LIBRE PENSÉE CHRÉTIENNE
   avril 2005

Rendre la foi plus crédible


Certains demandent parfois comment des gens intelligents et cultivés ont pu en arriver à condamner Galilée, un brillant scientifique qui était compétent dans sa matière. On se rend compte à quel point la conception de la foi et de la théologie de l'époque a pu aveugler des gens à cause des préjugés religieux.

Deux siècles plus tard, ce fut une "affaire" tout aussi importante avec la condamnation de la théorie de Darwin sur l'évolution des espèces. Et, avec le recul que nous avons aujourd'hui, nous savons que l'ignorance du genre littéraire de la Bible fut une des causes principales de la méfiance des autorités religieuses vis-à-vis de ces théories scientifiques nouvelles.

On aurait pu penser que ces deux leçons allaient suffire pour que l'Église ne tombe pas, une troisième fois, dans le piège du fondamentalisme. Hélas! Nous ne sommes toujours pas débarrassés des croyances qui défient les sciences au nom de la religion. Et va pour les miracles... et va pour les apparitions... et va pour l'interprétation historicisante de l'évangile!

Comme beaucoup d'autres personnes, les autorités religieuses ne se rendent pas compte que nous assistons au troisième acte de la bataille perdue contre les sciences. Voilà donc la "troisième affaire" : l'incapacité de notre Église de se rendre compte que l'on ne peut plus, au troisième millénaire, situer l'objet de la foi dans du paranormal, du parapsychologique ou des "exceptions aux lois de la nature".

Une erreur à ne pas commettre serait de demander aux témoins de l'Évangile que nous admirons (comme l'abbé Pierre, sœur Emmanuelle, Martin Luther King, dom Helder Camara, etc.) d'être compétents dans tous les domaines! «J'aime mieux mère Teresa quand elle soigne des mourants que quand elle fait de la théologie», a écrit Paul Valadier. Qui aurait pu imaginer que mère Teresa allait lui opposer un droit de réponse aussi intelligent qu'humoristique?

En fournissant aux tribunaux romains, pour sa béatification, un "miracle" qui est contesté par certains milieux médicaux en Inde, elle fait aux théologiens un clin d'œil si subtil qu'elle mériterait le titre de "Docteur de l'Église". En effet, comment stigmatiser plus gentiment le caractère infantile d'une procédure qui prévoit un miracle sur commande?

Au fil des jours et des années, au fil des progrès de la pensée théologique, se révèle ce que j'appelle le "sens" de l'Histoire. Pour bien me faire comprendre, je dirais de manière un peu caricaturale: jadis on voyait dans les récits de miracles des faits réels qui devaient prouver l'intervention de Dieu; aujourd'hui on y découvre des procédés littéraires avec leurs intentions apologétiques. La difficulté pour la majorité des croyants de bonne volonté, c'est qu'on ne leur dit jamais ces choses.

«Toutes les religions, dont le christianisme, sont nées à des époques où les hommes pensaient tout naturellement de manière "mythique". Après la "rupture critique", après les Lumières et la sécularisation, la croyance dans les miracles et leur tradition ne se retrouvent que dans les couches de population qui organisent leur pensée dans les schémas d'autrefois.» (professeur Karl-Heinz Ohlig, de l'université de Sarrebruck, au colloque de Metz en mai 2000).

« La résurrection dans l'au-delà, de quelqu'un qui entre dans la gloire de Dieu, n'est plus une existence terrestre. Le ressuscité vit au-delà de la mort et n'aura plus à s'y soumettre: il est ressuscité pour toujours. (Rom.6, 9) C'est de ce type-là que relève la résurrection de Jésus, et tous les hommes après leur mort y auront part. »

« La foi n'est pas une idéologie mais la mémoire d'une histoire, écrit Gabriel Ringlet dans L'évangile d'un libre-penseur. La foi ne s'oppose pas àla raison. Et quand elle s'y oppose, elle provoque les pires catastrophes. Elle blesse la raison et elle se mutile elle-même. La foi n'a pas à triompher. Elle n'a pas à se recroqueviller. On ne perd pas la foi comme on perd courage ou comme on perd son chapelet. La foi est une germination. Elle parle à voix basse. Elle pousse au désert. Elle brûle... La foi est un poème et c'est ce poème-là qui encourage l'audace de la fragilité. »

Pierre de Locht, dans La foi décantée : «D'abord et avant tout, j'ai été de moins en moins enclin à attribuer à Dieu mes idées sur lui, mes projets, mes solidarités, mes combats. Tout cela émane de moi, constitue ma cohérence profonde. Dieu, je pense, n'est pas étranger à ces options qui me sont chères et font ma vérité, mais je ne puis les sacraliser en les attribuant comme telles directement à Dieu. »
Nous lisons dans La quatrième hypothèse, de Maurice Bellet : « Le christianisme va-t-il mourir? Si par christianisme, vous entendez une idéologie parmi les idéologies qu'a connues l'âge moderne, alors sa fin est en effet possible; certains ajouteront: souhaitable. Si par christianisme, vous entendez l'Évangile comme Évangile, dans sa dimension encore inouïe, alors nous en sommes peut-être à peine au commencement. »

Bernard Feillet, dans L'errance: « Et voilà que le rapport entre certains de ces fidèles et l'Église s'est renversé. Ils se sont affranchis de sa tutelle, ils l'ont questionnée et ont découvert qu'ils portaient en eux-mêmes d'autres questions qu'il leur appartenait de laisser sans réponses. Comme Jésus, ils se sont tenus seuls dans la cour du grand-prêtre. Ils ont découvert que la liberté intérieure était première par rapport à l'expression de la foi. »

Pourtant, nous aimons ce poème chanté par Brel:[...]

« Dites, si c'était vrai
Si c'était vrai tout ce qu'ils ont écrit Luc, Matthieu
Et les deux autres
Dites, si c'était vrai
Si c'était vrai le coup des Noces de Cana
Et le coup de Lazare
Dites, si c'était vrai
Si c'était vrai ce qu'ils racontent les petits enfants
Le soir avant d'aller dormir
Vous savez bien, quand ils disent Notre Père,
quand ils disent Notre Mère.
Si c'était vrai tout cela Je dirais oui
Oh, sûrement je dirais oui
Parce que c'est tellement beau tout cela
Quand on croit que c'est vrai. »

Si j'ai reproduit ce texte de Jacques Brel, c'est parce qu'il exprime de façon poétique ce que pensent des milliers, probablement des millions, de personnes. Bien sûr, nous y avons cru; c'était tellement beau tout cela. Mais aujourd'hui, ceux que nous aimons, et en qui nous avons confiance, nous disent que c'est encore plus beau! Jésus n'est pas un Zorro ni un Harry Potter qui fait des prodiges à tous les coins de page! Il est un vrai homme, habité par l'Esprit de Dieu. Il triomphe des forces du mal, non par des prodiges, mais par cet Esprit de Dieu qui l'habite.

Il sauve les petits et les pauvres, les malades et les souffrants, non pas en leur enlevant par un coup de baguette miraculeuse leurs souffrances et maladies, leurs pauvretés et handicaps, mais en leur communiquant la Vie dont il déborde. Cette vie qui est celle même de Dieu et qu'il peut transmettre par sa parole et même par la signification qu'il donne à de l'eau, du pain, du vin, de la salive, une imposition de la main.

C'est toujours un signe de proximité, d'amitié, qu'il donne. Il ne vient pas supprimer notre souffrance; il vient la partager.

André Verheyen
Paru dans "Réseau Résistances " 2ème trim 2004
(extrait de "Réflexions simples pour une crédibilité" 3e partie)