L’autorité contestée
Le protestantisme se
méfie de l’autorité dans
l’Église. Il lui résiste, la discute, la
relativise. Il ne la rejette pas ni ne veut l’éliminer.
Il sait qu’on ne peut pas s’en passer : il faut
bien prendre des décisions, diriger et organiser. En
1901, le théologien protestant Auguste Sabatier écrit : « l’autorité est
une fonction nécessaire … les purs anarchistes
sont des rêveurs inconscients ». Mais, justement
parce qu’on en a besoin, l’autorité a toujours
tendance à devenir excessive et abusive. Il importe
de la limiter.
La Réforme a estimé que les instances
dirigeantes du catholicisme, concile, hiérarchie et
pape, substituaient leur propre autorité à celle
de l’Écriture
et à celle de Dieu en prétendant les concrétiser.
Certes, il faut un gouvernement dans l’Église,
mais il n’est ni suprême ni absolu ; on doit
le subordonner à une règle qui le dépasse,
le juge et le restreint.
À la Bible elle-même, on accorde
une autorité indue quand
on y voit un livre sinon écrit, du moins dicté par Dieu. La
Parole de Dieu ne se confond pas avec sa trace dans un écrit. Que
la Bible ait une importance fondamentale ne justifie pas qu’on en idolâtre
le texte et qu’on en fasse un « pape en papier ».
D’où la
nécessité, aujourd’hui largement admise chez les luthéro-réformés,
d’une étude et d’une interprétation critiques qui
la « desabsolutisent » sans
lui enlever son rôle essentiel.
Les protestants libéraux contestent
les « confessions de foi » obligatoires.
Certes, il faut formuler sa foi et expliquer ce qu’on tient pour
essentiel. Mais on ne doit pas confondre Dieu ni l’évangile
avec la compréhension
qu’on en a. Si les confessions de foi méritent respect et
attention, elles sont seulement indicatives, et on aurait tort de les vouloir
impératives.
Elles expriment la foi ; elles ne la définissent pas.
Compétence
et fonctions
La compétence reconnue donne de l’autorité.
Dans l’Église,
comme ailleurs, il existe des experts : des organisateurs, des
animateurs, des théologiens, des spirituels, des sages. Ils
ont de l’influence
en raison de leur qualification, mais ils n’ont pas le pouvoir
de décider.
Contrairement à ce qu’on a parfois dit, en protestantisme,
les théologiens
ne gouvernent pas les consciences ni les institutions. Par contre,
il leur revient de les informer et de les aider à réfléchir,
et on doit prêter attention à ce qu’ils disent.
La
fonction de dirigeant confère un pouvoir, celui de prendre
et d’imposer
des règles, d’opérer des choix et de trancher
des débats.
Elle implique une contrainte qui parfois nous blesse, car elle porte
atteinte à notre
liberté, et aussi parce que la décision, même
la plus sage, comporte toujours une part d’arbitraire et d’injustice.
Toutefois, l’absence ou la carence de pouvoir ne vaut pas mieux ;
elle détruit
tout autant la liberté que la plus dure des tyrannies. Le
protestantisme n’entend pas supprimer le pouvoir ecclésial,
mais le soumettre à des
principes et à des contrôles.
On se refuse à le
sacraliser et à le sanctifier (pas de « Saint Père » ni
de « Saint Siège »). On veille à ce
qu’il
soit collégial et non solitaire ; il appartient à des
conseils, jamais à un individu, quelle que soit sa valeur
personnelle, de décider.
On limite la durée des mandats ; une charge de direction
s’exerce
temporairement et non à vie. Enfin, on exige un compte-rendu
de gestion devant une assemblée qui approuve ou non.
Si ces
dispositions ne suppriment pas entièrement les dérives
autoritaires, du moins elles les tempèrent,
tout en permettant aux dirigeants de remplir leur fonction. Un pouvoir
n’a
de légitimité qu’à la condition qu'il
soit réglementé,
qu’il soit provisoire et qu’il puisse être sanctionné. La vocation de l’autorité
On estime
souvent que l’autorité a pour mission essentielle
d’assurer
ou de maintenir l’ordre et donc d’interdire, d’obliger
et de sanctionner.
L’étymologie met sur une autre
piste :
autorité dérive
du verbe latin augere qui signifie augmenter, accroître,
agrandir. L’autorité a
pour vocation première d’autoriser, d’ouvrir
de nouvelles possibilités. Quand j'appelle « maître » un
grand artiste ou un penseur, je ne déclare pas que je
suis son esclave ou son domestique, mais qu’il élargit
mes horizons et suscite ma créativité.
Dicter à quelqu’un
ce qu’il doit croire, penser
et faire caractérise
une autorité abusive et dictatoriale (Voltaire se qualifiait
de « dictateur » quand
il « dictait » une lettre à son
secrétaire).
L’autorité spirituelle rend auteur et non copiste.
Elle ne contraint pas le croyant à la passivité qui
reçoit
et répète.
Elle ne le soumet pas à une loi, elle fait de lui un
nouvel être
appelé à inventer des paroles et des actions.
Elle transforme les disciples (ceux qui suivent) en apôtres
(des envoyés).
La compétence
qui sait et le pouvoir qui décide n’ont de légitimité et
de noblesse, dans l’Église comme en dehors, que
si leur autorité sert à développer
la liberté de l'être humain.
André Gounelle |