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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

- Dieu, un mot fourre-tout

- Dieu, un superlatif

- Dieu un surnaturel imaginaire

- Comment peut-on être
athée ?

 

   

 


Dis moi ton dieu, je te dirai qui tu es

 

 

À la question de savoir ce qu’est « dieu » pour moi, je ne peux même pas répondre que c’est une absence car toute absence est un manque de présence, ailleurs, ou à un autre moment. Dieu est pour moi un mot, tout simplement. Mais un mot qui symbolise une abstraction d’une importance capitale pour un grand nombre de personnes, donc un mot dont je dois impérativement tenir compte bien que, pour moi, il soit sans objet. Et si ce concept ne m’appartient pas, il m’intéresse néanmoins parce qu’il occupe une place cruciale dans la vie de nombre de mes semblables et a, que je le veuille ou non, une incidence de poids sur ma propre vie.

Dieu, un mot fourre-tout

J’ai l’impression, depuis le temps que je les observe, qu’il y a autant dieux que de croyants. Dieu n’est jamais ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre car il dépend toujours de celui qui le pense. Dans les religions les plus contraignantes, le sujet pensant – même s’il s’en défend – s’investit lui aussi dans son idée de dieu et par là, le rend unique et personnel.

Le peuple des croyants est, en gros, constitué de différents ensembles et sous-ensembles, selon certaines caractéristiques ou mesures communes, tels que la situation géographique, la culture, les coutumes, les traditions, les rites, les dogmes... Certains groupes contiennent beaucoup d’éléments, d’autres sont moins denses, jusqu’aux singletons, constitués chacun d’un seul individu assumant seul sa croyance ou sa foi singulière.

Parmi ces ensembles, le théisme, par exemple, conçoit dieu comme existant objectivement, indépendamment de la pensée humaine : c’est le créateur de toutes choses, tout puissant et éternel, qui écoute et exauce [éventuellement] les prières. Par contre, dans le « non-réalisme », dieu n’a pas d’existence « réelle » autonome, objective, indépendante, extérieure à la culture humaine (1).

Dieu est donc parfois une personne, de préférence mâle, quelquefois femelle, parfois les deux ; un père, une mère, un guide, un gardien ; une entité spirituelle pensante autonome ou le concept-clé d’un humanisme religieux ; un tout, un néant, un univers ; un élément, une montagne, un fleuve, un astre, une étoile… ou quelque chose dont on ne peut rien dire, de l’inconnu inconnaissable, indicible et insaisissable.

Dieu, un superlatif  

Dieu, pour de nombreux croyants, c’est le mieux, le meilleur, le plus fort, le plus puissant, l’idéal, l’absolu, le plus du plus, le plus que parfait, celui qui voit et sait tout, qui est partout, toujours. Il est tout ce que l’on n’est pas mais qu’on voudrait bien être, il est le sublime sublimé.

Certains ont un dieu qui aime, écoute et comprend de façon intemporelle, inconditionnelle et absolue. Il comble tous les trous, tous les vides, tous les manques. Que peut-on demander de plus ?

Même dans les approches apophatiques, dieu est l’ineffable par excellence, mais dont finalement on ne peut jamais qu’affirmer l’intuition personnelle subjective car enfin, si on ne peut rien en connaître, comment savoir ce que c’est sinon ce qu’on y met ?

Dieu, un surnaturel imaginaire,
producteur de réponses et de sens.  

Toutes les questions poignantes, premières et ultimes, auxquelles l’homme est confronté peuvent, pour certains croyants, trouver des réponses sinon des solutions dès l’instant où il est fait appel au surnaturel. Ainsi, dieu répond aussi à la quête du sens de la vie.

Y a-t-il, pour quelque raison que ce soit, détresse, mal-être, angoisse, peur, tristesse, malheur, insécurité, solitude… ? Dieu est là, il console, rassure, accompagne ou bien il sert de punching-ball. En bien ou en mal, il est la référence : innocent ou responsable, prétexte ou motif, accusé ou juge, serviteur ou maître…

Parle-t-on d’émotions, de sentiments positifs extrêmes, d’exaltation, d’émerveillement, de subjugation, de débordement, d’extase... ? Il y a transcendance, intuition de présence divine, « ultime réalité » … Car pour certains croyants, ce qui est trop bon, trop fort, trop intense, ne saurait être immanent. Cette affirmation, loin d’être gratuite, semble procéder d’un ressenti intime qui s’imposerait comme une évidence.

Et aussi, dieu, s’il est une joie pour certains, peut-être aussi, et parfois concomitamment, source de culpabilité et de malaise.

Cette liste n’épuise pas le sujet mais les éléments épinglés sont observés à des degrés divers chez les uns et les autres et peuvent cohabiter tous ensemble ou en partie chez une même personne. Dans d’autres cas, une seule de ces approches peut suffire à la foi.

Comment peut-on être athée ?   

Je ne sais plus qui disait de façon imagée qu’il n’y a, finalement, entre les croyants et les athées qu’un seul dieu de différence et que les croyants devraient pouvoir admettre qu’ils sont en fait athées à tous les dieux, présents et passés… sauf le leur, quel ou quoi qu’il soit. Globalement, je peux rejoindre cette boutade mais non sans y mettre une certaine réserve : qui peut prétendre, en effet, avoir fait le tour des innombrables visages de la croyance ou de la foi ?

À la question de savoir comment on peut être incroyant, je vais tenter de répondre à l’aide d’un exemple emprunté à Dawkins mais aménagé en fonction de mon point de vue certes moins radical.

Supposons l’hypothèse invérifiable selon laquelle une théière ou plutôt un pot à thé (je préfère cette traduction de « teapot ») se trouve en orbite autour d’un astre inaccessible par nos télescopes. Devant cette affirmation irréfutable parce que non objectivable et non vérifiable, l’attitude agnostique semblerait de mise. Cependant, il est patent pour tout le monde que le fait de réfuter cette proposition n’a pas le même poids que d’y adhérer et nous serons tous d’accord pour dire que nous n’y croyons pas. La croyance au divin est devenue, pour moi, du même ordre et me serait aussi absurde que celle du pot à thé.

Par contre, je conçois aisément que, pour d’autres, la question de l’existence de dieu(x) soit fondamentale et n’ait rien à voir avec un quelconque objet céleste prétendu en orbite quelque part. Ce n’était qu’un exemple ludique destiné à faire comprendre mon athéisme et à montrer que l’incroyance sincère est bien plus qu’une simple opposition et va au-delà d’un éventuel combat : c’est un état d’esprit, une façon différente d’appréhender les mystères et les énigmes de la vie, en restituant à l’homme ses inventions et ses constructions, sans éprouver le moindre besoin – ni désir – de leur donner une marque de fabrique ou un brevet divins.

« Croire » serait, en somme, aller à l’encontre de ma nature, ce serait comme m’obliger à écrire de la main gauche alors que je suis droitière ou me pousser dans les bras d’une femme alors que je suis hétéro… ou l’inverse. Il est évident que j’opère un raisonnement analogue pour les croyants et que, dès lors, je ne me demande plus, comme autrefois, lorsque je me suis dégagée de l’Institution : « mais comment peuvent-ils croire ? ».
Par contre, je ne pourrai jamais admettre les abus de pouvoir et de confiance opérés par de nombreuses Églises, la mainmise sur les consciences, le mépris de la liberté de penser, de s’exprimer, de comprendre. Mais cette révolte ne se concentre pas uniquement sur les institutions religieuses, elle s’étend à toutes les situations où il y a mystification et exploitation de la crédulité. Une question ici pourrait être creusée, celle de savoir d’où vient cette crédulité si largement répandue et même peut-être entretenue.

Pour l’incroyant, il n’y a donc pas de référence au surnaturel ni à une Institution prétendant représenter le divin. Il n’y a pas de déification ni de transfert. Pas de transcendance ou de providence avec ou sans majuscule. Pour ce qui me concerne, les questions sans réponses restent en suspens et ma vie n’a pour sens que celui que je lui donne jour après jour et « ce n’est pas parce que ma vie a un sens que je l’aime, mais c’est parce que je l’aime qu’elle a du sens. » Ici, certains croyants me rétorqueront que cet amour est un don, une grâce divine. Ce à quoi je ne peux répondre que par un sourire.

Nadine de Vos, 24 mai 2006  

(1) Définitions selon « Sea of Faith » - voir le site de Protestants dans la ville
(2) A. Comte-Sponville