À la question de savoir
ce qu’est « dieu » pour moi, je ne peux
même pas répondre que c’est une absence
car toute absence est un manque de présence, ailleurs,
ou à un autre moment. Dieu est pour moi un mot, tout
simplement. Mais un mot qui symbolise une abstraction d’une
importance capitale pour un grand nombre de personnes, donc
un mot dont je dois impérativement tenir compte bien
que, pour moi, il soit sans objet. Et si ce concept ne m’appartient
pas, il m’intéresse néanmoins parce qu’il
occupe une place cruciale dans la vie de nombre de mes semblables
et a, que je le veuille ou non, une incidence de poids sur
ma propre vie.
Dieu, un mot fourre-tout
J’ai l’impression, depuis le temps
que je les observe, qu’il y a autant dieux que de croyants.
Dieu n’est jamais ni tout à fait le même,
ni tout à fait un autre car il dépend toujours
de celui qui le pense. Dans les religions les plus contraignantes,
le sujet pensant – même s’il s’en
défend – s’investit lui aussi dans son
idée de dieu et par là, le rend unique et personnel.
Le peuple des croyants est, en gros, constitué de
différents ensembles et sous-ensembles, selon certaines
caractéristiques ou mesures communes, tels que la
situation géographique, la culture, les coutumes,
les traditions, les rites, les dogmes... Certains groupes
contiennent beaucoup d’éléments, d’autres
sont moins denses, jusqu’aux singletons, constitués
chacun d’un seul individu assumant seul sa croyance
ou sa foi singulière.
Parmi ces ensembles, le théisme,
par exemple, conçoit dieu comme existant objectivement,
indépendamment de la pensée humaine : c’est
le créateur de toutes choses, tout puissant et éternel,
qui écoute et exauce [éventuellement] les prières.
Par contre, dans le « non-réalisme »,
dieu n’a pas d’existence « réelle » autonome,
objective, indépendante, extérieure à la
culture humaine (1).
Dieu est donc parfois une personne, de préférence
mâle, quelquefois femelle, parfois les deux ; un père,
une mère, un guide, un gardien ; une entité spirituelle
pensante autonome ou le concept-clé d’un humanisme
religieux ; un tout, un néant, un univers ; un élément,
une montagne, un fleuve, un astre, une étoile… ou
quelque chose dont on ne peut rien dire, de l’inconnu
inconnaissable, indicible et insaisissable.
Dieu, un superlatif
Dieu, pour de nombreux croyants, c’est
le mieux, le meilleur, le plus fort, le plus puissant, l’idéal,
l’absolu, le plus du plus, le plus que parfait, celui
qui voit et sait tout, qui est partout, toujours. Il est
tout ce que l’on n’est pas mais qu’on voudrait
bien être, il est le sublime sublimé.
Certains ont un dieu qui aime, écoute
et comprend de façon intemporelle, inconditionnelle
et absolue. Il comble tous les trous, tous les vides, tous
les manques. Que peut-on demander de plus ?
Même dans les approches apophatiques,
dieu est l’ineffable par excellence, mais dont finalement
on ne peut jamais qu’affirmer l’intuition personnelle
subjective car enfin, si on ne peut rien en connaître,
comment savoir ce que c’est sinon ce qu’on y
met ?
Dieu, un surnaturel imaginaire,
producteur de réponses et de sens. Toutes
les questions poignantes, premières et ultimes,
auxquelles l’homme est confronté peuvent,
pour certains croyants, trouver des réponses sinon
des solutions dès l’instant où il est
fait appel au surnaturel. Ainsi, dieu répond aussi à la
quête du sens de la vie.
Y a-t-il, pour quelque raison que ce soit,
détresse, mal-être, angoisse, peur, tristesse,
malheur, insécurité, solitude… ? Dieu
est là, il console, rassure, accompagne ou bien il
sert de punching-ball. En bien ou en mal, il est la référence
: innocent ou responsable, prétexte ou motif, accusé ou
juge, serviteur ou maître…
Parle-t-on d’émotions, de sentiments
positifs extrêmes, d’exaltation, d’émerveillement,
de subjugation, de débordement, d’extase...
? Il y a transcendance, intuition de présence divine, « ultime
réalité » … Car pour certains croyants,
ce qui est trop bon, trop fort, trop intense, ne saurait être
immanent. Cette affirmation, loin d’être gratuite,
semble procéder d’un ressenti intime qui s’imposerait
comme une évidence.
Et aussi, dieu, s’il est une joie pour
certains, peut-être aussi, et parfois concomitamment,
source de culpabilité et de malaise.
Cette liste n’épuise pas le sujet
mais les éléments épinglés sont
observés à des degrés divers chez les
uns et les autres et peuvent cohabiter tous ensemble ou en
partie chez une même personne. Dans d’autres
cas, une seule de ces approches peut suffire à la
foi.
Comment peut-on être
athée ?
Je ne sais plus qui disait de façon
imagée qu’il n’y a, finalement, entre
les croyants et les athées qu’un seul dieu de
différence et que les croyants devraient pouvoir admettre
qu’ils sont en fait athées à tous les
dieux, présents et passés… sauf le leur,
quel ou quoi qu’il soit. Globalement, je peux rejoindre
cette boutade mais non sans y mettre une certaine réserve
: qui peut prétendre, en effet, avoir fait le tour
des innombrables visages de la croyance ou de la foi ?
À
la question de savoir comment on peut être incroyant,
je vais tenter de répondre à l’aide d’un
exemple emprunté à Dawkins mais aménagé en
fonction de mon point de vue certes moins radical.
Supposons
l’hypothèse invérifiable selon
laquelle une théière ou plutôt un pot à thé (je
préfère cette traduction de « teapot »)
se trouve en orbite autour d’un astre inaccessible
par nos télescopes. Devant cette affirmation irréfutable
parce que non objectivable et non vérifiable, l’attitude
agnostique semblerait de mise. Cependant, il est patent pour
tout le monde que le fait de réfuter cette proposition
n’a pas le même poids que d’y adhérer
et nous serons tous d’accord pour dire que nous n’y
croyons pas. La croyance au divin est devenue, pour moi,
du même ordre et me serait aussi absurde que celle
du pot à thé.
Par contre, je conçois
aisément que, pour d’autres,
la question de l’existence de dieu(x) soit fondamentale
et n’ait rien à voir avec un quelconque objet
céleste prétendu en orbite quelque part. Ce
n’était qu’un exemple ludique destiné à faire
comprendre mon athéisme et à montrer que l’incroyance
sincère est bien plus qu’une simple opposition
et va au-delà d’un éventuel combat :
c’est un état d’esprit, une façon
différente d’appréhender les mystères
et les énigmes de la vie, en restituant à l’homme
ses inventions et ses constructions, sans éprouver
le moindre besoin – ni désir – de leur
donner une marque de fabrique ou un brevet divins.
«
Croire » serait, en somme, aller à l’encontre
de ma nature, ce serait comme m’obliger à écrire
de la main gauche alors que je suis droitière ou me
pousser dans les bras d’une femme alors que je suis
hétéro… ou l’inverse. Il est évident
que j’opère un raisonnement analogue pour les
croyants et que, dès lors, je ne me demande plus,
comme autrefois, lorsque je me suis dégagée
de l’Institution : « mais comment peuvent-ils
croire ? ».
Par contre, je ne pourrai jamais admettre les abus de pouvoir
et de confiance opérés par de nombreuses Églises,
la mainmise sur les consciences, le mépris de la liberté de
penser, de s’exprimer, de comprendre. Mais cette révolte
ne se concentre pas uniquement sur les institutions religieuses,
elle s’étend à toutes les situations
où il y a mystification et exploitation de la crédulité.
Une question ici pourrait être creusée, celle
de savoir d’où vient cette crédulité si
largement répandue et même peut-être entretenue.
Pour
l’incroyant, il n’y a donc pas de référence
au surnaturel ni à une Institution prétendant
représenter le divin. Il n’y a pas de déification
ni de transfert. Pas de transcendance ou de providence avec
ou sans majuscule. Pour ce qui me concerne, les questions
sans réponses restent en suspens et ma vie n’a
pour sens que celui que je lui donne jour après jour
et « ce n’est pas parce que ma vie a un sens
que je l’aime, mais c’est parce que je l’aime
qu’elle a du sens. » Ici, certains croyants me
rétorqueront que cet amour est un don, une grâce
divine. Ce à quoi je ne peux répondre que par
un sourire.
Nadine de Vos, 24 mai 2006
(1) Définitions selon « Sea
of Faith » - voir le site de Protestants dans la ville
(2) A. Comte-Sponville |
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