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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- Le monde tremble

- Rétribution

- Et aujourd'hui ?

 

 

   

 


L’ébranlement des fondations

 

 

Le monde tremble

« Quand les fondements sont ébranlés que peut faire le juste ? ».
Psaume 11,3

La question est bien actuelle : le monde est ébranlé. Mais il l’est depuis très longtemps. L’ancien monde ne cesse pas de vaciller sur ses bases. Un monde ancien s’écroule et, cependant, le monde continue. C’est là une expérience souvent ressentie dans le passé. À la fin d’une civilisation ou à la fin d’un monde … Comme à la fin d’une vie.

De fait, le cycle de vie d’une culture, d’une civilisation, d’un empire….. est analogue au cycle de la vie humaine. Naissance, enfance, maturité, vieillesse et mort sont le lot commun de tout ce qui vit. Mais cependant, tout ce qui vit agit comme s’il était immortel. En sorte que la fin de la vie est vécue comme la fin du monde.

Pour le psalmiste, l’écroulement du monde ancien est –sans doute- celui de la disparition de la royauté davidique, la perte de l’indépendance de la petite Judée, l’exil imposé par la grande puissance d’alors. La puissance militaire et la richesse économique sont –pour un temps- du côté de Babylone. Et dans le même temps, les croyants dispersés assistent, impuissants, au spectacle de la force triomphante.

Mais il en va de même dans la vie individuelle. Les puissants ne sont pas les justes. Un des plus vieux chants de l’humanité est la complainte (babylonnienne) du juste persécuté. C’est aussi un thème courant dans les écrits bibliques –et c’est, en particulier, le thème central du livre de Job (la « rétribution »).

Quel est le sens de ces événements ? Comment comprendre le dessein de Dieu ? Le règne de la force rend le présent incompréhensible. Pourquoi être juste ? Pourqoi être sage ? Pourquoi être pieux ? Ces questions traversent la religion biblique.

Et les temps actuels ne sont pas pires que les temps anciens. À sa manière
–très décapante- le sage Qohelet (l’Ecclésiaste) le disait :

« Ne dis pas : Comment se fait-il que les temps anciens aient été meilleurs que ceux-ci ? Ce n’est pas la sagesse qui te fait poser cette question ». Qohelet 7,10

Rétribution  

Un très vieux problème - dans une perspective religieuse - est celui de la rétribution. Châtiments et récompenses (éventuellement éternels) pour des actions humaines (toujours limitées par le temps et l’espace). Cependant, les interrogations furent nombreuses :

« Tout cela nous est arrivé et nous ne t’avions pas oublié,
nous n’avions pas démenti ton alliance… ». Psaume 44,18

D’une autre manière, en Judée –mais aussi chez certains membres de la génération qui vit en terre étrangère, après le terrible exil babylonien- a été forgé ce dicton ironique (qui rejettait le « châtiment » infligé aux fils à cause de la faute des pères) :

« Les pères ont mangé des raisins verts
et les dents des fils ont été agacées ». Ezekiel 18,2

Il n’y aurait donc pas de relation de causalité entre les fautes et le châtiment. Du moins cette relation n’est pas visible :

« Il est des justes qui sont traités selon le fait des méchants, et des méchants qui sont traités selon le fait des justes ». Qohelet 8,14
« L’homme ne peut découvrir l’œuvre qui se fait sous le soleil ». Qohelet 8, 17

Non qu’il n’y ait pas de rétribution (Qohlet 12,14), mais les signes n’en sont pas visibles. De là, cette violence de la libre loi des puissants. De là aussi ces explications compliquées et ces affirmations qui –parfois en dépit de tout- maintiennent une « vérité » invisible aux yeux de l’entendement humain.
En ce domaine, la « preuve » n’est pas expérimentale ! Mais faut-il prouver l’horizon vers lequel le marcheur s’oriente ? La soif seule le met en marche vers la source. La source est rêvée, peut-être, mais la marche est bien réelle. Et, sans elle, la mort est assurée. Il en va de même pour la recherche de la justice. Sans juge, le monde est un gouffre sombre. Telle est la perspective religieuse.

Certes, si les fraudeurs étaient immédiatement châtiés –comme Ananias et Sephira (Actes 5 )- la justice s’établirait d’elle-même, rapidement. Mais ce n’est pas le cas.

Nous vivons dans un monde de justice cachée. Par contre, l’injustice est flagrante et c’est contre elle qu’il faut lutter. Mais comment ? C’est la seule question qui importe.

Et aujourd’hui ?  

Le monde continue de trembler. Les empires s’écroulent. Les sociétés humaines sont agitées : guerres et révoltes en témoignent. Des événements récents nous le rappellent. Mais la violence, habituellement, est appelée par l’injustice. Et, à son tour, la violence engendre la violence –comme le meurtre appelle la vengeance et la vengeance ouvre la porte à la violence. Cycle sans fin, depuis le meurtre d’Abel…

En face de ces réalités, une approche religieuse (non toujours confessionnelle, d’ailleurs) place la justice au-delà des revendications verbales. Aimer la justice n’est pas une manière de penser ou de parler. C’est une attitude intérieure qui –comme le désir de vérité- s’exprime dans le respect de l’autre, même s’il m’est opposé. Dans le secret, même…

« Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s’imaginent que c’est à force de paroles qu’ils se feront exaucer. Ne leur ressemblez donc pas, car votre Père sait ce dont vous avez besoin … ». Matthieu 6, 7-8

Fondamentalement, une attitude religieuse n’est pas un savoir-dire, mais un savoir-faire. Non une doctrine, mais une pratique. Et cette pratique est, parfois, silencieuse et retirée. Grand bruit n’est pas vérité. Un proverbe yiddisch le dit : « Les tonneaux vides font le plus de bruit »

Notre monde de bruit est loin de comprendre cela. Il faudrait peut-être inventer une publicité silencieuse, ainsi que des campagnes de presse ou des campagnes électorales silencieuses. ? Ce serait, évidemment, un autre monde. Dans notre quotidien : ce qui ne fait pas de bruit n’est pas entendu. De sorte que lorsque l’essentiel est silencieux, il est voué à se perdre.

Il importe, cependant, de prêter l’oreille, car les bruits du monde couvrent le chant de la source. Ce monde qui chancelle est un monde bruyant autant que violent. Mais le monde de la permanence –autrefois appelée « éternité »- ne chancelle pas.

« La terre fond avec tous ses habitants :
C’est moi qui affermis ses colonnes ». Psaume 75,4

Jacques Chopineau, Genappe le 2 décembre 2005