Même si cela ne se fait
pas, quel journaliste digne de ce nom irait signer un commentaire
pareil ?
Par contre, le thème
du livre "saint" profané est bien
plus porteur et met le monde en émoi. Et pourtant, à y
regarder de près, il ne mérite pas davantage
d'être épinglé – même en
une phrase et demie – car il ne représente pas
un élément d'information valable. Ce potin
n'interpelle que les fanatiques – en ébullition
permanente et prêts à déborder au moindre
pet de mouche – et un certain public, voyeur toujours à l'affût
d'un scandale et grand consommateur de reality shows. La
situation est d'un ridicule consommé et l'attitude
de la Maison Blanche qui, avec ses allures de gendarme de
guignol, entre dans le jeu de cette comédie surréaliste,
est plus que grotesque. Mais sommes-nous étonnés
?
Sommes-nous étonnés
d'apprendre, de la bouche du porte-parole du Pentagone, que
les militaires sont censés traiter les objets religieux avec
le plus grand respect (1) ? Pour les êtres humains… il
n'a rien dit.
Sommes-nous surpris de lire
dans la presse qu'un mémo, émanant des autorités
militaires et relatif au respect de la culture et de
la dignité du Coran, "recommande d'enfiler
des gants avant de toucher le livre, de le porter à deux
mains comme s'ils s'agissait d'un objet d'art et
de ne pas le placer dans un endroit proche des toilettes" (1)
? La même presse ne précise pas si la note aborde
la question du respect de la dignité des prisonniers,
la façon de les traiter, avec ou sans gants ni l'état
(des) sanitaire(s) des milieux carcéraux.
" Newsweek a été pris
en tenailles entre le gouvernement américain, qui
a saisi l'occasion pour afficher sa moralité, et des
militants islamistes [des extrémistes de tous bords,
me permets-je de corriger] qui ont exploité l'affaire à des
fins politiques servant leurs intérêts",
estime le quotidien britannique The Independent qui
trouve les accusations adressées à Newsweek "tellement
absurdes que l'on pourrait en rire" mais qui, à l'instar
de ses collègues, semble très inquiet de voir
toute la profession égratignée dans l'affaire
(2). La liberté de la presse – même lorsqu'elle
dit des âneries – serait-elle donc moins importante
que sa réputation ?
Nulle part, dans tous ces débats
acharnés, la question n'a été posée
de savoir pourquoi il faudrait obtempérer aux exigences
d'adoration d'un objet sacralisé. Lorsque le sacré ne
reste pas à sa place, c'est-à-dire en dehors
de la vie quotidienne, lorsqu'il l'envahit et qu'il occupe
l'espace du profane, n'importe quel acte – brûler
un drapeau, par exemple – n'importe quelle parole – crier "à bas
la calotte", par exemple – peuvent devenir sacrilèges
et allumer des incendies. Est-il bien raisonnable d'alimenter
la flamme ?
Coda : Quelle que soit l'origine
de l'offenseur et celle de l'offensé, quel que soit
le nom de l'objet, vénéré par l'un et
houspillé par l'autre, il y a toujours dans l'air
un relent de dérisoire et un constat d'échec
de l'humanisation lorsque "le culte devient plus important
que l'amour, l'église plus importante que la vie,
Dieu plus important que nos semblables" (3), le livre
plus important que le message…
Nadine de Vos,
le 25 mai 2005
(1) Le
Monde, Corine Lesnes, article paru dans l'édition
du 19 mai 2005;
(2) Courrier International, revue de presse du 19 mai 2005, Hoda Saliby;
(3) Anthony de Mello, Quand la conscience s'éveille.
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