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 Les chroniques



    Jacques Chopineau

 

- Un nouvel acteur

- Où se situe l'Europe ?

 

   

 


Et la Chine s’éveilla

 

 

Un nouvel acteur

Au moment où nous parlons d’Europe, il faut se rappeler la montée d’une nouvelle puissance : la Chine. Pour l’heure, les regards sont surtout tournés vers le textile. Mais bien d’autres produits seront, dans les années qui viennent, au premier plan de l’actualité…

Peut-on reprocher aux chinois de jouer un jeu dont nous fixons les règles ? On ne peut être des vendeurs libéraux et des acheteurs protectionnistes. Et les chinois peuvent justement estimer qu’ils ne font que suivre les exigences de l’OMC.

À la tête de l’OMC, nous avons d’ailleurs un ancien commissaire européen dont les positions libérales et atlantistes sont bien connues. Ses prises de position sont à attendre avec intérêt, certes, bien que l’Europe (européenne, démocratique, sociale) n’ait certainement rien à en espérer.

L’avenir européen est d’ailleurs dans la capacité européenne de recherche et d’innovation, plutôt que dans le maintien de fabrications pour lesquelles nous sommes et serons largement dépassés. Cela, certes, n’empêche pas que telle fabrication se maintienne, chez nous, de par sa qualité éminente, mais ce ne sera certainement pas le gros bataillon…

Dans les années qui viennent, on peut craindre qu’une Europe invertébrée se montre incapable de soutenir des combats inégaux qu’elle a cependant contribué à imposer au monde –dans la foulée du FMI, de l’OMC,

Il est clair que l’avenir européen n’est pas dans la défense de produits que d’autres pays peuvent fabriquer en grandes quantités et à meilleur compte. Ce qui est vrai pour les chemises ou les chaussettes, vaut aussi pour les chaussures ou le fer à béton et pour beaucoup d’autres produits…

Par contre, l’avenir est dans notre capacité de recherche et d’innovation. Mais sciences et techniques sont seulement de pointe. En ce domaine, seul le meilleur existe –sous peine, pour le suivant, d’être dépendant, satellite et tributaire. Et d’en payer le prix.

Les pays européens ont, cependant, de gros efforts à faire pour donner à la recherche scientifique, la place qui lui revient. La capacité est grande, certainement, mais les réalisations sont plus mesurées. Au-delà des ambitions affirmées, il n’est que de voir comment, pratiquement, est traitée la recherche fondamentale. Le non-marchand, subsidié, est le parent pauvre d’une société marchande.

C’est qu’en ce domaine, le profit immédiat n’est jamais à l’ordre du jour. Il s’agit plutôt d’un investissement à long terme et d’un pari sur l’avenir. Cela peut s’avérer coûteux, cependant, il n’y a pas d’autre choix. Et si l’Europe n’est pas, à nouveau, à la tête de la recherche scientifique on peut prévoir des lendemains qui déchantent.

Même ainsi, d’ailleurs, la lutte sera difficile. Car loin de se cantonner dans le textile, la Chine est ouverte sur l’avenir. Son ambition n’est pas bornée à une réalité actuelle. A d’autres (en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et ailleurs…) de se consacrer –pour un temps, au moins- à des fabrications plus traditionnelles, immédiatement rentables. Demain, une main d’œuvre nombreuse et sous-payée sera mise en concurrence avec des travailleurs de nos pays –lesquels sont, bon an mal an, habitués à d’autres traitements.

Il se trouve que le règne du marché-roi (qui était inscrit dans une constitution –heureusement rejetée) ignore, fondamentalement, les contraintes sociales. L’expression « économie sociale de marché » impliquait (et cachait) une contradiction dans les termes. D’ailleurs, en cas de conflit entre le « social » et le « marché » : qui donc l’emporterait ? La réponse –non dite- est connue…

Le peuple français (un des rares peuples consultés) a exprimé son refus d’une telle constitution. Malgré une propagande –au plus haut niveau- en faveur d’un choix contraire. Ils ne sont pas les seuls, heureusement.
Il est d’ailleurs faux de dire –comme on l’entend parfois-que seule une minorité européenne s’est opposée à ce traité. A moins de supposer que les parlements aient toujours exprimé la volonté du peuple. Ce serait faire bon marché du divorce profond entre la volonté populaire et celle des partis.

C’est ainsi : là où les parlements se sont prononcés en faveur de cette constitution, le résultat eût été différent si le peuple avait été consulté.

De là, quelques uns pensent que –dans un souci d’efficacité- il est préférable de ne pas consulter les peuples. Pourtant, les suffrages populaires sont un bon indice de la popularité d’un projet. Tel un thermomètre, ils indiquent la température. Faut-il ne pas mesurer cette température ? Ce serait un moyen curieux de combattre la fièvre en l’ignorant

On a longtemps voulu construire l’Europe sans les peuples européens. Ne serait-il pas temps de les consulter davantage ?

Où se situe l'Europe ?  

Le monde change, mais nous ne changeons guère. Avant d’être la règle, tout changement a des allures de révolution. –et, donc, de désordre. Un géant du monde qui se construit se nomme « Chine ».
Il faut se souvenir de ce que le génie chinois est ouvert, depuis longtemps, aux innovations scientifiques et technologiques. La Chine n’est pas grande seulement par la masse de sa population. Les années qui viennent le montreront -années qui risquent de s’avérer difficiles à vivre pour cette Europe longtemps privilégiée –voire accrochée à des « avantages acquis » qu’un monde nouveau ne prendra pas en compte.

On peut penser à une future guerre mondiale, mais qui ne sera pas une lutte armée (plutôt –éventuellement- à des interventions localisées). C’est, en fait, sur le terrain économique que cette guerre aura lieu.

Non pas –comme le pensent certains néo-conservateurs américains et leurs suivants européens- une « quatrième guerre mondiale » qui prendrait la suite des deux guerres mondiales et de la guerre froide. La mémoire des guerres n’est, parfois, qu’un argument en faveur d’un grand futur libéral.

Ce sera plutôt une guerre contre le « terrorisme » (voire –par aveuglement et injustice- contre l’Islam…). Guerre absurde, à la suite –bien sur- de la bannière étoilée, laquelle serait une sorte d’étendard de Saint Georges dressé contre « le mal » -c'est-à-dire ce qui s’oppose au règne du marché.

Dans cette perspective, tous les prétextes sont bons. Par exemple, une universelle lutte pour la démocratie, la nôtre. Evidemment, cela peut impliquer (le cas s’est vu) le soutien à des dictatures « antiterroristes » et ouvertes aux intérêts des dominants. Un monde « libre » naîtrait ainsi ( ?) dans la mouvance libérale d’un Occident vainqueur. Comme jadis ?

Pourtant, l’Occident réuni ne sera pas aussi peuplé que la seule Chine. Et tous les chinois savent cela, même s’ils imitent, aujourd’hui, telle manière occidentale de s’habiller ou de manger. Cette « occidentalisation » est superficielle et, en tout cas, provisoire. Un grand jeu s’ouvre, lors même qu’on n’en parle guère.

Où se situe l’Europe dans ce grand jeu ? En pointe ou à la remorque ? Il est à craindre que son jeu politique ne soit pas à la mesure de son poids réel et virtuel –économique et scientifique. Et surtout, il est à craindre qu’elle ne soit tirée vers une sorte de grand marché, aux frontières floues mais aux intérêts clairs. Réveille-toi Europe !

Jacques Chopineau, Genappe, 7 juin 2005