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 Les chroniques



    Michel Théron

 

 

 

   

 


Genèse d’un fasciste

 

 

Vraiment cette ville est pourrie. Tous des larves. Pleine de fainéants, d’assistés, de prêts à mordre et d’enfants gâtés. De mon temps on n’aurait pas admis ça. Il faudrait un bon coup de balai, pour éliminer toute cette racaille. Et tu vas voir qu’encore il s’en trouvera pour fermer les yeux, pour pardonner…

Et celles-là, avec leurs si courtes jupes, leurs nombrils à l’air… De vrais appels au viol. Qu’il arrive… Ce sera bien fait…

Et ces gosses qui braillent, et ces jeunes qui bousculent… Où sont les parents ? À voir ce qu’on voit, on comprend ce qui se passe, ce qui va évidemment arriver. Ils ont bien raison, au fond, ceux qui veulent prendre des mesures... Vous allez voir bientôt… – Mais chut, je me comprends…
Je suis fatigué, je veux dormir. Me plonger dans le sommeil, lové au cœur de mon navire, chez moi, cocooning… Je m’y engloutirai, comme, au fond de l’eau, dévoré par un gros poisson… À quoi cela sert-il de se lever, de toute façon ? Vivement ce soir qu’on se couche…

Dormir, mourir… C’est pareil. Quand on voit ce qu’on voit… Autant s’étendre et tout oublier.

Chez moi, au moins, j’aurai ma tonnelle. De loin je verrai les hommes. De très loin. Comme des fourmis. C’est tout ce qu’ils méritent.
Je prendrai le frais, seul. Qui vit seul n’est pas en mauvaise compagnie. Le monde m’apportera ses petits dons, à moi tout seul. Les autres ne méritent rien de tel.
– En es-tu sûr ?
– Oui, absolument, j’en suis sûr, et si jamais je perds ce petit rien que j’ai, le monde est vraiment trop injuste. Au fond, c’est la mort que je préfère, non la vie, car qu’est-ce que cette vie qu’on ne peut mettre en ordre ? Un peu de morale, de discipline, que Diable… Quelle époque, quelle barbarie, quelle décadence ! – Seigneur, dans quel siècle m’avez-vous fait naî-tre ? Ah, si j’étais vous… Et si j’étais vous… Je te les exterminerais bien tous. C’est tout ce qu’ils méritent. Ces étrangers, ces métèques, ces sauvages. Un bon nettoyage... Qu’est-ce qu’il attend, celui qui déblaiera tout ça ? Si ce n’était que de moi… Pas de quartier, pas de pitié. Vivement que ça arrive. Ça arrivera forcément, et alors si je peux aider… Ou au moins j’aurai prévenu, et je comprendrai.

Quand même, j’ai mal de voir ça, et ça me fait mal aussi au fond de moi, si j’y pense… Si c’est pas malheureux tout ça !
Mais je suis comme ça, de toute façon. Je n’aime pas les changements. Qu’est-ce que je peux faire alors ? Je penserai à moi, serai heureux pour moi, j’aurai mon petit plaisir, même bien petit, et sinon je mourrai. De toute façon la vie… Pour ce qu’on peut en attendre… Pas vrai ?
Fais-tu bien de t’irriter ?

Michel Théron

Jonas, 3, 10
Dieu vit que les Ninivites … revenaient de leur mauvaise voie. Alors Dieu se repentit du mal qu’il avait résolu de leur faire, et il ne le fit pas.
Jonas 4, 1-11
Cela déplut fort à Jonas, et il fut irrité. Il implora l’Éternel, et il dit : ‘Ah! Éternel, n’est-ce pas ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays? C’est ce que je voulais prévenir en fuyant... Car je savais que tu es un Dieu compatissant et miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté, et qui te repens du mal. Maintenant, Éternel, prends-moi donc la vie, car la mort m’est préférable à la vie.’ L’Éternel répondit : ‘Fais-tu bien de t’irriter?’ Et Jonas sortit de la ville, et s’assit à l’orient de la ville. Là il se fit une cabane, et s’y tint à l’ombre, jusqu’à ce qu’il vît ce qui arriverait dans la ville. L’Éternel Dieu fit croître un ricin, qui s’éleva au-dessus de Jonas, pour donner de l’ombre sur sa tête et pour lui ôter son irritation. Jonas éprouva une grande joie à cause de ce ricin. Mais le lendemain, à l’aurore, Dieu fit venir un ver qui piqua le ricin, et le ricin sécha. Au lever du soleil, Dieu fit souffler un vent chaud d’orient, et le soleil frappa la tête de Jonas, au point qu’il tomba en défaillance. Il demanda la mort, et dit : ‘La mort m’est préférable à la vie.’ Dieu dit à Jonas : ‘Fais-tu bien de t’irriter à cause du ricin ?’ Il répondit : ‘Je fais bien de m’irriter jusqu’à la mort.’ Et l’Éternel dit : ‘Tu as pitié du ricin qui ne t’a coûté aucune peine et que tu n’as pas fait croître, qui est né dans une nuit et qui a péri dans une nuit. Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, dans laquelle se trouvent plus de cent vingt mille hommes qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche, et des animaux en grand nombre !’

On peut voir des développements supplémentaires sur la psychorigidité de Jonas, et de bien d’autres, dans La Source intérieure, de Michel Théron, Paris, Le Publieur, 2005 : pp. 62-68.