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 Les chroniques



   Jacques Chopineau

 

- Communautarisme et solidarité

- La disgrâce du monde actuel

- Les réformes impossibles

- Comment sortir de ce carcan?

 

 

   

 


Manifestons !

 

 

Communautarismes et solidarité

Dans notre société –faute de commun dénominateur pour tous les citoyens- tout communautarisme est gros de difficultés. Une patrie, une nation, un idéal commun, un drapeau-symbole commun aux communautés les plus diverses…. Tout cela fait défaut.

Il est à craindre que –sous le nom d’Europe- se mette en place un grand marché aux frontières floues. C’est alors que les familles communautaires seront appelées à remplacer efficacement les anciennes patries –faute d’une véritable patrie européenne, démocratique et sociale.

Toute communauté définit son orbe de solidarité. Cependant, le « tout économique » serait une jungle mortifère pour les anciennes solidarités. Un consommateur n’est pas encore un citoyen. Le profit n’est pas une patrie. Un monde qui reposerait sur le profit serait un monde éclaté, une jungle dans laquelle tous les coups seraient permis. La démocratie serait alors une façade. Un paravant honoré derrière lequel se feraient les affaires. C’est parfois déjà le cas. Nous sommes en haut d’une pente savonneuse !

Il est clair que la jungle ignore la solidarité. Les plus forts mangent les petits, sans forme et sans procédure. C’est le règne de l’action directe, même si –chez nous- il convient de donner un visage « démocratique » à l’action entreprise.

C’est là une particularité de notre monde de publicité-reine. La question est : comment vendre plus, afin que les profits (ou les suffrages) augmentent. Quant au particulier –faute d’être un citoyen- il ne pourra que se rechercher une « famille », à moins d’être assez riche pour n’avoir pas besoin de ce cadre et de cette solidarité. Les années qui viennent sont grosses de manifestations et de revendications sans réponses autres que violentes.

D’autre part, la société qui se met en place est plurielle (pluri-ethnique, pluriculturelle, plurireligieuse…), mais nous n’en avons guère pris conscience. Il faut du temps pour que des réflexes anciens soient en harmonie avec la réalité.Cependant, une société ne peut durer que si chacun respecte l’autre dans sa différence. Pas de fraternité sans égalité.

La disgrâce du monde actuel   

Nous vivons une époque de communication mondiale et de méconnaissance du voisin. Non seulement –comme jadis- à cause du téléphone et la télévision, mais surtout, aujourd’hui, à cause de la grande toile qu’Internet tisse sur le monde et à laquelle beaucoup ont accès. Cependant connaître n’est pas aimer : être en contact n’est pas être proche. « Eloignez vos tentes ; rapprochez vos cœurs », disaient les gens du désert. Nous faisons le contraire !

Nous avions déjà un avant-goût de cette distance entre les voisins, dans ces grands immeubles où –parfois- on ne se connaissait pas, même lorsqu’on vivait sur le même palier. C’est ainsi qu’une grève de la télè permettait aux voisins de se connaître !

Mais il arrive aujourd’hui qu’au sein de la même famille, l’un vive –par la grâce d’Internet- à des milliers de kilomètres de ses cohabitants. On peut ainsi connaître le lointain et ignorer le proche.

De même, dans la rue, on peut manifester ensemble, sans être véritablement solidaires. On peut aussi se vouloir solidaires et ne pas connaître exactement les vraies raisons de cette unanimité. Il appartiendra aux historiens de faire la part de la manipulation et de la désinformation des foules.

Pourtant, apparemment, tous manifestent ensemble. La vertu des grandes manifestations est de rassembler des foules. Finalement, le déclencheur occasionnel est marginal. L’union est essentielle. Une condition cependant : que la manifestion ne sombre pas dans les désordres. La réponse aux grands désordres est l’action des nécessaires forces de l’ordre.

Une révolution conduit à la dictature. Les exemples sont nombreux. On peut d’ailleurs prévoir que la gabegie actuelle sera le lit d’un retour à l’ordre et –donc- à l’élection d’un homme d’ordre. Qui sera le cheval gagnant ?

Peut-on, d’ailleurs, agir autrement, lorsque le parlement est si peu représentatif de la nation véritable. Pris ensemble, majorité et opposition ne font pas, en France, la moitié du corps électoral. N’y-a-t-il pas là une question ? Une autre question est posée par la sous-représentation (voire la non-représentation) d’une part importante du peuple concret. Les extrêmes, bien sûr, sont sous-représentés, mais aussi la grande masse des non-votants.

Autre étrangeté : celle d’un pays qui –depuis des lustres- est incapable de mener à bien une seule réforme. Un pays où le dialogue social est parfois prôné, mais toujours absent. Un fort monologue (manifestons !) ne remplacera jamais le dialogue.

Les réformes impossibles   

Croissance et développement sont la condition indispensable, sans quoi chômage et précarité sont la règle. Chose curieuse : cette réalité n’est pas inscrite dans le discours politique. Comme s’il s’agissait d’une vérité d’ordre général, mais qui se trouve rarement à l’ordre du jour. Mais si l’on rappelait la vérité, il faudrait procéder à des réformes importantes. Des réformes impopulaires…..

Certes, ici et là, de nouveaux financements seraient admis par tous. Il est ainsi plus simple –en cas de chômage important- de subventionner l’emploi. Dans un premier temps, le contribuable n’y verra rien. Et lorsqu’il s’en apercevra : d’autres seront « aux affaires ». Ainsi, nos choix actuels seront pris en compte par d’autres que nous. En attendant, les dettes peuvent grandir, pourvu que le présent soit assumé. Etonnante courte vue du discours politique !

Il est vrai qu’il est plus facile de revendiquer que de réformer. D’autant qu’une réforme qui ne gênerait personne n’existe pas. Dès lors, toute réforme risque d’être impopulaire. En sorte qu’un parti qui se veut populaire (élections obligent) risque d’écarter toute réforme autre que terminologique.
Promesses, rappels de principes et grandes affirmations… sont la trame habituelle du discours politique. La pièce est jouée derrière le rideau.
Certes, le paquet est beau et le vendeur est talentueux mais : que contient l’emballage ? En fait, l’acheteur (ou son fils) découvrira ce qu’il a « acquis » lorsqu’il ouvrira le paquet !

Il faut se souvenir de ce que des « droits » justement revendiqués ne sont pas inscrits dans l’éternité. Si l’économie est en crise, droit au travail, droit au logement, droit à la santé, droit à la sécurité etc… ne seront garantis par personne. Il ne suffit pas de revendiquer fortement pour changer la réalité. Même impopulaires, les faits sont les faits.

Soyons donc moins dogmatiques, mais plus pragmatiques. C’est, finalement, le résultat qui seul importe. Les affirmations sur les principes et les discussions sur les stratégies sont conditionnées par les résultats concrets obtenus. Pas de sens sans bon-sens. Mais pas de bon-sens sans choix. Même si les choix sont parfois douloureux.

Les dogmatiques sont semblables à des joueurs de pétanque qui discuteraient pour savoir s’il convient de tirer ou de pointer… sans savoir où est le cochonnet ! Les principes, cependant, pour un dogmatique (de droite comme de gauche) sont souvent plus forts que la simple réalité. Surtout lorsque cette réalité est sombre.

Certes, le cheval est beau, mais s’il n’est pas à l’arrivée, il convient de se poser des questions. Ou bien : le joueur est habile et il court vite, mais il n’a pas le ballon. Il est donc impossible qu’il marque un but. Vers quoi cours-tu, ô peuple ?

Les manifestations-montagnes risquent d’accoucher d’une réforme-souris. Ou même d’un « retrait » de tout projet, sans essai de le mettre en œuvre. Comme si l’on pouvait garantir, en revendiquant fortement, un passé glorieux ou un futur lumineux.
Combien de projets de réforme ne sont-ils pas déjà passés à la trappe ? Une réforme du système éducatif est un bel exemple de cette situation. Beaucoup de ministres s’y sont cassé les dents. Mais le mamouth est toujours debout. Et il ne se mettra pas à voler, même si un parlement unanime (en accord avec les syndicats) décrétait que le mamouth est un volatile !

Le bon sens voudrait donc que les chiffres qui commandent les choix économiques soient rappelés clairement. Y compris lorsque ces chiffres mettent en lumière des erreurs passées, voire des choix immoraux –comme une dette énorme que nos enfants et petits enfants devront traîner comme un boulet. Les seuls intérêts annuels de cette dette suffiraient, par exemple, à financer, l’enseignement, la recherche, la justice, les hôpitaux etc….
Mais de cela, il n’est jamais question sérieusement. Nous vivons, certes, au dessus de nos moyens : les générations à venir paieront pour leurs anciens. Est-ce moral ? Non, sans doute, mais on n’en parle pas, parce que cela mettrait en cause des pratiques actuelles.

Les scandales sont nombreux. D’autant que la France est un pays curieux. Certes, un beau pays et un vivier de talents remarquables. Mais aussi un pays dans lequel toute réforme prend des allures de révolution. Un pays aussi où des particularités uniques sont des habitudes considérées comme normales.

Par exemple, nul pays européen n’a mis en œuvre une loi des trente-cinq heures hebdomadaires de travail. Nul non plus, ne dépense plus pour un étudiant de l’enseignement secondaire que pour un étudiant universitaire. Cela a sans doute quelque rapport avec le fossé qui sépare la formation universitaire et le marché de l’emploi. Certes, chacun peut bien entreprendre les études qu’il désire. Liberté ! Et pas de sélection : la vie se chargera de la faire.

Et quels sont les pays qui ont autant de jours de congé scolaire ? Ou encore : quel pays compte autant de fonctionnaires par habitant ? Les montagnes de papiers nécessaires ont un rapport direct avec ce qu’on nomme les « lourdeurs administratives ». Sujet tabou !

Les exemples seraient nombreux de ces exceptions françaises. A gauche comme à droite, les réformes sont tenues au large dans les faits, sinon dans les discours. Et pour peu que les jeunes, ou les syndicats, ou tel parti politique –voire tous ensemble- interviennent, tout projet de réforme sera condamné, rejeté, combattu, voué aux gémonies. En fin de compte, il faudra continuer comme auparavant –éventuellement en changeant la terminologie.

Comment sortir de ce carcan ?   

Il est permis de rêver. D’abord : que tous (à gauche comme à droite) se mettent autour de la table et donnent leur avis. Mais, surtout, que le constat soit fait. Et que la volonté de changement soit clairement exprimée, même si cela est coûteux en termes électoraux.
La précarité est actuelle. Le chômage est tragiquement actuel. Ce ne sont pas des créations voulues, évidemment. Nul CPE n’a créé le chômage . Il voulait être une réponse –certes incomprise. Il n’a jamais été mis en œuvre. Evidemment, il eût fallu en limiter l’application dans le temps. Et si au bout de six mois ou un an, le chômage n’avait pas diminué, on aurait justement pu dire : « cette réforme ne fonctionne pas : il faut inventer autre chose ». Soyons empiriques !

Il est vrai que le pouvoir en place s’y est certainement mal pris. Passer en force est la pire des choses dans un pays rebelle aux réformes. Et se déclarer après-coup « ouvert au dialogue » est une attitude étrange. N’eût-il pas été préférable de commencer par là. D’abord expliquer et convaincre et décider ensuite.

Une décision doit être prise, certes, à la majorité. Mais seulement après examen. Sinon, nous aboutirions à des oppositions à toute réforme. C’est bien ce que nous voyons : des discussions proposées après-coup, lorsque la réforme est rejetée par un grand nombre. Ne pouvait-on le prévoir ? Ne devait-on pas, avant toute décision, expliquer et –peut-être- convaincre ?

Voilà bien une tare d’un pouvoir faible : Je tire d’abord et j’explique après ! C’est susciter les grandes manifestations. Mais si le pouvoir est dans la rue : pourquoi voter ? De telles réactions sont à attendre ! Et s’il suffit de revendiquer pour obtenir : nous allons vers une zone de turbulences.

L’histoire s’écrit sous nos yeux –lors même que nous regardons ailleurs. Les réveils seront pénibles. Mais d’autres, plus tard, se réveilleront. Trop tard, sans doute !

Jacques Chopineau, Genappe, le 17 avril 2006