Quelle que soit la société à laquelle
il appartient, l’individu, d’une manière
générale, se conforme tout naturellement à une
série de gabarits auxquels il lui faut correspondre
s’il veut satisfaire son désir d’intégration,
d’appartenance, de reconnaissance sociales. Ces modèles
sont établis sur base de jugements sociaux et de catalogages
en « bien », « mal », « mieux»,
etc. qui peuvent évidemment différer d’une
culture à l’autre, d’un pays à l’autre,
d’une classe ou d’une caste à l’autre…
Le
désir d’appartenir à un groupe et d’y être
apprécié est présenté comme une
nécessité vitale, comparable au besoin primitif
de s’associer pour assurer la survie individuelle. Le
schéma proposé – imposé ? – est
simple : le bien-être dépend du groupe et la clé de
l’intégration dans le groupe est la soumission à ses
exigences, l’adoption de son uniforme, de ses modes,
de ses activités, de ses idéaux, des ses croyances.
Ce « mème » est tellement bien incrusté dans
les mentalités qu’il semble anormal de ne pas
y souscrire.
«
Notre éducation nous a appris à avoir besoin
des autres. Pourquoi ce besoin? Pour être accepté,
approuvé, apprécié, applaudi – pour
obtenir ce que l’on appelle la réussite. » (1)
Nous
sommes donc conditionnés à chercher la popularité,
les félicitations, l’amour… sans lesquels
nous nous figurons ne pas pouvoir être heureux. Il
y a là intoxication. Aimer est important et essentiel.
Etre libre, le plus possible, est important et essentiel.
Etre aimé est important mais accessoire. Certes, l’enfant
a besoin d’amour pour l’apprendre – « l’amour
de l’enfant est captatif et celui des parents est oblatif » – mais
l’adulte est censé équilibrer cette relation.
Et si son désir d’être aimé – par
les humains, par les dieux – reste une nécessité impérieuse,
quelque chose d’indispensable à son bonheur
ou à sa
survie, la dépendance intervient.
Comme il est communément
admis qu’il faut être
entouré d’« amis », appartenir à des
groupes, des clubs, des associations, des communautés, … le
jugement porté sur les solitaires est extrêmement
péjoratif. On parle d’eux comme d’individus
asociaux, misanthropes, ermites, sans oublier les adjectifs
désobligeants qui peuvent les qualifier. Il y a là confusion
entre sociabilité et conformité et cette méprise
est inculquée dès le plus jeune âge.
Nous
vivons en société, certes. Nous entretenons
quotidiennement des rapports obligés avec nos congénères.
Si, contrairement à la majorité, un individu
ne cherche pas la compagnie de ses semblables en dehors des
relations utiles – qui peuvent être polies, courtoises,
plaisantes, aimables et même attentionnées – cela
ne signifie pas automatiquement qu’il n’aime
pas les autres ou qu’il en a peur ou qu’il les
méprise,
comme on l’entend trop souvent. Cela peut vouloir dire
simplement que ce solitaire n’a pas vraiment besoin
du regard des autres pour se sentir exister : il ne souffre
pas
d’être séparé d’eux et apprécie
le plaisir d’être seul, chose que le troupeau
(2) ne lui pardonne pas volontiers. En réalité,
c’est
bien souvent le troupeau qui n’aime pas, qui a peur
ou qui méprise le solitaire… et il ne peut même
pas le punir d’isolement.
La tendance à la standardisation – comprise
comme « réduction à un
modèle unique » – peut aller très
loin et de façon parfois insidieuse. Lorsque, par
exemple, tel auteur écrit que tous les hommes sont
croyants – peu
importe en quoi – et tente ensuite de démontrer
son affirmation à grand renfort de « jeux de
langage »,
les sceptiques, les incroyants et autres incrédules
se sentent quelque peu maltraités. Ne seraient-ils
pas des hommes parce qu’ils ne font pas comme la majorité ?
Si
l’on peut comprendre le choix – mais en est-ce
vraiment un ? – de cette majorité de se laisser
guider par des jugements sociaux qui leur facilitent la vie
et les rassurent, il est désolant de constater que
cette attitude est souvent accompagnée d’une
condamnation à l’encontre
de ceux qui ne suivent pas la même route.
Pourtant,
personne n’a l’obligation de se comporter
conformément à la programmation sociétale
normative.
Pourtant, ne croire en rien est chose possible
mais la plupart des gens n’aiment pas cette image ;
elle les déstabilise
ou est tout simplement impensable.
Pourtant, sortir des stéréotypes,
abandonner les jugements pré-établis et les
grilles de lectures prêtes à l’emploi,
est un exercice qui mérite
d’être tenté car il est libératoire. Nadine de Vos, Bruxelles, le
16 janvier 2006
(1) Anthony De Mello, Quand la conscience s’éveille.
(2) « Troupeau » est utilisé ici par opposition à « solitaire »,
de façon neutre, sans intention dépréciative. |
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