CORRESPONDANCE UNITARIENNE    juin 2003

La communion chrétienne
est-elle un repas sectaire ?

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unitariennes


N° 20

"La Cène, un symbole dont ils font une superstition. Et demain, je vais m'y présenter … moi, l'incrédule, moi, contestant le titre de chrétienne, moi qui confonds leur Bible avec le Koran, les Védas, l'Avesta et bien d'autres, moi qui dissèque l'Evangile, ris de leur théologie, hais leurs dogmes cruels, moi qui refuse de plier le genou devant cet homme de Galilée qu'ils ont divinisé.
S'ils le savaient, quelles clameurs indignées !
Et pourtant, si devant la table Jésus se dressait, calme j'irais à lui, disant : "Frère, dans ma misère, je t'ai vu passer grand et pur et mon âme t'a aimé à travers les siècles comme un ami dont on pleure l'absence. Toi qui avais de douces paroles pour les misérables, qui mangeas avec eux, veux-tu rompre le pain et me tendre la coupe qu'auront touchés tes lèvres ? Et Jésus, j'en suis sûre, m'accueillerait …" Alexandra David-Neel (1868-1969).

cité par J.-L. Buchert (Approches unitariennes, bulletin intérieur de l'Association unitarienne francophone, n° 53, printemps 2003)

Je profite de ce bel élan d'Alexandra David-Neel vers Ièshoua pour interroger nos cènes ou eucharisties. Disons d'abord que les chrétiens n'ont pas le monopole de la communion. Souvent en situation d'anthropologue, combien de fois n'ai-je pas pratiqué la communion dans un contexte coutumier autour  de l'ancêtre protecteur d'une famille, d'une divinité qui avait été appelée à la rescousse de nos malheurs humains, voir même d'un génie animateur d'une association secrète, qui donne la force aux membres de celle-ci. En aucun cas, on ne m'a demandé d'affirmer un credo, de dire ma foi, d'être à jeun, de confesser au préalable mes péchés, de me convertir, de me mettre en position d'adorant. Nous étions tous là, réunis par un rite simple et fraternel, faisant circuler entre nos mains l'alcool fort ou encore le poivre du Guinée ou autre chose piquante. L'ambiance était conviviale et n'avait rien à voir avec les états d'âme et les convictions individuelles et légitimes des uns et des autres. J'ai aimé ces moments là qui réunissent les hommes.

Et nous, qu'avons nous fait de Ièshoua qui nous a proposé son corps et son sang comme rite communiel fondateur de son Eglise ? Paul a commencé par dire qu'il ne fallait pas se comporter comme des gloutons et qu'il valait mieux se rassasier l'estomac avant de venir au repas du Seigneur. Egalement avec raison, il nous a rappelé que cette fraternité rituelle ne doit pas être hypocrite mais réelle et qu'elle suppose préalablement une fraternité humaine : vas d'abord te réconcilier avec ton frère …Et puis, l'Eglise en a rajouté. Il nous fallut avoir l'âge de raison, supposée commencer seulement à 7 ans, jeûner au préalable, passer à la confession auriculaire auprès d'un prêtre, suivre un catéchisme, etc. … et tout cela pour n'avoir droit, chez les catholiques, qu'à une sorte de petite galette diaphane appelée hostie, réplique d'une plus grande présentée en adoration lors de séances dites du Saint Sacrement. Mieux, avant Vatican II, on devait tirer la langue afin de ne pas tripoter de nos mains sales la dite hostie toute immaculée. Point de vin pour les fidèles, car il est réservé au prêtres ! Quelle absence de repas ! Chez les protestants, on est guère mieux servi. Peu d'abondance, le strict minimum, une petite bouchée de pain, une petit rasade de vin, et c'est tout - et encore pas à tous les offices : une fois par mois dans le meilleur des cas. Ce sont les orthodoxes qui sont finalement les plus généreux : une bouchée de pain trempée dans du vin, et à la fin de la célébration, une distribution de pain (plutôt de gâteau) béni.

On nous dit depuis Vatican II qu'il s'agit bien d'un repas. Mais où sont nos assiettes, ou sont nos verres ? Et les tables que servaient les diacres d'antan ? Par contre, si la nourriture est chiche, nous sommes abreuvés de discours théologiques pléthoriques. Paul ayant dit que c'était aussi un sacrifice à Dieu en réparation de nos péchés, l'Eglise s'empressa de reproduire ce sacrifice sur un autel, avec des prêtres qui officiaient le dos au peuple. Les théologiens, qui ne sont point de vulgaires paysans (producteurs de ce pain et de ce vin), mais qui ont fait des études dites supérieures, se demandèrent doctement comment l'instigateur de ce rite se trouvait apparemment, substantiellement, réellement, chimiquement, physiquement, symboliquement, en mémoire de, etc. …, dans le pain et le vin. Tout le monde s'y mit : Thomas d'Aquin, Luther, Calvin, et bien d'autres. Pourtant les choses me semblent simples. Quand on perd un être qui nous est cher, il reste pour nous fortement présent par les souvenirs qu'il nous laisse, ses objets personnels ou utilitaires, les arbres qu'il a plantés, les paysages qu'il a contemplés, l'intonation de sa voix, la chaleur de ses mains, ses écrits, les récits de ses amis - et s'il était artiste - quelle joie de découvrir ses oeuvres ! Est-ce si compliqué à comprendre ? Je ne pense pas qu'on ai besoin d'une théologie bavarde en ce domaine.

Le repas fraternel institué par Ièshoua perpétue sa présence parmi nous. Nous refaisons ses gestes, nous redisons ses paroles puisées dans les Evangiles, nous sentons sa présence. Que voulons nous de plus ? Et s'il y a des enfants puisque les repas se font pour la plupart dans un contexte familial, pourquoi leurs dirions nous d'aller se coucher alors que c'est la fête ? Et s'il y a avec nous des voisins qui n'ont pas la foi, pourquoi allions nous nous excuser et leur demander de se retirer ? Que chacun mange ce repas rituel avec ses propres convictions. En aucun cas, ce repas ne doit être sectaire comme l'étaient les repas juifs entourés d'interdits alimentaires. Au nom de Ièshoua, il se doit d'être universel, ouvert à tous, sans à priori. Pour les uns ce sera un simple moment de fraternité (et ce sera déjà beaucoup), pour d'autres, cette fraternité sera due à l'enseignement de Ièshoua,  pour d'autres enfin, Ièshoua sera là, présent à sa façon (de grâce, laissons-lui cette possibilité !). Les chrétiens trinitaires le glorifieront en leur cœur et lui rendront culte. Que chacun parle alors selon le langage religieux qu'il a appris et les sentiments qu'il éprouve réellement.

J'ai eu le bonheur d'organiser de tels repas à Porto-Novo, au Sud-Bénin, où je vécus avec ma famille durant 4 ans, en réunissant des amis de diverses confessions ou sans confession. Des non croyants y ont participé. Je sais que Ièshoua, sur son nom, est capable de nous réunir tous si nous n'y mettons pas nos barrières d'intellectuels. Il y avait du vrai poisson, du vrai pain, du vrai vin (et du jus de raisin pour ceux qui ne prennent pas de boisson alcoolisée) et, lorsque ce fut le jeudi saint, de l'agneau grillé, des herbes amères et du pain azyme, et nous nous sommes tenus debout, la taille ceinte d'une corde végétale, prêts au départ selon le beau texte de l'Exode.

Jean-Claude Barbier