L’amour ne se commande
pas ! La foi ne se commande pas ! On ne les attrape pas comme
on attrape un rhume, ni à force de prières,
ni à force d’entraînement ou de discipline.
Parce que beaucoup de parents veulent ignorer
cette banale observation, combien d’enfants éduqués
dans la croyance ou dans l’incroyance, ne se réveillent-ils
pas, à l’âge adulte, avec une valise qui
n’est pas à eux et dont ils ne savent que faire
? Comme d’autres, qui ne se réveilleront peut-être
jamais, ils continuent bien souvent à la trimballer
partout par habitude, en se gardant bien de l’ouvrir
et d’en examiner le contenu. Combien d’entre
eux, en toute conscience et connaissance de cause, franchissent
le pas dans un autre sens que celui imposé par leur éducation?
Combien de faux croyants, combien de faux athées,
mal à l’aise dans leur rôle ou portant
des oeillères ?
Pourtant, si on leur en laisse l’occasion,
les enfants montrent très vite leur propension naturelle à croire
ou à douter, même au sein d’une même
famille. Mais nombreux sont les parents qui n’en tiennent
aucun compte, estimant avoir le droit, sinon le devoir, d’imposer
leurs « croyances limitatives », leurs propres
prétendues « vérités » à leurs
enfant, et d’étouffer dans l’œuf
toute tentative de [ce qu’ils considèrent comme]
rébellion, faisant, de la sorte, une magistrale démonstration
d’intolérance. Bien des familles croyantes font
ainsi prendre d’office et de force des messies pour
des lanternes (1) à leur progéniture et la
discussion est rarement tolérée. De même,
dans certains milieux laïques, on bouffe du curé à tous
les repas et il ne serait pas bon de faire état d’une
quelconque crédulité en matière de religion.
Certes, les enfants doivent être informés
pour pouvoir choisir leurs propres engagements. Mais le rôle
des adultes – parents et éducateurs – ne
devrait-il pas se borner à donner la matière
et l’outillage, le plus objectivement possible, à témoigner
sans contraindre, et, s’il le faut, à laisser
faire sans interdire ni sanctionner ? Parce que les enfants
sont les premiers à avoir droit à la tolérance.
« [La tolérance]
doit être la plus large possible : il n'y a guère
(…) que l'intolérance pratique, c'est-à-dire
la violence contre des personnes, qui ne puisse être
tolérée. » (2)
Et justement, n’est-ce pas faire violence à l’enfant
que de le forcer à adopter idéologies, dogmes
et préjugés de la tradition familiale ? De
lui dicter son comportement, notamment vis-à-vis de
la religion, comportement qui pourtant devrait faire l’objet
d’un choix intime et sincère ? N’est-ce
pas manquer de respect à la personne qu’est
l’enfant que de lui infliger des options philosophiques
ou religieuses irréfragables, comme s’il s’agissait
de lois ou de ou de principes éthiques ? N’est-ce
pas bâillonner son aptitude à la liberté ?
Alexander Sutherland Neill, le fondateur
de Summerhill – qui ne confondait pas liberté et
anarchie, tolérance et laxisme – reconnaissait
aux enfants la capacité de déterminer le cours
de leur propre vie. Il refusait de les « guider pas à pas »,
leur permettant – avec bonheur – de « former
leurs propres valeurs » (3). Ses résultats furent – et
restent – édifiants mais n’ont jamais
concerné qu’un nombre très limité d’enfants.
Selon lui, ce ne sont pas les enfants qui font problème,
mais les parents qui, trop souvent embourbés dans
leur marécage éducationnel, ne comprennent
pas qu’il faut rompre le cercle et démarrer
sur de nouvelles bases ; ou bien, ils n’ont pas l’audace
de le faire.
Il n’y a pas beaucoup de Summerhill,
mais cet exemple devrait, il me semble, nous inciter à nous
interroger et à réagir ne serait-ce qu’à l’échelle
de la cellule familiale. Pour commencer. Parce que le défi
est de taille.
Nadine de Vos, le 4 avril
2006
(1) Je ne sais plus,
hélas, où j’ai lu cette expression
amusante. Je la cite donc et en restitue la paternité à son
auteur anonyme. (2) Robert Joly, L’intolérance
catholique, Editions Espace de Libertés, Bruxelles,
1995, p. 84.
(3) A.S. Neill, Libres enfants de Summerhill, Essai, Editions La Découverte,
Paris, 2004. Intéressant, l’article paru au sujet de Summerhill
dans le Web de l’Humanité.
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