Un déclin annoncé
Il
est connu que l’Europe vieillit. Dans le même
temps, d’autres contrées voient augmenter leur
population. Dans certains pays, même, une grande proportion
de jeunes et d’enfants fonde l’avenir. Même
des pays pauvres sont riches de leurs enfants.
Évidemment,
cette richesse ne peut se faire connaître
ni rapidement, ni facilement. D’ailleurs, les divers
programmes de développement, ici et là, sont
très loin de changer ces réalités. D’autant
que ce « développement » ne
doit pas être contraire aux intérêts des
pays riches.
Et puis, « croissance » ne
peut être
appelée « développement » que
si elle est équitablement répartie. Dans le
cas contraire, une augmentation de croissance peut signifier
une
misère croissante. Nous savons que même une
société riche
peut connaître, dans ses banlieues, des zones de misère.
Et ne doit-on pas distinguer « misère » et « pauvreté » ?
Il est vrai qu’être pauvre dans un pays riche
est bien proche de la misère, mais que pauvreté dans
un pays pauvre peut signifier aussi solidarité et
dignité.
La misère n’est pas digne, mais la pauvreté peut
l’être. Comment notre monde marchand pourrait-il
comprendre cela ?
De façon absurde, dans notre
monde, on mesure la pauvreté en
termes de « niveau de vie » -c'est-à-dire
en niveau de revenus. La dignité se situe dans un
autre monde… Un monde non-marchand.
Vertigineuse
chute démographique Une société vieillissante
est une société déclinante.
Certes, en un moment où le chômage est menaçant,
on peut penser qu’il est préférable que
la population n’augmente pas. Mais c’est là une
logique à courte vue. D’autant que des pays
(inégalement)
pauvres connaissent, dans le même temps, une forte
augmentation de leur population.
Les pays du nord de la méditerranée étaient
jadis plus peuplés que les pays du sud. D’ailleurs,
ces pays du nord représentaient 1/8ème du monde
en 1960. Ils en représenteront 1/20ème en 2025.
Circonstance agravante : on compte qu’en 2050,
un tiers des européens aura plus de 60 ans.
Dans le
même temps, l’arc des pays musulmans –au
sud de l’Europe- comptera des populations trois fois
supérieures en nombre à celle des européens.
D’ici à 2050, l’Union européenne
devrait perdre quelques 50 millions d’habitants, pendant
que les pays du pourtour méditerranéen devraient
augmenter de quelques 700 millions.
Les pays européens
devront donc s’adapter à une
situation inverse à celle du passé. Les
expansions sont derrière nous. Les pays arabo-musulmans
seront –ensemble- beaucoup plus peuplés (et
donc plus jeunes) que la vieille Europe.
Il serait illusoire
de penser que ces faits n’auront
pas des conséquences culturelles et religieuses considérables.
Et si nos responsables politiques n’en parlent pas,
c’est
que leur horizon est borné par la date des prochaines élections.
Pourquoi parler de cet avenir ? « Dans vingt
ou trente ans, nous ne serons plus aux affaires. Donc, soyons
réalistes et bornons-nous au futur proche ».
Les problèmes sont renvoyés aux générations à venir.
D’ailleurs, ce déclin ne serait, certes pas,
un argument électoral ! Deux remarques cependant
:
Ce déclin annoncé ne concerne
pas seulement l’Europe.
L’Amérique du Nord au Sud (de l’Alaska à la
Terre de feu) est moins peuplée que la moitié de
la seule Chine. Un beau « choc des civilisations » en
prévision…..
Outre cela, ce continent américain
connaît des
mutations importantes. Limitons-nous ici aux seuls Etats-Unis.
Les USA ont été un continent d’émigration
et d’assimilation. L’immigration continue, cependant,
mais elle a largement changé de style. Et malgré les
barrières frontalières, elle est inéluctable.
Ce qui est nouveau, est que cette immigration ne signifie
pas toujours une intégration –jadis régnante.
De fait, l’intégration connaît
des difficultés
de plus en plus grandes. Des dizaines de millions d’américains
ne sont ni anglo-saxons, ni protestants…. Et les nouveaux
venus sont –eux- prolifiques !
Des communautés
ont toujours existé dans ce pays.
Mais chacun désirait se fondre dans une société unitaire
fondée sur une langue, une culture, un idéal… C’est
de moins en moins le cas. Les groupes homogènes, fondés
sur la langue (surtout l’espagnol) ou sur la religion
(surtout catholique), développent leurs solidarités
et leurs intérêts, sans guère de liens
affectifs avec la nation et son histoire. Les communautés
n’étaient pas un problème, hier ;
les communautarismes en seront un, demain. L’Europe
est dans un cas analogue.
Carences politiques
Les partis politiques
ne semblent pas avoir pris la mesure de la mutation en cours.
Les discours électoraux sont,
en général, très étrangers aux
horizons futurs.Le corps électoral change, mais les élus
sont accrochés à une réalité ancienne.
Les thèmes habituels des majorités et des oppositions
(« gauche » et « droite » de
gouvernement) ne voient pas –ou préfèrent
ne pas voir- les changements qui se dessinent et qui relativisent
les options électorales.
Pourtant, c’est aujourd’hui
que nous préparons
le monde de nos descendants –lesquels, d’une
part, ne ressembleront guère à nos ancêtres
et, d’autre part, devront résoudre des problèmes
formidables que nous leur aurons légués.
Sur
des sujets divers –mais essentiels- les discours électoraux
sont étonnament muets. Mentionnons, pêle-mêle,
la mauvaise courbe démographique chez nous et l’explosion
démographique à nos frontières, la dette
formidable qui sera transmise à nos enfants et petits-enfants,
l’environnement malmené, l’identité des
citoyens dans les filets d’une biométrie généralisée,
le fardeau des retraites qui devront être payées
par des travailleurs moins nombreux…
Ajoutons l’alignement
d’une Europe-OTAN impuissante à faire
entendre la voix des peuples qui la composent, l’absurdité d’une
Europe marchande aux frontières floues et l’absence
de vision politique de beaucoup de ceux qui se réclament
d’une Europe molle, mais où les affaires sont
bonnes… pour ceux qui en font.
Bref, ils sont nombreux
les sujets qui débordent l’horizon
borné des partis. Comment s’étonner que
la majorité du corps électoral s’éloigne
toujours plus –malgré les orchestrations médiatiques…..
L’avenir s’efface devant les préoccupations électorales
proches. Evidemment, les partis préfèrent naviguer à vue.
Pourraient-ils, d’ailleurs, naviguer autrement ?
Rares sont les hommes politiques qui sont aussi
des hommes d’état. Un homme d’état
se caractérise
par sa vision de l’avenir –au-delà de
la date des prochaines élections. A noter que cela
suppose aussi un regard qui plonge dans l’histoire.
Et cela suppose aussi un pays –réel ou à construire.
Pas d’homme d’état sans état –réel
ou rêvé. Faute d’état, les communautés
devront prendre le relai. Et elles le prennent déjà…
L’Europe
vieillissante est aussi une Europe atomisée.
Les revendications ethniques, régionalistes, culturelles,
religieuses… sont la source de conflits latents. Après
le pays basque ou la Corse, à quand la Bavière
aux bavarois, la Flandre aux flamands ou le Piémont
aux piémontais ? Nous sommes au début
d’un
vaste processus qu’une Europe molle est bien incapable
de maîtriser.
Il est clair que n’est pas cette
actuelle Europe invertébrée
qui changera la réalité. L’Europe des
régions
est un grand corps mou. Son alignement politique conditionne,
d’ailleurs, ses « options » libérales
(des vasseaux pourraient-ils faire un autre choix ?).
D’autre part, en matière de démographie,
cette Europe n’a pas de compétence.
Les communautarismes
sont appelés à se développer
dans cette Europe vieillissante. Ils seront mal perçus –voire
combattus- mais ils seront, pour leurs adhérents,
la seule « famille » dont les lois
seront reconnues.
Il appartiendra, sans doute, aux « anciens » de
se réclamer d’une patrie disparue. Ses symboles
et son passé ; son drapeau et son histoire. Mais
aussi sa constitution qui imposait à tous (riches
ou pauvres) des droits et des devoirs –parfois, des
sacrifices.
Au sein de notre population, quelques uns risquent
(nostalgiques ou déçus) de se laisser entraîner
vers des attitudes de rejet. Parfois pour de bonnes raisons,
certes,
mais les extrêmes droites auront alors de beaux jours
devant elles. C’est, sans doute, vers cela que nous
allons, mais les discours politiques ne vous le diront pas.
Jacques
Chopineau, Genappe le 7 septembre 2006 |