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 Dialogue


    Michel Théron

 

Autre article du même auteur :

- Familles spirituelles

- Lettre à une chrétienne

 

   

 

 

Qui étaient les Agonyclites, les Condormants ou encore les Melchisédéciens, et en quoi croyaient-ils ? Michel Théron répertorie ici près de deux cents de ces hérésies, de la première moitié du Ier siècle aux dernières décennies du XXe siècle, des plus exotiques aux plus profondes. Au commencement était l'hérésie. Celle-ci n'est pas une déviance tardive par rapport à une foi originelle unanime : au contraire, la religion chrétienne telle qu'on la connaît aujourd'hui a émergé du foisonnement des opinions divergentes, voire franchement contradictoires. Des dogmes aussi fondamentaux que la divinité du Christ ou la Trinité ne se sont imposés que lentement, à coup d'édits impériaux et d'excommunications. Les textes évangéliques eux-mêmes foisonnent d'ambiguïtés, de failles dans lesquelles peuvent s'enraciner les lectures les plus contraires au catéchisme. Un vaste panorama, aussi curieux qu'enrichissant, des mille croyances qui ont pu se réclamer du christianisme.

Livre broché, 16,90 EUR
364 pages 12 x 20.5 cm

Albin Michel - avril 2005

 

 

 


Lettre à une chrétienne, suite

 

 

Chère C.,

À la fin de ma dernière lettre, je t’ai promis qu’un jour je te dirais ce qu’on a fait du christianisme de la sagesse modeste et paisible, incarné à mon avis par le petit agneau de l’évangile de Thomas que je t’ai cité, qui doit rester vivant pour ne pas être mangé, en opposition à l’autre, si connu et à mon avis si contestable, qui doit porter/enlever les péchés du monde (Jean 1/29). Je te promettais aussi de te dire par quoi on les a remplacés. Je tiens donc ma promesse, en t’envoyant quelques extraits de la fin de mon dernier livre, La Source intérieure, qui décrit et dénonce cette falsification et ce remplacement. Reprenons, maintenant, notre entretien…

« Méditons donc sur saint Christophe. Ce n’est pas pour moi le porte-bonheur du voyageur, l’amulette ou le gri-gri qui permet d’arriver à bon port, mais l’admirable icône du salut par l’enfant. Le vieillard porte l’enfant sur son épaule, mais en réalité il porte l’enfant en lui ou à l’intérieur de lui, l’enfant qu’il a été, et cet enfant le guide. Nous serons sauvés par l’enfant que nous avons été. C’est l’enfant éternel, le puer aeternus de toutes les religions. C’est de lui que vient le salut : le retour à l’Origine, l’Originel. De cette Source tout doit couler : tout doit couler de Source.

Évangile de Thomas, logion 18.
1 Les disciples dirent à Jésus :
2 ‘Dis-nous comment sera notre fin ?’
3 Jésus dit :
4 ‘Avez-vous donc dévoilé le commencement
5 pour que vous vous préoccupiez de la fin,
6 car là où est le commencement,
7 là sera la fin.
8 Heureux celui qui se tiendra dans le commencement,
9 et il connaîtra la fin
10 et il ne goûtera pas de la mort.’

On dit toujours : ‘retomber en enfance’. Mais pourquoi ne dit-on jamais : ‘y remonter ?’. On nous dit toujours : ‘Tu verras plus tard’. Mais plus tard, on ne voit rien. ‘La fin est dans le commencement et cependant on continue’, dit justement Beckett dans Fin de partie. Voyez les adultes s’agiter, théâtre d’ombres, sous le regard mélancolique et lumineux des enfants. ‘Soyez donc comme quand vous étiez enfants, dit Rilke, aussi tristes et aussi heureux’.

Les fulgurances, les enthousiasmes (‘Dieu en nous’) nous les avons déjà eus, de toute façon. Ils existent donc, ils sont là : si nous ne les voyons pas, ce n’est pas qu’ils n’existent plus, c’est simplement que le brouillard de la vie sociale les a recouverts. Nous devons simplement, non pas pleurer sur leur disparition, mais comprendre qu’ils sont encore en nous et nous accompagnent. Rien de tout cela ne peut nous être enlevé. Le souvenir en ce sens peut garantir l’avenir. Il faut balayer les faux-semblants, et voir l’essentiel, qui a été déjà vu, ici et maintenant, hic et nunc : c’est une lumière présente qui nous guide, et non une ombre qui nous suit de façon menaçante.

L’essentiel n’est pas dans l’attente, mais dans la restauration, le rétablissement. Et ce mot est utilisé aussi en médecine pour dire la guérison. De toute façon dans la vie le choix est simple : ou bien on se laisse porter au fil du courant, charrié comme un ballot le long du fleuve, flottant au hasard, allant à vau-l’eau. Ou bien on essaie de remonter le courant, de revenir à la Source. Bois mort, ou saumon vivant ?

N’attendons pas de l’extérieur ce qui ne peut venir que de nous-même. Sinon nous sommes en état de dépendance ou de mendicité. Je répète que le seul problème est que nous restions en vie, que toujours aussi nous en ayons envie, que nous échappions à la dégradation ou à l’entropie générale, que nous ne soyons pas comme ces étoiles dont la lumière continue de nous parvenir alors qu’elles sont mortes depuis longtemps. Combien en connaissons-nous, de ces ‘hommes statues’, qui peuvent bien encore faire illusion en société, mais qui au fond d’eux-mêmes sont éteints : leurs grands idéaux, leurs grands credos, même ostensiblement affichés, ne sont en fait que répétition, machinalité. Si eux-mêmes ne s’en aperçoivent pas, leur entourage le voit, et cela est fort pénible. Des écarts, des distorsions énormes s’opèrent bien souvent entre l’homme public et l’homme privé. Si on veut savoir si un homme vit encore, il faut, non pas se fier à ce qu’il dit, mais interroger ses proches. Rien de tel qu’un enfant aussi, pour voir le décalage entre le discours et le fond. Pour détecter les morts-vivants, ou les hommes cadavres, devenus si oublieux de la Source, qu’ils sont oublieux même de leur oubli… » (1).

Chère C., j’espère que tu seras d’accord avec moi. Ne nous renions pas, remontons vers la Source, et restons en vie, pour cette seule quantité qui nous en reste, et dont nous ignorons la durée.

Bien à toi.
M.

Michel Théron, le 23 mai 2005.   

(1) Michel Théron, La Source intérieure, 2005, extraits du dernier chapitre. Ce livre est disponible chez Le Publieur, 31, rue Henri-Chevreau, 75020 Paris. Il est aussi commandable et téléchargeable sur son site

 


             

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