à leur contradiction.

Me voici maintenant invité à un colloque protestant libéral. Les voici, mes nouveaux amis, si ouverts. Eux qui m’ont chaleureusement accueilli quand mes fort anciens coreligionnaires me repoussaient. Et merveille : les conférences sont d’une tolérance extrême. Tout peut s’y dire, y compris qu’il faut se méfier des anciens mots, tout connotés fâcheusement. J’y fais même une remarque sur la grâce et ses dangers : ceux par exemple qui guettaient les “ Nécessariens ”, ou pécheurs justifiés ; ayant la grâce une fois pour toutes, ils pensaient pouvoir tout se permettre, et on imagine la suite... Je rappelle alors que dans mon Petit lexique des hérésies chrétiennes (Albin Michel, 2005), j’ai indiqué que la théologie de la grâce me semblait livrer l’homme au caprice et à l’arbitraire, à l’incompréhensible d’une Loterie. À une rumeur sourde de l’assistance, je sens bien que j’ai touché un point sensible. Mais personne n’objecte quoi que ce soit. Qu’elle est belle, cette liberté d’esprit ! Celle-là même de ceux que j’ai défendus dans mon Lexique, celle des “ Latitudinaires ”. Enfin me voici en parfaite communion…

Le lendemain, dimanche matin, culte. Patatras et catastrophe ! D’emblée nous sommes re-convoqués à reconnaître que nous sommes pécheurs, mais que, heureusement, la grâce nous sauve. Rien ne semble plus remis en question. Tout va de soi. Les vieux cantiques (qu’au moins, de l’extérieur, j’imagine tels) confortent la vieille idée. Paul peut régner et trôner à nouveau.
Comment peut-on être à la fois conférencier, théologien ouvert, et ministre d’un culte dont le contenu n’a pas changé d’un iota ? Que dire, sinon qu’il y a là dédoublement de personnalité, schizophrénie ? Et que dire, si un paroissien, une paroissienne, font remarquer qu’on ne peut avoir un pied ici, et l’autre là, faire un si grand écart ? Cela s’est vu, d’ailleurs, l’après-midi même. Mais à cela il n’y a pas de réponse : la question suffit.

Cette disposition mentale schizoïde est-elle inévitable ? Certes, tout en ayant fait soi-même un chemin, on peut ne pas vouloir froisser les autres, qui eux ne l’ont pas fait. Hypothèse haute donc, diplomatie. Ou bien, hypothèse basse, hypocrisie : on peut bien penser par soi-même en solitude et en petit comité, mais en communauté on s’insère dans le discours d’une institution dont on ne veut pas se couper. Quelle qu’elle soit, on sait que l’institution n’admet pas l’émancipation personnelle de l’esprit. – Au fond, je ne sais trop… En tout cas, on ménage “ la chèvre et le chou ”. On essaie de tout garder… En somme, on préfère la totalité, à l’unité.

On m’a demandé ce que je pensais de l’unitarisme. Je n’appartiens pas a priori au groupe des unitariens, je ne sais comment sont leurs cultes, bien que ce que j’ai lu dans Correspondance unitarienne (n° 48, p.2) sur un culte au moyen de simples fleurs (Flower Communion) me semble fort séduisant, et tout à fait propre à éviter le problème lié à l’usage des vieux mots, donc la restriction mentale et la schizophrénie dont je viens de parler. En tout cas, l’opposition que je viens de faire entre totalité et unité me permet ici un embryon de réponse. C’est Camus qui oppose les deux notions dans L’homme révolté. Il dit que la pensée de la totalité mène naturellement à la pensée totalitaire. À celle-là, il faut naturellement opposer celle de l’unification intérieure de l’être, celle de l’unité. La pensée de l’unité implique sincérité, refus du double langage, des compromissions de tactique, et des annexions forcées quant au fond. C’est affaire je dirais simplement non de calcul mais de dignité personnelle. Seriez-vous d’accord pour y voir une caractéristique essentielle de la pensée unitarienne ?

* Littéraire, Michel Théron est auteur de La Source intérieure, publié en 2005 aux éditions Le Publieur, Paris et d'un Petit lexique des hérésies chrétienne paru la même année chez Albin Michel. Voir son entretien avec Guylène Dubois, de la librairie L’Arrêt Aux Pages, le 21 octobre 2005

Michel Théron, 25 octobre 2005