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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


« Non, les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux »

 

 

Quelle que soit la société à laquelle il appartient, l’individu, d’une manière générale, se conforme tout naturellement à une série de gabarits auxquels il lui faut correspondre s’il veut satisfaire son désir d’intégration, d’appartenance, de reconnaissance sociales. Ces modèles sont établis sur base de jugements sociaux et de catalogages en « bien », « mal », « mieux», etc. qui peuvent évidemment différer d’une culture à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une classe ou d’une caste à l’autre…

Le désir d’appartenir à un groupe et d’y être apprécié est présenté comme une nécessité vitale, comparable au besoin primitif de s’associer pour assurer la survie individuelle. Le schéma proposé – imposé ? – est simple : le bien-être dépend du groupe et la clé de l’intégration dans le groupe est la soumission à ses exigences, l’adoption de son uniforme, de ses modes, de ses activités, de ses idéaux, des ses croyances. Ce « mème » est tellement bien incrusté dans les mentalités qu’il semble anormal de ne pas y souscrire.
« Notre éducation nous a appris à avoir besoin des autres. Pourquoi ce besoin? Pour être accepté, approuvé, apprécié, applaudi – pour obtenir ce que l’on appelle la réussite. » (1)

Nous sommes donc conditionnés à chercher la popularité, les félicitations, l’amour… sans lesquels nous nous figurons ne pas pouvoir être heureux. Il y a là intoxication. Aimer est important et essentiel. Etre libre, le plus possible, est important et essentiel. Etre aimé est important mais accessoire. Certes, l’enfant a besoin d’amour pour l’apprendre – « l’amour de l’enfant est captatif et celui des parents est oblatif » – mais l’adulte est censé équilibrer cette relation. Et si son désir d’être aimé – par les humains, par les dieux – reste une nécessité impérieuse, quelque chose d’indispensable à son bonheur ou à sa survie, la dépendance intervient.

Comme il est communément admis qu’il faut être entouré d’« amis », appartenir à des groupes, des clubs, des associations, des communautés, … le jugement porté sur les solitaires est extrêmement péjoratif. On parle d’eux comme d’individus asociaux, misanthropes, ermites, sans oublier les adjectifs désobligeants qui peuvent les qualifier. Il y a là confusion entre sociabilité et conformité et cette méprise est inculquée dès le plus jeune âge.

Nous vivons en société, certes. Nous entretenons quotidiennement des rapports obligés avec nos congénères. Si, contrairement à la majorité, un individu ne cherche pas la compagnie de ses semblables en dehors des relations utiles – qui peuvent être polies, courtoises, plaisantes, aimables et même attentionnées – cela ne signifie pas automatiquement qu’il n’aime pas les autres ou qu’il en a peur ou qu’il les méprise, comme on l’entend trop souvent. Cela peut vouloir dire simplement que ce solitaire n’a pas vraiment besoin du regard des autres pour se sentir exister : il ne souffre pas d’être séparé d’eux et apprécie le plaisir d’être seul, chose que le troupeau (2) ne lui pardonne pas volontiers. En réalité, c’est bien souvent le troupeau qui n’aime pas, qui a peur ou qui méprise le solitaire… et il ne peut même pas le punir d’isolement.

La tendance à la standardisation – comprise comme « réduction à un modèle unique » – peut aller très loin et de façon parfois insidieuse. Lorsque, par exemple, tel auteur écrit que tous les hommes sont croyants – peu importe en quoi – et tente ensuite de démontrer son affirmation à grand renfort de « jeux de langage », les sceptiques, les incroyants et autres incrédules se sentent quelque peu maltraités. Ne seraient-ils pas des hommes parce qu’ils ne font pas comme la majorité ?

Si l’on peut comprendre le choix – mais en est-ce vraiment un ? – de cette majorité de se laisser guider par des jugements sociaux qui leur facilitent la vie et les rassurent, il est désolant de constater que cette attitude est souvent accompagnée d’une condamnation à l’encontre de ceux qui ne suivent pas la même route.

Pourtant, personne n’a l’obligation de se comporter conformément à la programmation sociétale normative.

Pourtant, ne croire en rien est chose possible mais la plupart des gens n’aiment pas cette image ; elle les déstabilise ou est tout simplement impensable.

Pourtant, sortir des stéréotypes, abandonner les jugements pré-établis et les grilles de lectures prêtes à l’emploi, est un exercice qui mérite d’être tenté car il est libératoire.

Nadine de Vos, Bruxelles, le 16 janvier 2006

(1) Anthony De Mello, Quand la conscience s’éveille.
(2) « Troupeau » est utilisé ici par opposition à « solitaire », de façon neutre, sans intention dépréciative.