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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


Si tu crois en Dieu, il existe…

 

 

Lorsqu’un incroyant déclare que croire en Dieu est irrationnel, il produit-là une évidente banalité : la raison est du domaine du réel ; la croyance en Dieu est du domaine du surnaturel ; l’argument rationaliste n’est pas ici congruent. La volonté, parfois opiniâtre, de certains scientifiques croyants de faire concorder leur foi et leur discipline professionnelle n’est pas davantage pertinente. On ne peut mélanger les unités de mesure et affirmer, sauf par plaisanterie, qu’ « un scientifique croyant est un schizophrène » (1)

De la même manière, lorsqu’un croyant, avance que tout le monde croit en quelque chose, y compris le scientifique athée qui « croit » en ses hypothèses, la phrase sonne faux. Il n’est pas adéquat de mettre sur le même pied la croyance en Dieu – élément surnaturel, irréfutable parce que non objectivable et non vérifiable – et la « croyance » en une proposition que le scientifique va s’empresser de mettre à l’épreuve, de confirmer ou d’infirmer… ou de garder en suspens parce que cette hypothèse, si elle n’est pas directement observable, se trouve bel bien dans la réalité de ses calculs.

Mais, m’objecteront certains, Dieu est bien réel pour moi, il est dans ma vie de tous les jours. Cela ne se discute pas. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un ressent la présence du divin subjectivement, que le divin existe objectivement. De même, ce n’est pas parce que je ne ressens rien de tel que le divin n’existe pas. L’un parlera ainsi de sentiment de sacré lorsqu’il entre dans une cathédrale, ou de moment magique, l’autre évoquera une émotion particulière, un autre encore n’aura rien ressenti de spécial. Pourtant, il n’y a pas de divin, pas de magie objectivables… et l’émotion est par définition un élément subjectif. Je me demande d’ailleurs, si le terme
« sacré » serait utilisé pour décrire ce que l’on peut ressentir dans un théâtre ou une salle d’opéra comme la Scala, par exemple… Ou si le « sacré » d’un haut lieu est perceptible de la même façon dans le silence et la solitude ou dans le brouhaha d’une marée humaine, touristique ou autre…

Comme pour le « sacré », l’utilisation du mot « spiritualité » est aussi fortement connotée. On peut définir brièvement la spiritualité comme étant la vie de l’esprit. Tenant compte de cette définition volontairement neutre, nier la réalité de la spiritualité laïque – comme le font encore aujourd’hui certains croyants – revient à considérer l’athée comme étant dépourvu d’esprit :
hors l’Eglise point de salut, hors la foi, point d’humanité…
C’est un peu court, quand même.

Un autre piège consiste à rendre synonymes des mots qui ne le sont pas ou à opposer des termes de façon inopportune. Il est dommageable, par exemple, d’opposer – comme on le fait si souvent dans le dialogue pluraliste ou interreligieux – « liberté » et « déterminisme ». Ces notions n’appartiennent pas à la même sphère. Robert Joly, citant Chaïm Perelman, précise qu’« on n’a guère le droit, à priori, d’opposer liberté et déterminisme :

“ Signalons, en passant, que les notions ayant une coloration affective présentent, toutes, des termes antithétiques caractérisés par une coloration affective opposée. A la réalité, on oppose l’apparence, à la liberté la contrainte ou la licence, au bien le mal, à la justice l’injustice, à l’ordre le désordre, etc. En opposant à une notion émotive une notion qui ne l’est pas, on commet un contresens. On ne peut opposer le déterminisme à la liberté, parce que la liberté est alors identifiée à l’indéterminisme : or, on ne lutte pas, on ne meurt pas pour l’indéterminisme comme on peut lutter ou mourir pour la liberté.” » (2)

Compte tenu de ce qui précède, je me déclarerais objectivement agnostique et subjectivement athée. En effet, comme tout le monde, j’ignore si Dieu est ou non mais j’ai choisi de vivre sans ce qui, pour moi – j’insiste – représente un faux besoin, une diffraction de la réalité, une (recherche de) satisfaction d’un désir que tout le monde n’éprouve pas.

Après avoir ainsi tenté de désamorcer quelques pétards qui mettent bien souvent en péril le dialogue entre agnostiques, qu’ils soient croyants ou non, j’en viens à cette « idée de Dieu » et à la pertinence de son approbation. J’ai lu tout ce qui me tombait sous l’œil à ce sujet, j’ai interrogé un certain nombre de croyants et d’athées, toutes formations confondues. La seule réponse qui, à ce jour, me donne satisfaction est parfaitement résumée par l’écrivain russe Maxime Gorki :

« Est-ce que Dieu existe ? Si tu crois en lui, il existe;
si tu n'y crois pas, il n'existe pas. »

Nadine de Vos, Le 31 janvier 2006.

(1) Jacques Monod, cité dans L'Evénement du jeudi, 24-12-1987
(2) Robert Joly, Dieu vous interpelle ? Moi, il m’évite…- Les raisons de l’incroyance, EPO -Espace de Libertés, 2000.