Vraiment cette
ville est pourrie. Tous des larves. Pleine de fainéants,
d’assistés, de prêts à mordre et
d’enfants gâtés. De mon temps on n’aurait
pas admis ça. Il faudrait un bon coup de balai, pour éliminer
toute cette racaille. Et tu vas voir qu’encore il s’en
trouvera pour fermer les yeux, pour pardonner…
Et celles-là, avec leurs
si courtes jupes, leurs nombrils à l’air… De
vrais appels au viol. Qu’il arrive… Ce sera bien
fait…
Et ces gosses qui braillent,
et ces jeunes qui bousculent… Où sont les parents
? À voir ce qu’on voit, on comprend ce qui se
passe, ce qui va évidemment arriver. Ils ont bien
raison, au fond, ceux qui veulent prendre des mesures...
Vous allez voir bientôt… – Mais chut, je
me comprends…
Je suis fatigué, je veux dormir. Me plonger dans le sommeil, lové au
cœur de mon navire, chez moi, cocooning… Je m’y engloutirai,
comme, au fond de l’eau, dévoré par un gros poisson… À quoi
cela sert-il de se lever, de toute façon ? Vivement ce soir qu’on
se couche…
Dormir, mourir… C’est
pareil. Quand on voit ce qu’on voit… Autant s’étendre
et tout oublier.
Chez moi, au moins, j’aurai
ma tonnelle. De loin je verrai les hommes. De très
loin. Comme des fourmis. C’est tout ce qu’ils
méritent.
Je prendrai le frais, seul. Qui vit seul n’est pas en mauvaise compagnie.
Le monde m’apportera ses petits dons, à moi tout seul. Les autres
ne méritent rien de tel.
– En es-tu sûr ?
– Oui, absolument, j’en suis sûr, et si jamais je perds ce
petit rien que j’ai, le monde est vraiment trop injuste. Au fond, c’est
la mort que je préfère, non la vie, car qu’est-ce que cette
vie qu’on ne peut mettre en ordre ? Un peu de morale, de discipline, que
Diable… Quelle époque, quelle barbarie, quelle décadence
! – Seigneur, dans quel siècle m’avez-vous fait naî-tre
? Ah, si j’étais vous… Et si j’étais vous… Je
te les exterminerais bien tous. C’est tout ce qu’ils méritent.
Ces étrangers, ces métèques, ces sauvages. Un bon nettoyage...
Qu’est-ce qu’il attend, celui qui déblaiera tout ça
? Si ce n’était que de moi… Pas de quartier, pas de pitié.
Vivement que ça arrive. Ça arrivera forcément, et alors
si je peux aider… Ou au moins j’aurai prévenu, et je comprendrai.
Quand même, j’ai
mal de voir ça, et ça me fait mal aussi au
fond de moi, si j’y pense… Si c’est pas
malheureux tout ça !
Mais je suis comme ça, de toute façon. Je n’aime pas les
changements. Qu’est-ce que je peux faire alors ? Je penserai à moi,
serai heureux pour moi, j’aurai mon petit plaisir, même bien petit,
et sinon je mourrai. De toute façon la vie… Pour ce qu’on
peut en attendre… Pas vrai ?
– Fais-tu bien de t’irriter ?
Michel Théron
Jonas,
3, 10
Dieu vit que les Ninivites … revenaient de leur mauvaise voie. Alors
Dieu se repentit du mal qu’il avait résolu de leur faire, et il
ne le fit pas.
Jonas 4, 1-11
Cela déplut fort à Jonas, et il fut irrité. Il implora
l’Éternel, et il dit : ‘Ah! Éternel, n’est-ce
pas ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays? C’est
ce que je voulais prévenir en fuyant... Car je savais que tu es un Dieu
compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche
en bonté, et qui te repens du mal. Maintenant, Éternel, prends-moi
donc la vie, car la mort m’est préférable à la vie.’ L’Éternel
répondit : ‘Fais-tu bien de t’irriter?’ Et Jonas sortit
de la ville, et s’assit à l’orient de la ville. Là il
se fit une cabane, et s’y tint à l’ombre, jusqu’à ce
qu’il vît ce qui arriverait dans la ville. L’Éternel
Dieu fit croître un ricin, qui s’éleva au-dessus de Jonas,
pour donner de l’ombre sur sa tête et pour lui ôter son irritation.
Jonas éprouva une grande joie à cause de ce ricin. Mais le lendemain, à l’aurore,
Dieu fit venir un ver qui piqua le ricin, et le ricin sécha. Au lever
du soleil, Dieu fit souffler un vent chaud d’orient, et le soleil frappa
la tête de Jonas, au point qu’il tomba en défaillance. Il
demanda la mort, et dit : ‘La mort m’est préférable à la
vie.’ Dieu dit à Jonas : ‘Fais-tu bien de t’irriter à cause
du ricin ?’ Il répondit : ‘Je fais bien de m’irriter
jusqu’à la mort.’ Et l’Éternel dit : ‘Tu
as pitié du ricin qui ne t’a coûté aucune peine et
que tu n’as pas fait croître, qui est né dans une nuit et
qui a péri dans une nuit. Et moi, je n’aurais pas pitié de
Ninive, la grande ville, dans laquelle se trouvent plus de cent vingt mille
hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux
en grand nombre !’
On peut voir des développements
supplémentaires sur la psychorigidité de Jonas,
et de bien d’autres, dans La Source
intérieure, de Michel Théron, Paris, Le
Publieur, 2005 : pp. 62-68. |
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