Lorsqu’un incroyant déclare
que croire en Dieu est irrationnel, il produit-là une évidente
banalité : la raison est du domaine du réel ;
la croyance en Dieu est du domaine du surnaturel ; l’argument
rationaliste n’est pas ici congruent. La volonté,
parfois opiniâtre, de certains scientifiques croyants
de faire concorder leur foi et leur discipline professionnelle
n’est pas davantage pertinente. On ne peut mélanger
les unités de mesure et affirmer, sauf par plaisanterie,
qu’ « un scientifique croyant est un schizophrène » (1)
De
la même manière, lorsqu’un croyant, avance
que tout le monde croit en quelque chose, y compris le scientifique
athée qui « croit » en ses hypothèses,
la phrase sonne faux. Il n’est pas adéquat de
mettre sur le même pied la croyance en Dieu – élément
surnaturel, irréfutable parce que non objectivable et
non vérifiable – et la « croyance » en
une proposition que le scientifique va s’empresser de
mettre à l’épreuve, de confirmer ou d’infirmer… ou
de garder en suspens parce que cette hypothèse, si elle
n’est pas directement observable, se trouve bel bien
dans la réalité de ses calculs.
Mais, m’objecteront certains, Dieu est bien réel
pour moi, il est dans ma vie de tous les jours. Cela ne se
discute pas. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un
ressent la présence du divin subjectivement, que le
divin existe objectivement. De même, ce n’est
pas parce que je ne ressens rien de tel que le divin n’existe
pas. L’un parlera ainsi de sentiment de sacré lorsqu’il
entre dans une cathédrale, ou de moment magique, l’autre évoquera
une émotion particulière, un autre encore n’aura
rien ressenti de spécial. Pourtant, il n’y a
pas de divin, pas de magie objectivables… et l’émotion
est par définition un élément subjectif.
Je me demande d’ailleurs, si le terme « sacré » serait
utilisé pour décrire ce que l’on peut
ressentir dans un théâtre ou une salle d’opéra
comme la Scala, par exemple… Ou si le « sacré » d’un
haut lieu est perceptible de la même façon dans
le silence et la solitude ou dans le brouhaha d’une
marée
humaine, touristique ou autre…
Comme pour le « sacré »,
l’utilisation
du mot « spiritualité » est aussi fortement
connotée. On peut définir brièvement
la spiritualité comme étant la vie de l’esprit.
Tenant compte de cette définition volontairement neutre,
nier la réalité de la spiritualité laïque – comme
le font encore aujourd’hui certains croyants – revient à considérer
l’athée comme étant dépourvu d’esprit
:
hors l’Eglise point de salut, hors la foi, point
d’humanité…
C’est
un peu court, quand même.
Un autre piège consiste à rendre
synonymes des mots qui ne le sont pas ou à opposer
des termes de façon
inopportune. Il est dommageable, par exemple, d’opposer – comme
on le fait si souvent dans le dialogue pluraliste ou interreligieux – « liberté » et « déterminisme ».
Ces notions n’appartiennent pas à la même
sphère. Robert Joly, citant Chaïm Perelman, précise
qu’« on n’a guère le droit, à priori,
d’opposer liberté et déterminisme :
“
Signalons, en passant, que les notions ayant une coloration
affective présentent, toutes, des termes antithétiques
caractérisés par une coloration affective opposée.
A la réalité, on oppose l’apparence, à la
liberté la contrainte ou la licence, au bien le mal, à la
justice l’injustice, à l’ordre le désordre,
etc. En opposant à une notion émotive une notion
qui ne l’est pas, on commet un contresens. On ne peut
opposer le déterminisme à la liberté,
parce que la liberté est alors identifiée à l’indéterminisme
: or, on ne lutte pas, on ne meurt pas pour l’indéterminisme
comme on peut lutter ou mourir pour la liberté.” » (2)
Compte
tenu de ce qui précède, je me déclarerais
objectivement agnostique et subjectivement athée.
En effet, comme tout le monde, j’ignore si Dieu est
ou non mais j’ai choisi de vivre sans ce qui, pour
moi – j’insiste – représente
un faux besoin, une diffraction de la réalité,
une (recherche de) satisfaction d’un désir que
tout le monde n’éprouve pas.
Après avoir
ainsi tenté de désamorcer
quelques pétards qui mettent bien souvent en péril
le dialogue entre agnostiques, qu’ils soient croyants
ou non, j’en viens à cette « idée
de Dieu » et à la pertinence de son approbation.
J’ai lu tout ce qui me tombait sous l’œil à ce
sujet, j’ai interrogé un certain nombre de croyants
et d’athées, toutes formations confondues. La
seule réponse qui, à ce jour, me donne satisfaction
est parfaitement résumée par l’écrivain
russe Maxime Gorki :
«
Est-ce que Dieu existe ? Si tu crois en lui, il existe;
si tu n'y crois pas, il n'existe pas. »
Nadine de Vos,
Le 31 janvier 2006.
(1) Jacques Monod, cité dans L'Evénement
du jeudi, 24-12-1987
(2) Robert Joly, Dieu vous interpelle ? Moi, il m’évite…-
Les raisons de l’incroyance, EPO -Espace de Libertés,
2000. |
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