CORRESPONDANCE UNITARIENNE    octobre 2002

L'anti-trinitarisme au XVIème siècle

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unitariennes


N° 4

1 - En Europe occidentale
2 - En Pologne
3 - En Transylvanie
4 - Conclusion

L’Eglise catholique romaine ayant refusé les réformes demandées par Luther en 1517, des Eglises séparées virent le jour : luthérienne, zwinglienne, calviniste. Toutefois nombre de chrétiens estimèrent que les Réformateurs s’étaient contentés d’une demi Réforme, qu’ils auraient pu trouver dans la Bible des raisons d’aller plus loin ; dans trois directions.
1° - L’éthique sociale (partage des biens, pacifisme).
2° - Le rejet du ritualisme sacramental.
3° - La remise en question du dogme de la Trinité. C’est cette dernière revendication qui constitue le sujet de notre exposé : l’anti-trinitarisme au XVIe siècle.

Dans ce mouvement, on peut discerner les motivations suivantes :
1° - un retour à la relative simplicité du Symbole des apôtres, lequel ignore en effet la notion de Trinité ; le rejet des termes abstraits imaginés par les Pères grecs des IV et V° siècles ;
2° - la clarté lumineuse du langage employé par Jésus enseignant le peuple.

Précisons d’emblée que la remise en question du dogme de la Trinité conduisit à des positions assez diverses.
1° - Les uns contestaient simplement que le Saint-Esprit fut une personne que l’on pût prier (par exemple Campanus à Wittenberg).
2° - D’autres, tel
Cellarius en 1527, pensaient que la divinité de Jésus était celle que tout homme peut revêtir lorsqu’il est habité par le Saint-Esprit.
3° - Un troisième groupe d’anti-trinitaires voyait en Jésus un homme qui fut divinisé après sa mort et qui prit place, par la Résurrection, parmi les êtres célestes (par exemple Socin).
4° - D’autres encore voyaient en Jésus un prophète, non préexistant, né de Joseph et de Marie, non divinisé (par exemple les “ judaïsants ” de Transylvanie). Nous allons raconter l’histoire de ce mouvement en commençant par l’Europe occidentale, puis en nous transportant en Pologne et en Transylvanie.

1 - En Europe occidentale

Des anti-trinitaires, il y en eut dans tous les pays de l’Europe occidentale : en Allemagne, en Hollande, en Alsace, en France, en Suisse (Bâle, Zurich et Genève), aux Grisons et en Italie du Nord.

Il convient d’insister sur le rôle important joué par les anti-trinitaires italiens, favorables à l’anabaptisme, ayant leur centre à Venise. En 1550, à Venise, l’assemblée (concile) des évêques anabaptistes italiens, représentant une soixante dizaine de paroisses, adoptèrent une confession de foi en 10 articles, dont le premier stipulait leur foi en Jésus vrai homme et non Dieu ! Réaction immédiate : l’inquisition italienne sévit contre tous les Réformés quels qu’ils soient, et c’est un exode vers des cieux plus cléments, vers les Grisons, vers la Suisse. Calvin accueille avec bonté un groupe de Réformés italiens qui organise bientôt une Eglise réformée italienne à l’abri de nos murailles. Seulement voilà, parmi ces réfugiés il y a des anti-trinitaires : Georges Biandrata (qui fut condisciple de Rabelais à Montpellier et qui était professeur à Pavie) ; Alciati et Gentile, ainsi que Gribaldo, habitant à Farges (6 km à l’ouest de Cartigny) et visitant souvent ses amis à Genève. Autre visiteur : Lelio Socin. Ces deux derniers tentèrent d’infléchir vers la clémence les adversaires de Michel Servet, en 1553, mais en vain. Persécutés par Calvin, Biandratra, Alciati et Gentile s’enfuirent de Genève en 1558 et se rendirent en Pologne

Des laïcs surtout. Quelques exceptions mises à part, par exemple Ochono, les anti-trinitaires du XVIe siècle furent des laïcs cultivés : philologues, écrivains, médecins, juristes ou gentils hommes ; tous de fervents chrétiens décidés à rechercher la vérité religieuse en étudiant les Saintes Ecritures avec zèle, mais aussi avec sens critique. En recherchant eux-mêmes le sens et la portée des textes bibliques, ces laïcs enlevaient aux théologiens catholiques comme aux réformateurs protestants le monopole de l’étude et de l’interprétation des saints livres. Par les résultats de cette recherche, ils portèrent un sérieux coup à l’autorité et au prestige de ces “ professionnels de la religion ”.

De fait, l’histoire des anti-trinitaires en Europe occidentale est l’histoire des persécutions dont ils furent victimes de la part des clergés – catholique, calviniste surtout : rétractions obtenues sous la menace, exil, exécutions. Ne croyez pas que Michel Servet fut leur seule victime, il y en eut bien d'autres. Par exemple la décapitation de Gentile à Berne en 1566. Je ne puis m’empêcher de raconter ici le bûcher du Hollandais David Joris en 1559 à Bâle. Après avoir scandalisé le clergé par ses écrits, il vint finir ses jours près de Bâle, sous un faux nom, et y mourut en 1556. Trois ans plus tard, on découvrit son identité ; on le condamna ; on exhuma son cadavre qu’on brûla avec ses écrits !

Il va de soi que les anti-trinitaires étaient des apôtres de la tolérance religieuse. Étant persécutés, leurs méthodes étaient celles de tout mouvement clandestin : faire semblant et ne se confier qu’à des amis sûrs ; s’abstenir de parler en public ; faire circuler des manuscrits et des textes imprimés anonymes ou sous un pseudonyme ; entretenir une correspondance et voyager. Citons ici les lettres de Lelio Socin à Calvin où il exprime ingénument ses doutes, posant des questions embarrassantes avec charme, sans rien affirmer. Mentionnons également l’astuce imaginée par Ochino, dans un de ses “ Dialogues ” publiés à Zurich en 1563, où il feint de défendre le dogme trinitaire contre un adversaire – mais les arguments qu’il met dans la bouche de cet anti-trinitaire sont bien plus solides que les siens ! En dépit de ces méthodes, les adversaires de la Trinité furent condamnés à disparaître pour un temps de l’Europe occidentale. Le mouvement émigra vers l’Est.

2 - En Pologne

Trois raisons expliquent la tolérance dont purent jouir les anti-trinitaires en Pologne et en Lituanie.
1° - L’autonomie, même en matière de religions, reconnue aux “ nobles ”, c’est-à-dire aux grands propriétaires.
2° - La tolérance manifestée par les rois Sigismond Ier et Sigismond II Auguste.
3° - L’accueil que la reine
Bona Sforza, épouse de Sigismond Ier, accorda volontiers aux humanistes italiens (par exemple Lelio Socin, Georges Biandrata), puis aux Italiens condamnés par l’Inquisition ou par Calvin (par exemple Alciati et Gentile). Ainsi vivaient côte à côte, en Pologne, des catholiques, des luthériens, des anabaptistes et des calvinistes, et même des juifs.

Au cours de leurs études en Europe occidentale, nombre de jeunes nobles ou des fils de pasteurs réformés découvrirent les deux petits livres de Michel Servet sur la Trinité et les firent connaître dans leur pays. Ainsi, ce Pierre de Goniatz (ou Gonesius), qui, parti pour se former à la prêtrise, revint pasteur calviniste et en même temps désireux d’amener l’Eglise réformée de Pologne à l’acceptation des thèses de Servet. S’adressant hardiment à ses collègues, il en convainquit un nombre grandissant, si bien qu’un synode, à la fin de 1558, le condamna et l’obligea à quitter la Pologne. Il se rendit en Lituanie où le magnat Ziska lui offrit la possibilité d’organiser, à Wengrow, la première Eglise locale anti-trinitaire.

Cette même année 1558 ; Biandrata arrivait de Genève. Il devint rapidement le chef du mouvement anti-trinitaire de Pinezow, près de Cracovie, ville qui eut bientôt son pasteur anti-trinitaire. Alciati et Gentile vinrent se joindre au mouvement, ayant eux aussi fui Genève.

Calvin se fâcha en apprenant le succès de l’hérésie qu’il avait condamnée. Il écrivit des lettres pour montrer le danger que représentait de tels hommes, mais en vain. Au contraire, le prince Nicolas Rdziwil de Lituanie, s’offusquant de cette ingérence calvinienne, accorda en 1562 son appui à Gonesius et à Biandrata et devint lui-même anti-trinitaire. 1564 vit l’entrée en Pologne des jésuites. Ceux-ci n’obtinrent pas grand-chose, sinon l’expulsion de quelques étrangers, parmi lesquels Gentile. Ce malheureux, déjà si malmené à Genève, eut la malchance de tomber entre les mains de la police bernoise. Il fut décapité à Berne en 1566. Autre expulsé, Ochino, qui alla en Moravie et y mourut.

Avec l’espoir de résoudre la crise qui déchirait l’Eglise réformée de Pologne, une Diète – assemblée des nobles – se réunit à Prothow en 1565. Les anti-trinitaires étaient devenus d’autant plus hérétiques aux yeux des calvinistes orthodoxes qu’ils avaient adopté diverses options anabaptistes telles que le refus du baptême des enfants, le non recours aux armes, la pauvreté volontaire, etc. La Diète réalisa que le schisme était inévitable et accepta la création d’une Eglise réformée “ mineure ”, qui se donna un nom significatif : “ Eglise des Frères de Pologne et de Lituanie qui ont rejeté la Trinité ”. Dans la pratique, on l’appela “ Petite Eglise polonaise ” ou encore “ Frères polonais ”.

Bien que privés des conseils de Biandrata, parti en 1563 pour occuper le poste de médecin à la cour de Transylvanie, mais pouvant par ailleurs compter sur Gonesius, la jeune Eglise anti-trinitaire d’organisa. Ses membres étaient en majorité des nobles, aussi pieux qu’instruits, décidés à vivre l’Evangile. Certains vendirent leurs terres et affranchirent leurs serfs ; d’autres mirent leurs biens au service de la communauté. L’Eglise combinait avec bonheur des pratiques héritées de l’anabaptisme à la doctrine christologique reçue de Michel Servet. Elle reçut en 1569 un centre, Rakow, qui devint, grâce à son imprimerie et à son collège réputé, un foyer très important de rayonnement.

S’il est exact que l’Eglise des Frères s’épanouissait sous le regard bienveillant de Sigismond II Auguste, n’empêche que des crises atteignirent la communauté. Quelques nobles s’opposèrent au pacifisme absolu hérité de l’anabaptisme ; des pasteurs contestaient certains points de la doctrine (préexistence de Jésus, adoration du Christ). C’est surtout en Lituanie que surgirent quelques communautés dissidentes.

La Petite Eglise polonaise avait besoin d’un théologien ayant l’autorité d’un Luther ou d’un Calvin. Elle le reçut en 1579 en la personne de Fausto Sozzini, dit Socin. Disciple et héritier de son oncle Lelio Socin (mort à Zurich en 1562), Fausto était le type parfait du théologien laïque, autodidacte, alliant avec succès la logique du juriste, l’honnêteté du philologue et l’expérience de l’oncle Lelio, à un grand amour pour l’humanité. La Pologne devint sa seconde patrie ; il en apprit la langue, s’y maria avec une Polonaise (en 1586) et y mourut en 1604 au terme de 25 années consacrées à la défense, à l’unité et à l’amélioration de la Petite Eglise. Il publia nombre de petits traités, mais son œuvre majeure, résultat de plus de 20 ans de méditation, et publiée en 1594, demeure “ Jésus-Christ Sauveur ”. Son système de pensée, qui se veut une interprétation raisonnée de l’Ecriture sainte, fut adopté par les Frères et inspira le Catéchisme de Rakow, que ces dernier publièrent, en polonais, en 1605. Diffusé également en Europe occidentale au cours du XVIIe siècle, grâce à des traductions en diverses langues, ce petit livre fit connaître la pensée de Socin, une pensée qui reçut en 1628, en Hollande, le nom de socinianisme.

Le socinianisme, c’est d’abord un profond désir de tolérance et de charité ; c’est l’abolition de toute persécution religieuse ; c’est en somme le libéralisme et l’œcuménisme. Les sociniens reconnaissent comme frères chrétiens tous ceux qui s’efforcent de mettre en pratique l’enseignement de Jésus-Christ, quelles que soient par ailleurs leurs options théologiques. Ils regardent le Nouveau Testament comme seule source de vérité en matière d’éthique, de piété et de doctrine. La décision de répondre positivement à l’appel de Jésus doit être libre et individuelle. Pas question pour l’Etat d’imposer telle ou telle religion, ou de soutenir une Eglise particulière au détriment des autres. Le salut, c’est la Vie éternelle que Dieu accordera aux disciples de Jésus. Pour les autres, ce sera la mort éternelle (et non pas une vie de souffrance sans fin). La mort du Christ, pas plus que les rites ou l’intervention du clergé, ne procure le salut à ceux qui n’auront pas cherché à obéir fidèlement au maître. Le baptême marque l’entrée d’un non-chrétien qui se convertit et rejoint l’Eglise. Il est inutile pour ceux qui sont nés dans l’Eglise. La Cène n’est qu’un mémorial et le témoignage de l’engagement à suivre le Christ. Pour les sociniens, le Saint-Esprit n’est pas une personne que l’on puisse prier, mais une puissance que Dieu communique. Jésus, né de Marie grâce à l’action du Saint-Esprit, n’existait pas avant sa naissance. Il fut homme, entièrement décidé à faire la volonté divine. Dieu le récompensa à la Résurrection, lui accordant une nouvelle vie, éternelle, dans son ciel, avec le titre de Fils. C’est pourquoi les sociniens rendaient un culte à ce Fils de Dieu.

En ce début du XVIIe siècle, les écrits de Socin et le catéchisme de Rakow – souvent apportés par des étudiants ayant fréquentés l’excellent collège de Rakow – se répandaient en Allemagne, en France même (grâce à Wissowaly, petit-fils de Socin, qui vécut quelque temps à Paris), en Angleterre et surtout en Hollande, où l’on se mit à éditer l’ensemble des livres sociniens (Bibliotheca Fratrorum Polonorum) vers 1660.

Par contre, en Pologne, la situation des Frères devint de plus en plus difficile. Sans se rendre compte qu’ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis (la branche de la tolérance religieuse), les calvinistes se joignirent aux catholiques pour obtenir l’élimination des sociniens. Le foyer principal des Frères, à Rakow, fut détruit en 1638 et l’église remise … aux catholiques. Vingt ans plus tard, en 1658, une Diète proscrivit l’Eglise des Frères, donnant aux membres deux ans pour embrasser le catholicisme (ce que beaucoup firent, pour la forme) ou pour quitter le pays. L’année 1660 vit effectivement l’exil volontaire de groupes fidèles, partant à la recherche d’un lieu d’accueil. Ceux des Frères qui vivaient dans le Sud se mirent en route vers la Transylvanie, subissant des pertes sous les coups des brigands, dans les Carpates. Mais arrivés à Kolosvar, ils reçurent un accueil fraternel des frères unitariens. D’autres groupes cherchèrent asile auprès des Electeurs allemands, mais l’asile reçu fut en général temporaire et précaire, surtout à cause de l’hostilité du clergé luthérien. C’est en Hollande que l’accueil fut le plus fraternel, grâce aux Remontrants. En Pologne, quelques Frères étaient héroïquement restés accrochés à leur foi et à leur patrie, mais, avec le temps, toute trace de socinianisme disparut.

3 - En Transylvanie

Vers 1555, le jeune prince de Transylvanie, Jean Sigismond, règne sur une territoire où une longue tradition d’accueil a réuni les descendants de réfugiés albigeois, vaudois, hussites, anabaptistes, à côté des catholiques et des luthériens. Ces derniers, d’ailleurs, étaient en passe de dominer, si bien que la reine Isabelle, fille de Bona Sforza en Pologne, crut bon d’obtenir de la Diète, en 1557, un édit de tolérance reconnaissant des droits égaux aux catholiques et aux luthériens. L’Eglise luthérienne de Transylvanie prend alors pour chef Ferencz David, un ancien prêtre catholique converti, le plus brillant orateur de son temps, et déjà pasteur des luthériens dans la capitale, Kolosvar.

Entre pasteurs luthériens, des débats eurent lieu à propos de la Sainte Cène, certains préférant la conception calvinienne. David défendit d’abord les opinions de Luther, mais, pour finir, se laissa convaincre par l’opposition. La formation d’un parti calviniste menaçant l’unité de l’Eglise luthérienne, il fallut bien constater le schisme. En 1564, la Diète dut reconnaître l’existence d’une Eglise calviniste, dont David fut nommé l’évêque.

En 1563 déjà, le médecin anti-trinitaire Georges Biandrata était entré à la cour de Kolosvar. Avec précaution, il sonda les possibilités d’évolution du prestigieux Ferencz David, lui présentant dans le privé ses vues anti-trinitaires. David, en effet, se révéla ouvert à une nouvelle étape de la Réforme et prit sur lui, en 1566, de déclarer sans crainte son acceptation des thèses de M. Servet, puis de faire publier l’année suivante un recueil de textes anti-trinitaires. Lors des débats publics, sous l’œil réjoui du prince Jean Sigismond, David démolissait avec brio les arguments des orthodoxes et faisait de nouveaux adeptes au parti anti-trinitaire. Finalement, en 1568, le Prince, tout en confirmant les précédents édits de tolérance, accorde à ses sujets le droit d’adhérer à la confession de leur choix. Une Eglise unitarienne fut alors créée, dont le prince lui-même devint membre (cas unique dans l’histoire). À sa tête, évidemment, l’apôtre de la “ Réforme continue ”, l’évêque David ! Il ne resta à la Diète de 1571 que le soin de légaliser l’existence de quatre Eglises chrétiennes : catholique, luthérienne, calviniste, unitarienne.

Comparée à la Petite Eglise des Frères, l’Eglise unitarienne de Transylvanie était très semblable, mais non identique, car moins influencée par l’anabaptisme. En effet, les unitariens ne s’interdirent pas l’accès aux emplois supérieurs de l’Etat, ni le port d’arme, ni le droit à la guerre défensive. Ainsi, sous le règne d’un prince lui-même unitarien, et aussi sous son successeur immédiat, l’Eglise unitarienne put prospérer, et même essaimer en Hongrie voisine.

Halte aux “ innovations ”. L’historien s’étonne de constater qu’une réforme aboutit presque toujours à la création d’une “ tradition ” hostile à de futures réformes. Ce fut le cas en Transylvanie où Biandrata, devenu conseiller du Prince, obtint l’interdiction légale de toute “ innovation ”. Son but était sans doute d’empêcher toute dissidence parmi les unitariens, comme cela s’était produit en Lituanie, où des Frères en avaient engendré une, la secte des “ non adorants ”. C’étaient des gens qui refusaient d’adorer le Christ glorifié. Mais voilà, les opinions de ces “ non adorants ” atteignirent l’évêque David, qui les adopta. D’où un terrible conflit entre lui et Biandrata en 1578. Fausto Socin, appelé à l’aide par Biandrata, s’entretint tout l’hiver avec David, chez qui il logeait, mais ne le convainquit pas d’erreur. Aussi, en 1579, alors que Socin était déjà en Pologne, David fut-il condamné et mis en prison. Et c’est en prison, misérablement, qu’il mourut peu après.

Jusqu’à nos jours, jouet des ambitions politico-religieuses de puissants voisins, la Transylvanie vécut des périodes d’oppression variées, mais l’esprit d’indépendance de son peuple permit à l’Eglise unitarienne de subsister, clandestinement, malgré la persécution. Les premières oppressions, à la fin du XVIe siècle, furent calvinistes. Puis arrivèrent les persécuteurs catholiques lorsque la Hongrie fut occupée par les Autrichiens, entre 1690 et 1867. Pourtant les unitariens purent jouir d’une liberté relative dans la partie de la Hongrie tenue par les Turcs. Ils créèrent là un centre, à Peez (au sud de Budapest).

L’Eglise unitarienne de Transylvanie, avec ses filiales en Hongrie, reçut un souffle nouveau dès 1821, lorsque les anti-trinitaires anglais et les unitariens se découvrirent mutuellement. Des liens qui se concrétisèrent par une aide matérielle et morale offerte aux opprimés. Ces frères anglo-saxons adoptèrent aussi le nom d’unitariens, en Grande-Bretagne, puis surtout aux Etats-Unis où les unitariens se comptent par centaine de mille, sans compter tous ceux qui, tout en appartenant à d’autres Eglises, sont personnellement aussi des unitariens.

4 - Conclusion

Pour conclure, je tiens à déplorer l’absence d’ouvrages sérieux, en langue français, sur les sujets abordés. En conséquence, je lance un appel aux historiens, aux étudiants en théologie et en lettres, pour qu’ils considèrent tout l’intérêt qu’il y aurait à faire mieux connaître au public francophone les personnages et les évènements que j’ai eu le privilège de vous présenter. Je souhaite également que des traducteurs nous offrent en français des textes essentiels auxquels j’ai pu faire allusion.

Roger Sauter, président d’honneur de l’Association unitarienne francophone (AUF) depuis 1998
Conférence à la Journée “ Jésus est-il Dieu ? ”, organisée à la paroisse protestante du Lignon (Genève), le 8 avril 1989, publiée dans Dialogue (Revue internationale de la nouvelle théologie libérale), Bruxelles, mai 1990, pp. 15-26, reproduit dans Correspondance unitarienne, n° 4, octobre 2002