La dérive de l’Europe
L’Europe a, pendant
des siècles, été déchirée
par des oppositons fratricides, voire des guerres sanglantes.
L’actuel grand projet européen a mis un terme à ces
folies. Chacun s’en réjouira. Mais pour que
ce projet prenne définitivement forme, il faut que
cette Europe soit populaire. Ce qui n’est pas toujours
le cas. Il ne suffit pas de dire : l’Europe-l’Europe
! Encore faut-il savoir de QUELLE Europe on parle.
En effet,
une supercherie consiste à répéter,
avec conviction, que l’on est pour l’Europe sans
dire pour quelle Europe on est. Et pourquoi les peuples européens
sont-ils aussi peu consultés sur « leur » Europe
qui n’en finit pas de s’étendre. N’aurait-il
pas été nécessaire d’approfondir
l’Europe avant de l’étendre ? On a préféré passer
ainsi de 6 à 15, puis de 15 à 25, puis de 25 à 27… et
ce n’est, certes, pas fini ! Et cela sans jamais demander
aux peuples européens ce qu’ils pensaient… Cela
relève du paradoxe. Une Europe sans frontière
n’est, à terme, pas crédible. A moins
de penser que l’on peut effacer les frontières « intérieures » sans
définir des frontières extérieures.
Disons le mot : cela n’est un bien que
pour l’OTAN à laquelle
adhèrent tous les nouveaux membres de cette Europe
alignée.
Comment s’étonner, dès lors, que ce grand
projet soit en panne, malgré les discours officiels.
Il est clair que deux projets différents
s’affrontent.
D’une part, une Europe européenne et démocratique
(laquelle se voudrait certainement sociale). Une Europe des
peuples européens. D’autre part, un grand marché,
toujours extensible, dans lequel la liberté est d’abord
celle des affaires.
Cette dernière Europe est une
Europe alignée,
sur l’OTAN pour sa défense et, comme
par hasard, sur le libéralisme à l’américaine
pour son économie. Dans les deux cas, qu’il
serait vain de dissocier, la « vérité » est
perçue comme une sorte de fatalité. L’OTAN
serait le passage obligé pour continuer d’être
et le libéralisme serait un choix obligé du
fait de la mondialisation de l’économie.
La mondialisation
semble, pour beaucoup, être une
sorte de fatalité ou de réalité tombée
sur nous du haut du ciel. En réalité, elle
est largement le résultat de choix économiques
et de décisions politiques. Mais qui dit cela ?
Ces
questions (l’Europe, la mondialisation…) sont étrangement
absentes des débats électoraux actuels en France.
Et l’Europe actuelle semble incapable de faire des
choix différents. Ce en quoi elle suit la pente d’une
grande organisation : l’ONU.
La dérive onusienne
L’ONU est, en un sens, dans une
situation semblable à celle
de l’Europe. Ou bien elle sera capable de se renouveler
profondément, ou bien elle est appelée à être
remplacée. Comme, en son temps, la SDN qui était
une belle idée mais qui n’a pu s’opposer
ni au nazisme, ni au fascisme, ni au Japon d’alors… Cette
SDN est morte ! L’ONU, si elle veut durer, doit
se réformer.
Changer de siège serait, d’ailleurs, gagner
en crédibilité. Créée en 1945,
l’ONU était
adaptée à un monde fort différent de
ce qu’il est aujourd’hui. Certes, ni l’Allemagne,
ni le Japon, vaincus, ne pouvaient alors prétendre
faire partie des grandes puissances. L’’Inde
n’était
pas encore un pays indépendant. Le Nigéria était,
pour longtemps encore, dans son statut de colonie. Le Brésil était
beaucoup moins peuplé qu’aujourd’hui et
largement sous-développé. Et la fiction d’une
Chine « légale » identifiée à Formose
a été maintenue longtemps !
Est-il cohérent
qu’un pays comme l’Inde
ait, aujourd’hui, la même voix qu’un petit
pays qui n’a aucun poids ni démographique ,
ni économique
? C’est pourtant ce qui se passe. Au sein de l’assemblée
générale, toutes les nations -à moins
d’être « membre permanent »- ont
la même « voix ». Il s’agit, dit-on,
de la sécurité du
monde. Mais c’est alors que les nations les plus importantes
du monde actuel doivent avoir une voix importante. Elles
devraient être
des membres permanents de cette institution. Que ces membres
permanents disposent ou non d’un droit de veto est
une question qui devrait être discutée.
Mais
il faudra aller plus loin. En particulier, il faudra tenir
compte des groupes humains existants. L’Amérique
latine, l’Afrique, le monde arabe… sont, comme
l’Europe, des réalités qui dépassent
les cadres nationaux.
Qui s’opposerait à une telle réforme
? D’abord les Etats-Unis pour qui, idéalement,
l’ONU new-yorkaise aurait vocation à être
une sorte de chambre d’enregistrement de décision
prises à Washington.
Comment la « communauté internationale » s’opposerait-elle à des
orientations justes et démocratiques –selon
Washington ? Qui m’aime me suive. Restez groupés
derrière
la grande démocratie : « qui n’est pas
avec nous est contre nous », a-t-on entendu. L’ONU
new-yorkaise est une représentation atomisée
des nations du monde. Elle ignore les solidarités
ethniques ou religieuses comme si les états constitués étaient
des réalités intemporelles -voire éternelles.
Cependant : peut-on ignorer la vérité ? Bien
des frontières arbitraires seront remises en question.
Sans parler de pays qui n’existent pas sur la carte.
Par exemple un Kurdistan que les partisans de l’inclusion
de la Turquie dans l’Europe voudraient, sans doute,
voir coupé entre une partie européenne et une
partie non-européenne.
Mais on peut également
citer des pays qui ont disparu depuis la création
de l’ONU. Ainsi, la Yougoslavie
ou la Tchécoslovaquie. Dautres dont les frontières
actuelles ont été fixées sans demander
l’avis des populations (Hongrie, Albanie etc…).
Que de « problèmes » actuels ou à venir
! Et que de conflits prévisibles dans les balkans,
au Moyen Orient, en Afrique…
Autre absurdité :
des entités comme le FMI
ou l’OMS sont censées être des instances
mondiales « naturelles ».
Ne sont-elles pas, elles aussi, sensibles aux orientations
politiques données par les nations qui sont aujourd’hui
les plus riches et les plus puissantes ? Europe et ONU sont
certes des entités fort différentes,
mais elles ont ceci en commun qu’elles sont un découpage
arbitraire qui ne correspond ni à la réalité actuelle,
ni aux besoins des peuples. Elles sont donc appelées,
l’une et l’autre, à se réformer –malgré les
résistances de ceux qui sont les bénéficiaires
du système actuel.
Réveille-toi, Europe, et
prends ta place dans la gouvernance d’un monde multipolaire.
Le pire des choix serait de s’aligner sur un seul pôle.
Comme si le passé indiquait
le chemin de l’avenir.
Jacques Chopineau, Genappe le
10 mars 2007 |
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