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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


Pour la tolérance dès le berceau

 

 

L’amour ne se commande pas ! La foi ne se commande pas ! On ne les attrape pas comme on attrape un rhume, ni à force de prières, ni à force d’entraînement ou de discipline.

Parce que beaucoup de parents veulent ignorer cette banale observation, combien d’enfants éduqués dans la croyance ou dans l’incroyance, ne se réveillent-ils pas, à l’âge adulte, avec une valise qui n’est pas à eux et dont ils ne savent que faire ? Comme d’autres, qui ne se réveilleront peut-être jamais, ils continuent bien souvent à la trimballer partout par habitude, en se gardant bien de l’ouvrir et d’en examiner le contenu. Combien d’entre eux, en toute conscience et connaissance de cause, franchissent le pas dans un autre sens que celui imposé par leur éducation? Combien de faux croyants, combien de faux athées, mal à l’aise dans leur rôle ou portant des oeillères ?

Pourtant, si on leur en laisse l’occasion, les enfants montrent très vite leur propension naturelle à croire ou à douter, même au sein d’une même famille. Mais nombreux sont les parents qui n’en tiennent aucun compte, estimant avoir le droit, sinon le devoir, d’imposer leurs « croyances limitatives », leurs propres prétendues « vérités » à leurs enfant, et d’étouffer dans l’œuf toute tentative de [ce qu’ils considèrent comme] rébellion, faisant, de la sorte, une magistrale démonstration d’intolérance. Bien des familles croyantes font ainsi prendre d’office et de force des messies pour des lanternes (1) à leur progéniture et la discussion est rarement tolérée. De même, dans certains milieux laïques, on bouffe du curé à tous les repas et il ne serait pas bon de faire état d’une quelconque crédulité en matière de religion.

Certes, les enfants doivent être informés pour pouvoir choisir leurs propres engagements. Mais le rôle des adultes – parents et éducateurs – ne devrait-il pas se borner à donner la matière et l’outillage, le plus objectivement possible, à témoigner sans contraindre, et, s’il le faut, à laisser faire sans interdire ni sanctionner ? Parce que les enfants sont les premiers à avoir droit à la tolérance.

« [La tolérance] doit être la plus large possible : il n'y a guère (…) que l'intolérance pratique, c'est-à-dire la violence contre des personnes, qui ne puisse être tolérée. » (2)

Et justement, n’est-ce pas faire violence à l’enfant que de le forcer à adopter idéologies, dogmes et préjugés de la tradition familiale ? De lui dicter son comportement, notamment vis-à-vis de la religion, comportement qui pourtant devrait faire l’objet d’un choix intime et sincère ? N’est-ce pas manquer de respect à la personne qu’est l’enfant que de lui infliger des options philosophiques ou religieuses irréfragables, comme s’il s’agissait de lois ou de ou de principes éthiques ? N’est-ce pas bâillonner son aptitude à la liberté ?

Alexander Sutherland Neill, le fondateur de Summerhill – qui ne confondait pas liberté et anarchie, tolérance et laxisme – reconnaissait aux enfants la capacité de déterminer le cours de leur propre vie. Il refusait de les « guider pas à pas », leur permettant – avec bonheur – de « former leurs propres valeurs » (3). Ses résultats furent – et restent – édifiants mais n’ont jamais concerné qu’un nombre très limité d’enfants. Selon lui, ce ne sont pas les enfants qui font problème, mais les parents qui, trop souvent embourbés dans leur marécage éducationnel, ne comprennent pas qu’il faut rompre le cercle et démarrer sur de nouvelles bases ; ou bien, ils n’ont pas l’audace de le faire.

Il n’y a pas beaucoup de Summerhill, mais cet exemple devrait, il me semble, nous inciter à nous interroger et à réagir ne serait-ce qu’à l’échelle de la cellule familiale. Pour commencer. Parce que le défi est de taille.

Nadine de Vos, le 4 avril 2006

(1) Je ne sais plus, hélas, où j’ai lu cette expression amusante. Je la cite donc et en restitue la paternité à son auteur anonyme.
(2) Robert Joly, L’intolérance catholique, Editions Espace de Libertés, Bruxelles, 1995, p. 84.
(3) A.S. Neill, Libres enfants de Summerhill, Essai, Editions La Découverte, Paris, 2004. Intéressant, l’article paru au sujet de Summerhill dans le Web de l’Humanité.